Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

nucléaire (arme) (suite)

Le problème de l’escalade

Dans sa stratégie militaire publiée en 1962, le maréchal Vassili Danilovitch Sokolovski (1897-1968), qui fut chef d’état-major général des forces soviétiques de 1953 à 1960, admettait que n’importe quel conflit dégénérerait inévitablement en guerre nucléaire générale si des puissances nucléaires y étaient entraînées, et que les caractères d’une guerre future seraient conditionnés par l’emploi des armes de destruction massive à tous les échelons, stratégique, opérationnel et tactique. Ces affirmations, comparables à celles de la riposte massive des Américains, traduisent le concept de dissuasion réciproque sur lequel repose depuis 1960 l’équilibre stratégique international. De même que du côté américain la réponse flexible est adoptée en 1962 par le président Kennedy et avalisée par l’O. T. A. N. en 1967, une évolution analogue s’est dessinée du côté de l’U. R. S. S. En 1965, le général soviétique Lomov estime que des guerres locales peuvent éventuellement avoir lieu en Europe et ne mettre en œuvre que des armements conventionnels sans exclure toutefois l’utilisation d’armes nucléaires de portée tactique ou opérationnelle. Il ajoute que l’armée soviétique doit être à même « de mener des opérations avec emploi limité d’armes nucléaires ou sans emploi de celles-ci, en se servant uniquement de moyens conventionnels ». Il existe cependant de part et d’autre une volonté très nette de ne pas engager une guerre nucléaire totale. Le risque demeure toutefois que les pays possesseurs d’armes nucléaires ne se laissent aller au phénomène de l’escalade, car il semble bien probable que l’emploi d’armes nucléaires tactiques entraînerait tôt ou tard celui des armes stratégiques. Pour éviter que le commandement militaire ne s’y laisse entraîner, la responsabilité de l’emploi d’armes nucléaires, même tactiques, est considérée, dans tous les pays qui en possèdent, comme relevant exclusivement du pouvoir politique.


Les délégations d’autorité

Étant donné ses conséquences, c’est, dans un système national, le chef du pouvoir exécutif qui décide de l’emploi de l’arme nucléaire. Après avoir pris cette décision, il délègue, dans certaines conditions bien précisées, au commandement militaire subordonné la responsabilité de son emploi. D’une manière générale, dans un système national ou dans une alliance, cette responsabilité d’emploi est toujours minutieusement définie. L’usage d’armes nucléaires tactiques ayant été admis ou ordonné par le pouvoir politique, ce dernier imposera en général des limitations précises à son emploi. À l’intérieur de la hiérarchie des autorités militaires ayant à traiter ce problème, trois échelons de responsabilité peuvent à titre indicatif être définis.
— L’autorité d’approbation est celle qui, dans la limite fixée par le pouvoir politique, reçoit délégation pour autoriser ou ordonner l’emploi d’armes nucléaires. Elle se situe en général à un niveau très élevé de la hiérarchie du commandement.
— L’autorité de conception dispose d’une allocation d’armes nucléaires et en prévoit l’emploi sous réserve d’en référer à l’autorité d’approbation.
— L’autorité d’exécution est celle qui fait déclencher les tirs prescrits dans le cadre préalablement approuvé.

Le niveau auquel se situent ces différentes autorités varie suivant les pays ; la disposition d’un faible nombre d’armes tactiques a pour effet de placer ces trois autorités à un niveau très élevé, alors qu’une importante dotation en armes pourrait peut-être permettre une délégation plus large allant jusqu’à l’échelon de la division.


Conclusion

On estimait en 1973 qu’il existait en dépôt en Europe plus de mille bombes tactiques d’avions et au moins autant de charges nucléaires à la disposition des forces terrestres. En généralisant ainsi l’emploi de l’explosif atomique, les armes nucléaires tactiques ont bouleversé les données du combat moderne, et l’on peut croire que seul le risque quasi inéluctable d’une escalade vers une guerre nucléaire totale, avec l’emploi d’armes stratégiques, en a jusqu’ici interdit l’usage. On imaginerait mal en effet qu’une grande puissance nucléaire, acculée sur le terrain à la défaite militaire, s’y résigne sans recourir à ses armes stratégiques. On conçoit mal également comment on pourrait utiliser brutalement, notamment en Europe, des centaines d’armes nucléaires tactiques pour détruire des armées très largement dispersées dans des territoires où la population est de plus en plus concentrée... Les études et discussions des experts révèlent leurs difficultés à imaginer un tel combat. Le résultat de ces incertitudes, comparé à la certitude des immenses destructions de personnes et de biens consécutives à l’emploi d’armes tactiques nucléaires, conduit de plus en plus à considérer celles-ci comme un appoint supplémentaire à la menace des armes stratégiques, dont elles prolongent et renforcent le potentiel. Beaucoup plus qu’une super-artillerie à la disposition d’une manœuvre militaire appropriée, les armes tactiques sont de plus en plus étudiées dans le cadre général des politiques de dissuasion. Ainsi, pour protéger l’Europe occidentale contre toute menace soviétique, le commandement militaire de l’O. T. A. N. a pris soin de ne déployer que des armes, missiles ou avions, dont la portée, inférieure à 1 000 km, ne puisse atteindre directement le cœur du territoire soviétique. On veut de cette façon éviter l’engagement des forces stratégiques américaines, dont l’emploi risquerait de provoquer de la part de l’U. R. S. S. des représailles trop menaçantes pour le territoire américain. On notera toutefois que, bien que le coût de leur mise au point et de leur fabrication impose une charge considérable aux budgets militaires, les armes nucléaires tactiques ont été jusqu’ici exclues des négociations conduites, notamment depuis 1969, par les États-Unis et l’U. R. S. S. sur la limitation des armements.

A. D. et P. L.

➙ Armement / Bombe nucléaire / Missile / Stratégie / Tir.

 V. bombe nucléaire.