Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Normands (suite)

Conséquences

Ainsi s’expliquent les étonnants succès remportés par les forces normandes dans toute l’Europe, la crainte superstitieuse qu’ont éprouvée les Francs à leur égard, car ils ont vu en eux de redoutables barbares inspirés par le génie du mal et dont Dieu s’était fait un instrument pour les punir de leurs péchés.


Les deux étapes de l’expansion normande


La première vague migratoire (viiie s. - début du xe s.)

La colonisation rurale par les Norvégiens des Shetland (v. 700) leur permet d’orienter dès lors leur expansion dans deux directions. Vers le sud-ouest, les Orcades, puis le nord de l’Écosse (Sutherland, Caithness) sont l’objet d’une semblable colonisation et servent de base à la conquête territoriale des Hébrides, de l’île de Man, du Lancashire et même de l’Irlande, où Dublin (v. 838), puis Limerick, Wexford, Waterford et Cork sont occupées et érigées en points d’appui fortifiés destinés à servir de base d’abord à une pénétration jamais réalisée de l’intérieur de l’île, ensuite à des raids le long des côtes atlantiques de la Gaule et surtout le long de celles de l’Espagne (sac de Séville en 844), du Maroc, de la Provence et de l’Italie en 859-862.

En direction du nord-ouest, l’occupation des Shetland permet également aux Norvégiens d’étendre leurs entreprises de colonisation aux Féroé à partir de 800 environ, puis à l’Islande, atteinte vers 860 et peuplée à partir de 890 par l’aristocratie norvégienne hostile à la montée du pouvoir royal dans leur pays d’origine.

Attirés essentiellement par les vastes espaces atlantiques, les Norvégiens ont donc abandonné aux Danois et aux Suédois le soin de pénétrer le continent.

Menacés par la conquête carolingienne de la Nordalbingie, contre laquelle ils édifient un rempart de terre, le Danevirke, les Danois prennent à revers l’empire de Charlemagne, en portant leur principale attaque sur ses côtes septentrionales et occidentales et subsidiairement contre celles de l’Angleterre orientale et méridionale à partir de 810.

Un moment freinée par la construction d’une flottille de défense côtière exécutée sur l’ordre de Charlemagne, la pénétration normande de l’Occident par voie fluviale reprend au lendemain de la mort du souverain en 814. Avec elle débute le temps des pillages.

En 834-837, Dorestad est mise à sac ; en 841, la Seine, en 845, l’Elbe sont remontées par les flottes normandes. En fait, le maintien en Germanie d’une assez forte autorité royale épargne à l’intérieur de ce pays les conséquences les plus graves de ces invasions et en détourne les forces principales vers la Gaule, victime de la grande invasion des années 856-862. Rouen est pillée, un camp fortifié est établi dans l’île de Jeufosse sur la Seine en 856, Paris est incendié en 857 et Noyon mis à sac en 859 avec d’autant plus de facilité que, jusqu’à cette date, les héritiers de Charlemagne ont autorisé la poursuite du démantèlement des enceintes urbaines.

Devant les conséquences catastrophiques de ces pillages, les Carolingiens imaginent d’y mettre fin en versant des tributs aux Danois (danegeld). Cette pratique est inaugurée en 845 en Gaule et est adoptée v. 865 par les Anglo-Saxons ; elle se révèle finalement désastreuse pour ceux qui s’y soumettent. Alternant leurs raids, les Normands opèrent en effet sur l’une des deux rives de la Manche à la faveur de la trêve conclue sur l’autre aux fins de faciliter la collecte des fonds. Ainsi, la rentabilité des campagnes normandes se trouve-t-elle pour le moins doublée, ce qui a pour conséquence d’accentuer la ruine des indigènes.

Charles II le Chauve renoue avec la politique de Charlemagne et tente de réorganiser la défense de l’Occident. Il ordonne par le premier capitulaire de Pitres, de juin 862, de barrer le cours des fleuves par la construction de ponts fortifiés, tel celui de Trilbardou, qui empêche les Normands remontant la Marne jusqu’à Meaux de redescendre cette rivière ; d’autres ponts doivent assurer aux défenseurs la maîtrise de la Seine (Pîtres) et de la Loire (Les Ponts-de-Cé), sinon celle du Rhin, de la Somme, de la Garonne et même du Rhône, autres axes de pénétration des envahisseurs. Il prescrit la reconstruction des enceintes urbaines par le second capitulaire de Pitres de juin 864, favorisant ainsi la multiplication entre Seine et Rhin de nombreuses forteresses royales : Auvers-sur-Oise et Charenton dès 865, Saint-Denis en 869, puis épiscopales ou monastiques.

Faute d’argent et d’armée permanente, cette politique échoue sur le continent, alors qu’outre-Manche le roi anglo-saxon du Wessex, Alfred (871-899), parvient à juguler la progression danoise grâce à la construction d’une puissante flotte de haute mer et à l’organisation d’une importante armée appuyée sur tout un réseau de forteresses, les burhs. Malgré la victoire d’Edington, il doit abandonner au Danois Guthrumen en 878 la moitié nord-est de l’Angleterre : le futur pays du Danelaw.

Quoi qu’il en soit, les pillages, puis la pratique de danegeld ayant parachevé la ruine de l’Occident et accentué sa désorganisation à un point tel qu’aucune autorité n’est plus à même de répondre aux exigences financières des envahisseurs, les Normands se trouvent contraints dans un troisième temps d’en entreprendre la mise en exploitation directe. Il en résulte la constitution involontaire mais décisive et finalement bénéfique pour tous, vainqueurs ou vaincus, de sept États normands dont l’apparition plus ou moins précoce résulte de la ruine plus ou moins tardive des pays envahis.

Situés en territoire anglo-saxon, trois d’entre eux sont nés d’une initiative normande régularisée postérieurement par les souverains indigènes : les royaumes danois d’York (876-954), d’East-Anglia (877-917), et des Cinq Bourgs (877-942). Quant aux quatre autres, ils sont constitués en territoire franc en vertu d’une concession légale du souverain carolingien à des chefs danois célèbres : celui de Rüstringen (826-852) sur la basse Weser au profit d’un ancien roi de Danemark, Rorik ; celui de Walcheren et de Dorestad aux bouches du Rhin, de la Meuse et de l’Escaut (841-885) ; celui de Nantes à l’embouchure de la Loire (919-937) ; enfin celui de Rouen à l’embouchure de la Seine, qui doit son existence à la conclusion en 911 du traité de Saint-Clair-sur-Epte entre le Carolingien Charles III le Simple et Rollon, sans doute parent des jarls des Orcades, souche des ducs de Normandie.