Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Navarre (suite)

Contrastant avec les paysages dénudés des plateaux, les longs rubans verts des plaines alluviales qui accompagnent les basses vallées pyrénéennes et celle de l’Èbre bénéficient de terres fertiles et d’eau en abondance. Ce sont les riberas. L’irrigation y est ancienne et a été notablement étendue avec la mise en service récente du canal de Lodosa et de celui des Bardenas sur la rive gauche du río Aragón. Contrairement à l’Aragon, les cultures de la betterave sucrière et de la luzerne n’occupent ici qu’une place modeste ; depuis une trentaine d’années, les cultures de légumes et de fruits ont, en effet, connu un spectaculaire développement. Elles sont assurées d’un large marché avec la croissance urbaine de l’Espagne actuelle, et les surplus sont traités dans d’importantes coopératives de conserverie établies à San Adrián et à Falces. À l’ouest de Tudela, la rive droite de l’Èbre s’est spécialisée dans la viticulture sous l’influence de la Rioja voisine.

Malgré cette extrême diversité, la Navarre a su conserver à travers l’histoire une réelle personnalité, fondée sur la maîtrise des routes qui s’y croisent. Située au débouché des vallées pyrénéennes (notamment du col de Roncevaux, qu’empruntaient les pèlerins se rendant à Saint-Jacques-de-Compostelle), sur la route qui relie les deux grands foyers économiques, vasco-cantabrique et catalan, communiquant aisément enfin avec Logroño et Vitoria, Pampelune (130 000 hab.) symbolise ce rôle de carrefour. Capitale provinciale, place forte frontalière, centre universitaire renommé, cette ville est surtout de nos jours un pôle industriel diversifié : industries mécaniques (notamment construction automobile), papier, extraction et traitement de la potasse.

R. L.


L’histoire


Les origines

Tout comme pour les Asturies*, le León* et la Castille* on a coutume d’étudier le royaume de Navarre à partir de la pénétration des Arabes en Espagne. Dans cette optique, il faudrait considérer que celui-ci doit son origine à la réaction des chrétiens face aux Arabes — conquérants du pays — dès le début de la Reconquista* (718). Toutefois, des études récentes montrent qu’il existait déjà auparavant une organisation politique dans cette région.

Les Romains, ne parvenant à aucun moment à dominer complètement l’Hispania, leur influence ne se fait pas sentir dans certaines parties de ce pays. Plus de quatre cents ans après l’invasion de l’Espagne par les légions romaines, le Nord résiste toujours ; l’empereur Dioclétien* fait alors de la Navarre la frontière des terres sur lesquelles il a imposé sa souveraineté et y installe des campements destinés à protéger les possessions romaines contre d’éventuelles incursions de Basques, de Cantabres et d’Astures.

L’arrivée des Wisigoths (412) ne modifie en rien la situation, et la lutte contre les nouveaux occupants ne connaît pas de trêve entre le ve et le viiie s. La résistance se poursuit contre les Arabes (711), et la Navarre conserve au nord comme au sud l’indépendance dont elle a joui jusque-là. Les rebelles musulmans de la vallée de l’Èbre, opposés à l’autorité d’‘Abd al-Raḥmān Ier, s’alliant à l’Empire carolingien, Charlemagne* décide d’intervenir dans la Péninsule, et le gouverneur de Saragosse se propose de livrer la ville qu’il administre, ainsi que Pampelune, pour éviter les représailles que le soulèvement risque de susciter. Deux expéditions sont envoyées devant Saragosse, mais l’insuffisance du nombre des assiégeants et la défection des alliés musulmans font échouer la prise de la ville. Lors de leur retraite, les troupes franques se heurtent à la coalition formée par les Navarrais, chrétiens et musulmans, ces derniers étant dirigés par les Banū Kasī, descendants d’un comte wisigoth qui s’est converti à la religion de Mahomet. Mis en déroute à Roncevaux (778), Charlemagne doit renoncer à ses ambitions à l’ouest des Pyrénées et se contenter de progresser lentement à partir de 785 en Catalogne*, où il établit une marche frontière (la Marche d’Espagne) de 150 km de large au sud des Pyrénées orientales destinée à servir de rempart aux attaques de l’islām.


Naissance de la monarchie navarraise

D’après la tradition, les guerriers navarrais et aragonais réunis au Sobrarbe (Aragon) à l’occasion de l’enterrement de l’ermite Jean, qui vivait dans une grotte appelée aujourd’hui San Juan de la Peña, font le serment de prendre les armes contre les Arabes et se donnent pour chef García Jiménez, qui s’installe, pense-t-on, en Navarre. Le premier souverain est Íñigo Arista († v. 852). L’un de ses fils, García Ier Íñiguez (v. 852-870), est le deuxième roi de Pampelune. Mort sans doute au cours d’une bataille contre les musulmans, il est remplacé par Fortún Garcés Ier (870-905), puis par Sanche Ier Garcés (905-925), frère du précédent, qui, battu par ‘Abd al-Raḥmān III* à Valdejunquera en 920, continue sans répit à s’opposer aux envahisseurs et parvient même à remporter quelques victoires (la Rioja, 921).

Pour se venger, le calife s’empare de Pampelune, qu’il détruit en 924. À la mort de Sanche Ier Garcés, son héritier étant mineur, la régence est confiée pour de nombreuses années à la reine Toda Aznar, qui participe aux côtés de Ramire II, roi de León, aux victoires de Simancas et d’Alhandega (939). Le fils de Sanche Ier, García II Sánchez Ier († 970), doit faire face à une série de luttes intestines et a pour successeur Sanche II Garcés Abarca (970-994), contemporain d’al-Manṣūr. La fille du comte de Castille Fernán González, Urraca Fernández, donne trois enfants à Sanche II Garcés ; l’aîné devient roi de Navarre sous le nom de García III Sánchez II le Tremblant (994-1000). Celui-ci, ayant tout d’abord vaillamment tenu tête à al-Manṣūr, ne peut cependant pas l’empêcher de raser sa capitale en 999.

Son successeur, Sanche III* Garcés le Grand (1000-1035), agrandit considérablement son royaume, qui englobe alors le comté d’Aragon, Pampelune, le Sobrarbe et la Ribagorza, une partie du León gagnée par les armes en 1034 (ce qui lui permet de porter le titre d’empereur) ainsi que certains territoires de Castille qu’il estime lui revenir de droit par son union avec la sœur du comte castillan García II Sánchez, assassiné en 1029 à la sortie du palais royal du León, le jour même de la concertation de son mariage. Il faut ajouter à cela la suzeraineté qu’il détient sur de nombreux comtes de Gascogne et sur celui de Barcelone, faisant ainsi de son État le centre politique de toute l’Espagne chrétienne. Il prend part à la bataille de Calatañazor, au cours de laquelle les chrétiens écrasent al-Manṣūr († 1002).