Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Normands (suite)

• Textes scandinaves. Permettant de connaître de l’intérieur la société nordique et, par contrecoup, d’éclairer les causes des invasions normandes, ces textes, malheureusement moins riches et plus tardifs (v. 950) que les précédents, se regroupent en trois catégories principales :
— les inscriptions runiques, rares (deux mille environ), laconiques, surtout suédoises et n’évoquant que des aventures individuelles ;
— les poèmes scaldiques, apparus au début du xie s., mais dont la brièveté, l’obscurité et la transmission par voie orale jusqu’à la fin du xiie s. ne permettent une exploitation historique qu’à travers le miroir déformant de la mythologie et du folklore ;
— les sagas*, enfin, remarquables récits en prose transmis également par voie orale, mais dont la mise par écrit au plus tôt à la fin du xiie s. et au début du xiiie s. ne permet d’« offrir des événements autre chose qu’une vision littéraire », que complète, en latin cette fois, les Gesta Danorum, rédigés à la fin du xiie s. par Saxo Grammaticus.

Les sources archéologiques

En mettant au jour les camps édifiés par les Normands ou les trésors enfouis par leurs victimes, les fouilles archéologiques permettent de localiser les lieux où les envahisseurs ont séjourné pendant plusieurs mois, de déterminer le tracé de leurs raids continentaux, de préciser la nature, le type et la valeur de leurs armes, de leurs bateaux, de leurs bijoux et de leurs objets utilitaires, d’apprécier enfin l’importance et la direction de leur commerce à partir de l’étude des trésors monétaires découverts en Scandinavie. Dans cette perspective, il faut se souvenir que raids de pillage et tributs versés par les vaincus ont contribué plus ou moins largement à leur constitution. Encore ne faut-il pas oublier que, jusqu’au ixe s. inclus, les Normands ont fondu en général les métaux précieux qu’ils détenaient, leurs transactions commerciales étant réglées à partir d’un poids-étalon bien défini, auquel le système monétaire n’est substitué qu’au xe s. seulement. Ainsi se trouve sans doute expliquée l’absence des monnaies carolingiennes dans les sites datant du ixe s.

Les sources onomastiques et linguistiques

D’une importance fondamentale pour l’étude des peuplements, les sources onomastiques ne peuvent être exploitées que grâce à l’établissement d’inventaires critiques de l’anthroponymie et de la toponymie, qui existent en Angleterre, alors que seule l’étude des noms de personnes a été renouvelée en Normandie grâce aux travaux de Jean Adigard des Gautries. Quant aux sources linguistiques, elles n’ont été encore réellement exploitées que dans les pays anglo-saxons et celtiques.


Les facteurs de l’expansion normande

La surpopulation, qui entraîne une incontestable faim de terres, une éventuelle mais discutable dégradation climatique, une pression possible mais contestée de voisins puissants, enfin et surtout la recherche de nouveaux débouchés commerciaux ayant pour cause et pour conséquence la quête de l’or et de l’argent « aux dépens d’un continent riche, mal défendu et facile à exploiter » (Albert d’Haenens), tels sont les facteurs principaux des grandes expéditions normandes. Chaque expédition débouche sur une opération financièrement positive : levée d’un tribut aux dépens des vaincus, tel Charles le Chauve, qui doit verser 7 000 livres en 845 pour obtenir l’évacuation de Paris, tels les marchands de Dorestad et de Quentowic, lourdement frappés respectivement en 834-837 et en 841 et 844, tels les Frisons, également imposés ; réduction à l’esclavage, dans des buts spéculatifs, de nombreux habitants des régions envahies, destinés soit à alimenter les marchés d’esclaves nordiques, tels les Francs de Paris capturés en 857, soit à être libérés aussitôt contre le versement d’une forte rançon, tel le petit-fils de Charlemagne, Louis, abbé de Saint-Denis, fait prisonnier en 858 ; pillage fructueux des abbayes, tel celui dont est victime Saint-Bertin le 25 avril 891.

Les Normands et la guerre

L’instrument de la conquête : le bateau

• Long en moyenne de vingt à vingt-cinq mètres, large de trois à six mètres, muni de quinze à seize paires de rames, doté enfin d’un gouvernail latéral, ainsi que le révèlent les navires d’apparat dans les tombes royales de Tune, de Gokstad et surtout d’Oseberg près d’Oslo, le snekkja est un bateau non ponté qui possède une poupe et une proue ornées de figures fantastiques auxquelles il doit indûment le nom de drakkar.

C’est un bateau léger, ayant un faible tirant d’eau et par conséquent facile à échouer sur la plage, qui bénéficie de trois progrès considérables réalisés au viie et au viiie s. : l’adoption de la voile rectangulaire, l’amélioration de la quille et le bordage à clin. Le snekkja, qui est sans doute très confortable, possède des qualités nautiques exceptionnelles le rendant aussi apte à la navigation maritime qu’à la navigation fluviale ; il peut, sans rupture de charge, assurer le transport au cœur du pays ennemi d’un équipage de quarante à cent personnes auquel il sert de camp mobile, d’entrepôt d’armes, de produits alimentaires et de butins, ainsi que d’instrument de retraite en cas d’urgence. Mais il est tout aussi capable de franchir les océans sans dévier de sa route en recourant à des moyens astronomiques admirablement maîtrisés par les Scandinaves.

L’adaptation à la guerre continentale

Les Normands mobilisent sans doute des effectifs peu nombreux, de l’ordre de trois cents à quatre cents combattants représentant l’équipage de trente à quarante snekkja, utilisent (à la seule exception de la grande hache de combat) un armement sorti pour l’essentiel des ateliers francs (épée longue à deux tranchants, poignard, bouclier, arc, javelot, casque de cuir) ou imité des machines de guerre franques (triple bélier fait de madriers ; chat, ou galerie protectrice de bois recouvert de cuir frais ; mantelet, abritant trois ou quatre combattants ; catapulte, projetant des pierres). En fait, ils doivent leurs victoires continentales à leur exceptionnelle aptitude à s’adapter aux conditions d’un combat terrestre se déroulant loin de leurs bases maritimes et fluviales : organisation d’une cavalerie déjà dotée de l’étrier, qui leur permet des déplacements rapides ; installation, sur les rives des fleuves ou dans des îles, de camps fortifiés à l’abri desquels ils peuvent fabriquer leur machine de guerre, réparer et fourbir leurs armes, entreposer nourriture, fourrage, bétail et autres butins (Saint-Florent-le-Vieil, Jeufosse et en 885 Saint-Germain-l’Auxerrois près de Paris, etc.) ; pratique d’une guerre d’embuscade visant à surprendre l’adversaire en l’attaquant de préférence un dimanche ou un jour férié, tel Paris assailli le matin de la fête de Pâques en 858 ; recours au feu pour semer la panique tout en détruisant les fortifications de l’adversaire (Paris le 27 nov. 885) ou les ponts par lesquels il maintient ses communications avec l’extérieur (Paris le 2 févr. 886).