Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Notre-Dame (école)

Ensemble des musiciens qui, à la fin du xiie s. et au début du xiiie s., constituèrent un important répertoire musical religieux pour Notre-Dame de Paris.


Il semble qu’à la fin du xiie s., à partir des années 1160-1170, les tentatives d’embellissement du chant liturgique par l’usage de la polyphonie aient trouvé un champ d’application particulièrement favorable dans l’élaboration d’un répertoire destiné aux offices de la toute récente cathédrale Notre-Dame, dont la construction avait été décidée par le nouvel archevêque de Paris, Maurice de Sully. D’autres centres, comme Saint-Martial de Limoges, avaient auparavant défriché le terrain, et le chant en organum était déjà l’ornement, surtout en France — Gui d’Arezzo en parle comme d’une spécialité française : « Diaphonia, est organum quo utuntur Francigenæ » —, des grandes fêtes ecclésiastiques, mais peu de documents nous sont parvenus, surtout sans doute parce qu’il s’agissait d’un art d’improvisation. Cette pratique prit corps à Paris in choro Beatæ Virginis maioris ecclesiæ Parisiis et fit l’admiration des théoriciens de passage.

C’est à l’un d’eux — dont les propos ont été transcrits par Edmond de Coussemaker (1805-1876) dans son Scriptorum musica medii œvi et qui, de ce fait, est désigné par les musicologues comme l’anonyme IV de cet ouvrage — que nous devons à la fois les noms de quelques maîtres et surtout les détails qui ont permis d’identifier avec une relative certitude les manuscrits contenant le répertoire de cette église (des divergences persistent entre les musicologues).

Hormis le premier nom, que nous connaissions, un certain « maître Albert » — magister Albertus Parisiensis —, auteur au moins du texte, peut-être aussi de la musique d’un conduit à trois voix, les deux autres noms qui nous sont parvenus l’ont été par ce texte. « Magister Leoninus, rapporte-t-il, [...] fuit optimus organista, qui fecit magnum librum organi de Gradali et Antiphonario pro servitio divino multiplicando. » Le premier grand compositeur (organista) de l’école Notre-Dame est donc Léonin, qui semble avoir exercé son art entre 1160 et 1180 environ. Le Magnus Liber, dont il est l’auteur, continue l’anonyme, « fuit in usu usque ad tempus Perotini Magni, qui abbreviavit eumdem, et fecit clausulas sive puncta plurima meliora ». Cet usage prolongé dénote pour cet ouvrage un succès qui dura pendant toute la carrière de Léonin. Son successeur, Pérotin dit « le Grand », est mentionné comme plus habile encore (« melior quam Leoninus erat ») puisqu’il a remanié le Magnus Liber. On pense que son activité à Notre-Dame se situe environ entre 1190 et 1220 ou 1230. Les remaniements opérés par Pérotin empêchent de connaître la polyphonie à deux voix de Léonin dans sa forme primitive, et l’on en est réduit à attribuer à Léonin les œuvres à deux voix figurant dans les manuscrits. Mais, même pour Pérotin et malgré l’immense succès qu’elles ont connu, les œuvres qui peuvent lui être attribuées avec certitude ne sont qu’au nombre de sept, les seules dont les titres sont fournis par l’anonyme IV : les « organa quadrupla » Viderunt et Sederunt ; les « organa tripla » Alleluia « Posui » et Alleluia « Nativitas » ; le conduit triple Salvatoris hodie ; le conduit double Dum sigillum summi patris et le conduit simple Beata viscera. On sait aussi, toujours grâce au même théoricien, que les livres de Pérotin poursuivirent leur carrière jusqu’au temps du maître Robert de Sabilon, époque à laquelle fut découvert un procédé de notation plus précis, ce qui peut se situer vers 1250.

Bien que l’on se permette souvent d’employer l’une pour l’autre les deux dénominations Ars antiqua et école Notre-Dame, il faut se garder de les identifier. Si Philippe de Vitry (1291-1361), en 1320, rejette dédaigneusement dans le passé et globalement sous le nom d’Ars antiqua tout ce qui précède l’art de son temps, qu’il qualifie d’Ars nova, il semble bien qu’il faille réserver l’étiquette d’école Notre-Dame à la première période de l’Ars antiqua, celle qui obéit à la rythmique modale, c’est-à-dire celle qui va de 1170 environ jusqu’aux alentours de 1250 et qui englobe la polyphonie primitive de Léonin et la polyphonie classique de Pérotin. La seconde période de l’Ars antiqua (1250-1320), où s’élabore une rythmique mesurée plus précise et qui voit le succès du motet, ne serait pas à mettre au compte de l’école Notre-Dame.

La production de l’école Notre-Dame est donc à chercher dans les manuscrits que l’on a identifiés comme ayant été en usage dans la cathédrale parisienne et dont le plus célèbre est le Codex mediceus, connu sous le nom de Pluteus de Florence. Grâce à une étude comparée des livres liturgiques détaillant les offices à Notre-Dame, de ce manuscrit et des propos de l’anonyme IV, on a pu conclure à l’identification entre deux fascicules de ce manuscrit et le Magnus Liber : le fascicule 3, de Antiphonario, et le fascicule 4, de Gradali. Pour les autres fascicules, la situation est moins claire. Certes, ils contiennent des œuvres originaires de la région parisienne (Beauvais, Sens par exemple), mais « les preuves certaines en faveur de Paris et de sa cathédrale ne s’étendent pas à la totalité des œuvres » (Y. Rokseth). Il serait plus juste de parler alors comme certains d’époque Notre-Dame et non plus d’école Notre-Dame.

Il en est de même pour les autres manuscrits où se trouve, pense-t-on, une partie du répertoire de Notre-Dame : les deux manuscrits de Wolfenbüttel, celui de Madrid et celui de Las Huelgas.

B. G.

➙ Ars antiqua / Ars nova / Moyen Âge (musique du).

 H. Husmann, Die drei une vierstimmige Notre-Dame-Organa (Leipzig, 1940). / Y. Rokseth, Polyphonies du xiiie siècle (Strasbourg, 1947).