Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

naturalisme (suite)

« [...] Il appelle Naturalisme grossier, l’erreur de ceux qui révoquent en doute, que Dieu nous ait révélé que la vie éternelle s’acquiert par la foi en Jésus-Christ [...]. D’où ils concluent que la connaissance naturelle que tous les hommes ont de Dieu est capable, ou de leur procurer la félicité éternelle, ou à tout le moins de les préserver de la damnation, pourvu qu’ils vivent selon les lumières de la conscience [...]. Les Juifs ne font plus difficulté d’avouer qu’on peut parvenir au salut par la seule Religion de la Nature [...].

« [...] Le Naturalisme très grossier, selon cet auteur, est l’impiété de ceux qui ne reconnaissent point d’autre Dieu que le monde, ou que la matière. Il met dans ce nombre Vanini et Spinoza, et remarque que plusieurs y mettent aussi Hobbes. »

Au xviiie s., Furetière (1727) définira les naturalistes comme « ceux qui expliquent les phénomènes par les lois du méchanisme et sans recourir à des causes surnaturelles, comme s’ils n’en reconnaissaient aucune », et, dans l’Encyclopédie, Diderot reprendra une définition identique : « On donne encore le nom de naturalistes à ceux qui n’admettent point de Dieu, mais qui croient qu’il n’y a qu’une substance matérielle, revêtue de diverses qualités qui lui sont aussi essentielles que la longueur, la largeur, la profondeur, et en conséquence desquelles tout s’exécute nécessairement dans la nature comme nous le voyons ; naturaliste en ce sens est synonyme d’athée, spinosiste, matérialiste, etc. »

En plein xixe s., ce sens est encore vivant sous la plume de divers critiques, qui emploient le mot naturalisme comme synonyme de panthéisme ou de religion de la nature, à propos, par exemple, de Michelet, de George Sand ou de Victor Hugo (cf. Eugène Poitou, Du roman et du théâtre contemporain, 1857, et A. Nettement, le Roman contemporain, 1864).

Il n’est pas étonnant que ce mot latin, créé dans la langue philosophique, presque immédiatement francisé, demeuré, en raison de son sens, semi-clandestin jusqu’à la fin du xviie s., soit devenu commun, au xviiie et au xixe s., au vocabulaire de la médecine, de la géographie, des sciences de la nature et d’une pensée philosophique qui prenait appui précisément sur les progrès des sciences naturelles. Il arrivera à Zola — peu souvent — d’employer le mot dans son sens philosophique, comme antonyme de catholicisme par exemple dans l’ébauche de la Faute de l’abbé Mouret : « Serge catholique jusqu’à la fin, tandis que Blanche est la naturaliste, et va dans le sens libre de l’instinct et de la passion. »


Dans les beaux-arts

Dans le vocabulaire des beaux-arts, naturaliste est attesté au xviie s. : « L’art naturaliste est celui qui recherche l’imitation exacte de la nature, qui assujettit le dessinateur à imiter les objets avec simplicité et précisément comme ils sont » (H. Testelin, Conférences, 1675). Dans ce sens, le terme deviendra d’un emploi fréquent, surtout à partir de 1840, dans le langage des critiques d’art pour désigner l’attitude du peintre, qui, selon Baudelaire, rend fidèlement, minutieusement, ce que lui offre la nature, mais en comprenant ses « intentions ». On l’applique alors en particulier à l’école moderne des « paysagistes », mais aussi à la peinture et à la sculpture de la Renaissance : ainsi, déjà Stendhal, dans Rome, Naples, Florence, en 1817 ; ainsi également Thoré-Burger, qui oppose au « naturalisme » du laid le « naturalisme ardent et capricieux du Caravage, du Valentin, du Manfredi ou d’Ostave et de Murillo » (Salon de 1845) ; ainsi Taine, à propos de Léonard de Vinci (Nouveaux Essais de critique et d’histoire). Tandis que réalisme*, qui se répand à partir de 1850, désigne plutôt une doctrine esthétique, naturalisme désigne d’abord une manière, un style, l’attention portée aux aspects les plus plantureux des êtres, de la vie. À propos de la Femme piquée par un serpent, du sculpteur Clesinger (Salon de 1847), le critique Paul Mantz évoque par exemple « le plus entier naturalisme [...] ces chairs palpitantes, cet épiderme où éclate la fleur de la jeunesse et de la santé, cette opulente nature où l’on sent frémir le tressaillement de la vie ». Baudelaire écrit de son côté sur les « naturalistes » et les « coloristes » (Salon de 1846) : « Une couleur riche et abondante, des ciels transparents et lumineux, une sincérité particulière qui leur fait accepter tout ce que donne la nature, sont leurs principales qualités. »

Puis, à partir de 1860, lorsque une polémique esthétique s’engage entre la critique académique et les admirateurs de Courbet, de Manet et des « paysagistes », naturalisme se charge d’une signification doctrinale et se substitue, comme terme d’école, à réalisme, dévalorisé dans la mesure où il implique l’idée de la reproduction impersonnelle, tandis que le peintre naturaliste est un peintre de tempérament. Le critique d’art Castagnary, notamment, répète inlassablement le mot dans ses Salons, pendant toute la décennie de 1860, en lui faisant exprimer non seulement une prédilection pour les modèles qu’offre la nature, mais un système d’idées : la recherche du vrai, la volonté de « substituer l’interprétation de l’homme et de la nature aux mythes divins et aux épopées historiques ». Il fait converger l’acception philosophique et l’acception esthétique. « L’école naturaliste rétablit les rapports brisés entre l’homme et la nature. Par sa double tentative sur la vie des champs, qu’elle interprète déjà avec tant de puissance agreste, et sur la vie des villes, qui lui tient en réserve ses plus beaux triomphes, elle tend à engironner toutes les formes du monde visible [...]. Elle est issue des profondeurs mêmes du rationalisme moderne. Elle jaillit de notre philosophie qui, en replaçant l’homme dans la société, d’où les psychologues l’avaient tiré, a fait de la vie sociale l’objet principal de nos recherches désormais » (Salon de 1863).


En littérature, avant Zola