Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Normandie (suite)

• La conquête de l’Angleterre. Guillaume, qui a rétabli la paix intérieure, se rapproche de la Flandre en épousant Mathilde (v. 1053) ; ayant les mains libres, il s’empare du Maine en 1062 et le pacifie. Puis, à la mort d’Édouard* le Confesseur, son cousin, dont l’héritage est également disputé par l’Anglo-Saxon Harold et par le Norvégien Harald III Hårdråde, Guillaume conquiert l’Angleterre en 1066 et la réunit, sous une même autorité nominale, à la Normandie. Henri Ier Beauclerc (1106-1135), fils cadet du Conquérant, bat à Tinchebray, en 1106, son frère aîné le duc Robert II Courteheuse (1087-1106), qui n’a reçu que la Normandie et rétablit ainsi l’unité anglo-normande ; pour maintenir l’ordre, il élève ou achève la construction de nombreux châteaux forts, notamment à Arques et à Caen, et délègue en cas d’absence à un « justicier » le contrôle d’une administration dont les principaux organes sont sans doute uniques pour la Normandie et l’Angleterre : chancellerie et chambre (financière).

• L’organisation du duché sous les Plantagenêts. À la mort d’Henri Ier Beauclerc, qui ne laisse qu’une fille, l’impératrice Mathilde, mariée en 1128 au Plantagenêt Geoffroi V d’Anjou, s’ouvre une grave crise de succession qui oppose Geoffroi V à un petit-fils de Guillaume le Conquérant, le nouveau roi d’Angleterre Étienne de Blois (1135-1154). Maître de Rouen en 1144, après neuf ans de guerre, Geoffroi V investit en 1150 son fils Henri Plantagenêt de la Normandie. Maître de l’Anjou au décès de son père, en 1151, de l’Aquitaine du fait de son mariage avec Aliénor en 1152, de l’Angleterre enfin en 1154, Henri II* fait de ce duché la « clef de voûte » de ses États.

Alors à son apogée, le duché comprend de nombreux fiefs dits « de haubert », grevés du service militaire (ost féodal de quarante jours par an) et de droits divers. Certes, le duc ne dispose pas seul du droit de haute justice, car la sous-inféodation existe, mais il se réserve exclusivement ceux de monnayage, de confiscation et de fortification. Surtout, il a les moyens de faire respecter sa « paix ducale » : il a auprès de lui une cour (curia ducis), tantôt assemblée solennelle (officiers, barons et seigneurs ecclésiastiques), tantôt administration centrale (nombreux officiers, dont un bouteiller, un connétable, un grand sénéchal). Exercée déjà à titre souvent héréditaire avant 1150 par vingt-deux vicomtes (perception des revenus, justice, garde des châteaux...), en relation permanente avec la curia, l’administration est complétée, sous Henri II, par des baillis (28 en 1172), qui ont, eux aussi, un rôle judiciaire et surtout fiscal : fait important en raison de la dispersion des biens et des droits domaniaux du duc. Provenant d’amendes de justice, de droits de péage et de pêche, éventuellement d’impôts extraordinaires (aides féodales et écuages), les revenus de ce dernier sont administrés par l’Échiquier. Contrôlant étroitement la noblesse, veillant étroitement au recrutement d’un haut clergé de grande valeur (Lanfranc, saint Anselme), les ducs s’assurent de la fidélité des nobles et des clercs jusqu’au règne de Jean sans Terre. Quant à la bourgeoisie, elle bénéficie de la politique « des libertés » qu’inaugurent les Plantagenêts, politique qui se traduit vers 1170 par la charte des Établissements de Rouen, dont les libertés sont également accordées ou imposées à Bayeux, Évreux, Alençon, Fécamp, Falaise, villes qui sont ainsi véritablement vassalisées. Le duché devient l’enjeu du conflit opposant les Plantagenêts aux Capétiens, sous Henri II et surtout au temps de Richard Ier* Cœur de Lion (1189-1199) et de Jean sans Terre* (1199-1204). Il est confisqué et conquis entre 1202 et 1204 par Philippe II* Auguste sans opposition réelle de la population.

L’échiquier

Siégeant à Caen dans la chambre de ce nom où est gardé le Trésor, l’Échiquier s’identifie d’abord à la cour ducale lorsque celle-ci se réunit deux fois par an, à Pâques et à la Saint-Michel, en tant que Chambre des comptes sous l’autorité du sénéchal de Normandie et du trésorier. Composée de personnalités et de fonctionnaires compétents : les barons de l’Échiquier et les justiciers, cette cour reçoit et vérifie, comme en Angleterre, les revenus, les subsides et les dépenses à l’aide de jetons, sur la table à damier appelée échiquier.

Par extension, ce nom est donné également au xiie s. à la cour ducale lorsque celle-ci siège en tant que tribunal dans la salle de l’Échiquier.


La province française

Incorporé aussitôt au domaine royal par les Capétiens, qui confirment les privilèges de ses villes et respectent ses institutions et son droit, le duché perd peu à peu ses libertés : l’Échiquier n’est plus qu’une délégation de la cour du roi, tandis que la rédaction, vers 1250, du Grand Coutumier de Normandie adapte à son temps le Très Ancien Coutumier, qui a fixé la coutume au début du xiiie s. Octroyée par Louis X le Hutin en 1315 pour prévenir les conséquences possibles de la politique royale de restriction de libertés provinciales, la Charte aux Normands garantit ces dernières, notamment en matière judiciaire, les jugements de l’Échiquier étant déclarés sans appel. La guerre de Cent Ans entraîne le pillage et l’occupation temporaire de la Normandie par Édouard III (1346), puis par Jean de Lancastre (1356) et en fait la victime du conflit opposant entre 1356 et 1375 Jean II le Bon, puis Charles V le Sage à Charles II le Mauvais, roi de Navarre. À la suite du débarquement de Henri V près d’Harfleur en 1415 et de la prise de Rouen en 1419, la Normandie est annexée en fait à l’Angleterre de 1420 à 1450, jusqu’à sa reconquête par Charles VII, qui maintient l’Échiquier rétabli à Caen en 1436 et l’université fondée en 1432. Apanage temporaire de Charles de France (1465-1469), qui a, lors de la ligue de Bien public, combattu son propre frère Louis XI, la Normandie est réoccupée en 1466 et privée de son autonomie par ce souverain, qui brise l’anneau ducal en 1469. Elle est déclarée solidaire du domaine royal par les états de Tours en 1468 ; mais, cependant, elle conserve l’Échiquier, devenu permanent en 1499 et érigé en parlement de Rouen en 1515. Désormais, son histoire se confond avec celle de la France : guerres de Religion au xvie s., exode d’une partie de la bourgeoisie après la révocation de l’édit de Nantes ; développement industriel et portuaire au xviiie s. (Le Havre, créé en 1517 par François Ier, Rouen, Cherbourg) ; révoltes rurales et antifiscales des xvie et xviie s., dont celle des Nu-Pieds en 1639. Divisée en cinq départements (Manche, Calvados, Orne, Eure et Seine-Inférieure) en 1790, la Normandie est le foyer d’une brève insurrection fédéraliste brisée à Brécourt en 1793. Elle est le lieu du débarquement du 6 juin 1944. En 1960, la Normandie est divisée en deux circonscriptions d’action régionale (auj. région de programme) : Haute- et Basse-Normandie.

H. G. et P. T.