Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Nezval (Vítězslav)

Poète tchèque (Biskupovice, près de Třebíč, 1900 - Prague 1958).


De beaucoup le plus doué, le plus brillant et le plus fécond des écrivains surréalistes tchèques, Nezval est avec Josef Hora (1891-1945) l’un des deux très grands poètes lyriques de cette génération de 1900, qui a donné tant de grands talents poétiques aux lettres tchèques (Konstantin Biebl, Jiří Wolker, František Halas, Jaroslav Seifert, Vilém Závada).

Nezval appartient, avec Biebl, Wolker, Seifert, au cercle d’écrivains communistes de la première heure groupés autour du théoricien Karel Teige (1900-1951), le propagateur infatigable de toutes les idéologies d’avant-garde. Mais le temps de la poésie dite « prolétarienne » (avec Hora, Wolker et le cénacle du Devětsil dirigé par Teige) est bien passé lorsque Nezval fait son entrée dans la littérature (si l’on excepte certains de ses tout premiers essais poétiques écrits de 1919 à 1921, avant la mort prématurée de Wolker) : avec le recueil lyrique intitulé le Pont, d’après sa pièce centrale (Most, 1922), le poète donne le ton à la nouvelle tendance, dont Teige définira le programme (1923). Le « poétisme » est né : « Il ne faut point demander à un musicien de réformer le monde, mais on peut l’encourager à chanter », dit Nezval, et « la poésie idéologique de tendance est le dernier vestige des codes et grammaires rimes du Moyen Âge à l’usage des écoliers », renchérit Teige.

Les deux fondateurs du poétisme, qui prêchent désormais l’association du rêve à la réalité, la mort de la logique discursive, la confusion du présent, du passé et de l’avenir, sont, ainsi que tous leurs amis, restés communistes, mais leurs modèles ne sont plus Essenine et Maïakovski. Comme l’école surréaliste française, ils se réclament de Baudelaire, Poe, Rimbaud, Proust et surtout Apollinaire. Encore en 1930, Nezval traduit l’œuvre de Rimbaud, il adapte Calderón. En 1934, avec Teige, il fonde un groupe explicitement surréaliste, qui perpétua le poétisme et se maintint jusqu’en 1938. Il livre en 1937 ses réflexions de théoricien sur la poésie (Moderní básnické směry).

Vingt années de fidélité au surréalisme nous mènent finalement en pleine guerre mondiale et en pleine occupation nazie. Nezval avait vécu la Première Guerre mondiale en collégien curieux d’expériences sensuelles précoces (voir surtout sa Chronique de la fin d’un millénaire [Kronika z konce tisíciletí, 1929]). La Seconde l’affecte plus profondément, l’installe idéologiquement dans des positions communistes plus combatives et plus orthodoxes (son « prolétarisme » des années 20, assure le critique Arne Novák, était plus affaire de mode que de conviction), mais ne l’éloigné pas sensiblement de ses positions esthétiques antérieures : son hédonisme foncier transparaît encore dans ses poésies du temps de guerre (1939-1945), publiées dès 1945.

Après ces sept années de silence forcé, Nezval fut relativement très peu productif (si l’on excepte les poésies publiées en 1945) : le jdanovisme qui régna en Tchécoslovaquie de 1948 à 1953 correspondait fort peu aux aspirations de cet improvisateur polyphoniste. On notera pour cette période le Chant de la paix (Zpěv míru, 1950), où le poète, sans rien abandonner de sa manière, fait, quant au thème, un effort d’adaptation aux exigences de la politique communiste du moment. Au reste, écrivain fêté et honoré, il vit la collection de ses œuvres complètes éditée régulièrement à partir de 1950 par la maison de l’Union des écrivains. Mais les grandes années surréalistes sont passées.

Nezval est essentiellement poète. Il a cependant touché à tous les genres. On discerne l’influence de la prose baudelairienne dans son roman autobiographique Kronika z konce tisíciletí (1929) et de celle de Proust dans Monaco (1934). Anička skřítek a slaměný Hubert (1936) est un conte pour enfants. Pour le théâtre, il écrit des drames lyriques en forme de songes fantastiques, des comédies en plusieurs tableaux, des adaptations de l’abbé Prévost et de Calderón. On notera son drame la Peur (Strach, 1930). Sous l’influence du film muet, du mime et de la chorégraphie, Nezval affectionne la composition de livrets de ballets. Dans toutes ces œuvres réellement mineures, on retrouve la liberté d’allure, l’alchimie verbale, la sensualité qui caractérisent ses pièces lyriques. Improvisateur de génie, Nezval a excellé dans la pièce lyrique simple : il ne bouscule pas le vers traditionnel, mètres et rimes n’ont rien de particulièrement recherché ; au contraire des anciens poètes, il ne change jamais l’ordre prosaïque des mots ; il veille seulement à terminer son vers par un mot long, qui souligne la rime. Mais à l’intérieur du vers, c’est un feu d’artifice de pensées souvent associées par la seule raison que leurs signifiants ont une texture phonique voisine (comme kavalír « gentleman » et klavír « piano »). Le mot est choisi en fonction de sa beauté et il s’associe de lui-même à ses voisins par affinité. Écriture semi-automatique, calembours, rien n’effarouche le poète. Le poème est une jouissance pour les yeux (calligrammes, acrostiches...) et pour les oreilles : les pièces de Nezval sont à lire de façon monotone et solennelle, comme des incantations ou comme des psaumes, car les mots chantent d’eux-mêmes et font danser les idées. « Les pensées s’associent aux pensées comme les nuits aux nuits », nous dit-il (le Manteau de verre [Skleněný havelok, 1931]).

« Manque total d’autocritique et de discipline », telle est une des notes qu’Arne Novák attribue à Nezval, dont le même critique dit cependant qu’il éclipse absolument la monodie de son rival Seifert, le révolutionnaire intransigeant. L’inspiration de Nezval puise à différentes sources : d’abord ses souvenirs d’enfant et d’adolescent sensuel, une illusion d’adolescence perpétuée qui le remplit de volupté, ses impressions de la campagne morave, tout un monde grâce auquel le poète s’évade du quotidien ; ensuite l’érotisme, une sensualité inaccessible au tragique de l’existence et dépourvue de toute sentimentalité ; puis un progressisme joint au sentiment que nous sommes tous unis, malgré nos barrières individuelles, par la civilisation moderne ; enfin, de temps en temps, la peur du temps qui passe et qui dévore la vie, la peur de l’infini, de la profondeur et du silence de la nuit.