Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Noirs des États-Unis (les) (suite)

Les équipements sociaux sont déficients dans les ghettos. Les écoles, subventionnées par les impôts locaux, disposent de moyens insuffisants, les enfants noirs accusent un retard scolaire de deux ou trois classes sur les enfants blancs du même âge. Les lacunes des transports publics se font gravement sentir dans un milieu où la possession d’une auto n’est pas universelle. Les rues ressemblent à des décharges publiques. Les terrains de sport manquent. Le prix des denrées est, du fait de l’insécurité ambiante et des limites de la concurrence, plus élevé que dans les quartiers blancs. La pauvreté frappe l’observateur, d’autant plus qu’elle forme un îlot dans le pays le plus riche du monde.

Depuis une quarantaine d’années, davantage encore dans les quinze dernières années, la communauté noire a pris conscience des moyens politiques dont elle dispose pour améliorer son sort. Les lois de 1964-65, les décisions des tribunaux fédéraux, l’action du département de la Justice (en particulier à l’époque où Robert Kennedy* en était le chef) ont encouragé les Noirs à s’inscrire sur les listes électorales. Les sept États les plus importants dans les élections présidentielles (Californie, New York, Pennsylvanie, Texas, Illinois, Ohio, Michigan) comptent 6 millions d’électeurs noirs : quel parti pourrait se désintéresser de leur vote ? Certainement pas le parti démocrate, qui, depuis Franklin D. Roosevelt et surtout John F. Kennedy*, s’est efforcé de rallier les suffrages des minorités ethniques et raciales. La victoire de Kennedy en 1960 fut acquise de justesse ; les Noirs, qui, dans leur quasi-unanimité, soutenaient le candidat démocrate, ont joué un rôle décisif. Les républicains aussi voudraient s’attacher cet électorat, mais les sourires qu’ils lui adressent manquent de conviction, dans la mesure où le parti doit en même temps satisfaire les désirs d’une clientèle conservatrice et tâcher de s’imposer solidement dans le Sud. En outre, les deux formations politiques ne peuvent pas oublier que les ouvriers blancs ne se sentent nullement solidaires des Noirs, qu’ils les excluent quelquefois de leurs syndicats, refusent de vivre à leurs côtés.

Si les Noirs continuent de faire confiance à des élus blancs, ils élisent un plus grand nombre d’entre eux. En 1930, aucun Noir ne siégeait au Congrès ; vingt-sept seulement participaient aux travaux des assemblées législatives des États non sudistes. Aujourd’hui, les Noirs comptent douze représentants à la Chambre fédérale, un sénateur, cent quatre-vingt-dix-huit parlementaires d’États. Cinquante et une villes ont choisi un maire noir : Cleveland, Gary et Newark sont les exemples les plus marquants. Des électeurs blancs ont donc fait confiance à un Noir : peut-être sera-t-il possible bientôt pour l’un des deux grands partis de présenter un candidat noir à la vice-présidence. Enfin, un Noir siège à la Cour suprême depuis 1967, et le président Nixon a pourvu de titulaires noirs onze postes de juges fédéraux.

Pourtant, de 1964 à 1968, les ghettos se sont enflammés à diverses reprises. Il n’est pas douteux que l’alliance des bourgeois noirs avec les libéraux blancs a vécu. La NAACP continue de jouer un rôle ; ses 500 000 membres, dont 20 p. 100 sont blancs, souhaitent l’intégration des Noirs à la société américaine, une Amérique pluraliste qui assurerait à tous l’égalité des chances et des droits. Mais son influence est faible dans les ghettos. La Ligue urbaine poursuit le même but depuis aussi longtemps : les lois votées dans les années 60 ont satisfait toutes ses revendications, mais n’ont pas complètement résolu le problème noir.

Au contraire, deux mouvements prêchent le séparatisme. Les musulmans noirs réclament la formation d’un État noir et commencent à régénérer la communauté par une morale sévère et l’adoption des lois coraniques ; leurs effectifs, difficilement évaluables, sont inférieurs à 100 000 membres. Les Panthères noires s’inspirent de Marx, de Mao et de Che Guevara ; partisan de la violence et de l’autodétermination, le mouvement a été vigoureusement poursuivi par la police et les tribunaux, combattu par la presse, affaibli par ses divisions internes et, tout compte fait, se limite à 1 500 activistes environ.

Dans leur immense majorité, les Noirs se tiennent entre les deux extrêmes et préfèrent défendre la notion de Black Power. Le slogan lancé en 1966 par Stokely Carmichael (né en 1942), qui présidait le Student Non Violent Coordinating Committee (SNCC, Comité étudiant et non violent de coordination), a été repris par le Congress of Racial Equality (CORE, Rassemblement pour l’égalité raciale), qui s’est illustré en 1961 dans la lutte contre la ségrégation. Les successeurs du pasteur Martin Luther King* à la tête de la Southern Christian Leadership Conference (SCLC, Rassemblement des leaders chrétiens du Sud) ont été, à leur tour, influencés par le mot d’ordre. Mais le contenu est vague : pour les uns, il s’agit d’un appel à la violence, pour les autres d’un appel à la persuasion pacifique ; pour tous, il signifie que les Noirs veulent, désormais, s’occuper tout seuls de leurs propres affaires, qu’ils souhaitent entrer avec fierté et à part entière dans la société américaine.

Sans doute est-ce là la solution au problème noir. La société blanche ne peut se passer des Noirs, et la société noire ne peut se passer des Blancs. En revendiquant le droit d’être eux-mêmes, les Noirs s’efforcent de supprimer les dernières traces de leur soumission de jadis et de préparer leur intégration dans les États-Unis de demain. Encore faut-il que la majorité des Blancs le comprennent et fassent, de leur côté, les efforts indispensables.

A. K.

➙ États-Unis / Ku Klux Klan / Racisme.

 J. H. Franklin, From Slavery to Freedom (New York, 1947 ; 3e éd., 1967). / C. Fohlen, les Noirs aux États-Unis (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1965 ; 2e éd., 1967). / Report of the National Advisory Commission on Civil Disorders (New York, 1968). / R. L. Allen, Black Awakening in Capitalist America (New York, 1969 ; trad. fr. Histoire du mouvement noir aux États-Unis, Maspero, 1971, 2 vol.). /M. Fabre et P. Oren, Harlem, ville noire (A. Colin, coll. « U 2 », 1971).