obsession (suite)
Quel que soit le type de l’obsession, le fonctionnement psychique, et notamment intellectuel, du malade est envahi par un mode de pensée pathologique : c’est la pensée compulsionnelle faite de rites, de superstitions, de conjurations du mauvais sort, de « manies » de l’esprit. Il s’y ajoute souvent des rationalisations excessives, froides, vidées de sens, un souci extrême du détail, de la précision, de la perfection. L’obsédé « coupe les cheveux en quatre », dit-on en langage commun. Les scrupules sont souvent injustifiés, ridicules. La complexité de cette pensée se traduit dans la plupart des actes de la vie quotidienne. Le monde intérieur de l’obsédé apparaît comme une géométrie compliquée, avec une logique pointilleuse. Il est imprégné de notions figées de mort, de maladie, de souffrance, d’impératifs moraux rigides. Il y règne une sorte de tyrannie à double sens, appelée sado-masochisme par la psychanalyse. L’obsédé souffre de son état et finit par faire souffrir son entourage.
Ces obsessions, ces rites, ces compulsions se greffent généralement sur deux grands types de personnalités.
Le premier est la personnalité ou le terrain psychasthénique décrit par P. Janet avec abaissement de la « tension psychique » au profit d’activités mentales de bas niveau : sentiment d’incomplétude, doute, indécision, aboulie, inhibition dès qu’il s’agit d’actions à accomplir ou de responsabilités à prendre, fatigabilité rapide, lenteur globale et défaut de rendement dans un temps déterminé. « La fonction du réel », avec concentration intellectuelle optimale adaptée aux exigences du présent, s’en trouve diminuée.
Le second, bien décrit par le psychanalyste, est appelé caractère anal (par référence pathogénique à l’un des stades infantiles du développement psychosexuel). Il désigne des sujets méticuleux, précis à l’extrême, obstinés, autoritaires, à l’esprit lourd et méthodique de manière caricaturale. Ils sont collectionneurs, parcimonieux ou avares, rigides, pédants, ennemis des changements ; ils manquent de chaleur spontanée et sont à l’abri d’une sorte de carapace caractérielle.
L’évolution de la névrose obsessionnelle est très variable.
Dans ses formes les plus sévères, elle se révèle plus résistante aux traitements que les autres névroses. Son cours naturel se déroule sur un mode chronique, mais avec des rémissions. De nombreux névrosés sont en fait à la limite de la vraie névrose obsessionnelle sans y verser tout à fait. Ce sont les formes frustes ou bénignes qui sont les meilleurs cas pour le traitement. Bien des névrosés obsessionnels finissent par s’épuiser, par développer des états dépressifs plus ou moins graves, ou réduire considérablement leurs activités. Leur épanouissement socio-affectif et même intellectuel s’en trouve entravé, en désaccord avec des potentialités souvent riches, mais inutilisables.
Le passage de l’obsession au délire est possible, mais rare. En règle générale, l’obsédé demeure conscient de l’absurdité de ses obsessions, de ses peurs et de ses rites, mais il ne peut les maîtriser sans l’aide d’une thérapeutique : avant tout, les chimiothérapies diverses, exceptionnellement la psychochirurgie, de plus en plus abandonnée et réservée aux formes gravissimes où toute vie normale est impossible, les psychothérapies de toutes sortes, surtout psychanalytiques.
On ne sait encore pas grand-chose des causes de la névrose obsessionnelle. Il existe des facteurs héréditaires ou génétiques importants, davantage encore que dans toute autre forme de névrose. Mais ils ne sont pas suffisants pour expliquer à la fois la structure de la personnalité et les symptômes. Des travaux ultérieurs neurophysiologiques et biochimiques montreront peut-être certains éléments particuliers du fonctionnement du système nerveux central chez ces malades. En fait, les mécanismes génétiques et biologiques demeurent imparfaitement connus. C’est pourquoi les théories psychanalytiques ont pris dans ce domaine une extension considérable. La psychanalyse freudienne est en effet la seule conception actuelle qui vise une compréhension totale, psychodynamique, de la névrose obsessionnelle. Cette conception est axée sur les premières années du développement psychosexuel infantile, les conditions d’élevage et d’éducation, les relations précoces du sujet avec ses parents, etc. Les obsessions et les rites auraient une signification symbolique dans l’inconscient du malade. Les traits de caractère, le comportement, la pensée de l’obsédé pourraient s’expliquer par des défenses archaïques inconscientes contre l’angoisse née de conflits infantiles non résolus. Les fixations en régression de la personnalité aux stades anal et sadique anal seraient très importantes dans la genèse de l’affection.
G. R.
R. Pujol et A. Savy, le Devenir de l’obsédé (Masson, 1968).