Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

Natsume Sōseki (suite)

Sōseki hésite encore entre l’enseignement et les lettres, quand, en 1907, le journal Asahi lui offre une collaboration permanente. Il donne alors sa démission de l’université et, pendant dix ans, il publie tout le reste de son œuvre dans ce journal, en feuilletons d’une régularité imperturbable, que la mort seule interrompra. Toujours imperméable aux remous de l’actualité, il construit ainsi une longue série de romans exemplaires, qui feront de lui l’un des plus grands écrivains du début de ce siècle avec, dans une manière différente, Shimazaki* Tōson et Mori* Ōgai. Comme ces derniers, le problème qui le préoccupe est la difficulté qu’éprouve l’homme japonais à s’adapter à l’évolution de la société nouvelle ; comme à ceux-là, un long séjour en Europe, une approche directe de la littérature occidentale lui permettent de juger en connaissance de cause. Et comme Tōson, mais à la différence d’Ōgai, Sōseki situe l’aventure personnelle, sentimentale, familiale avant l’expérience philosophique et politique. Le problème religieux l’a préoccupé pour un temps, mais ses conclusions seront négatives : s’il rejette le christianisme après mûre réflexion, il n’a que dédain pour les sectes bouddhiques, qui n’apportent aucune réponse aux inquiétudes de l’homme moderne, le zen en particulier, dont il a fait l’expérience dans sa jeunesse et dont il dénonce avec vigueur le vain formalisme, voire l’imposture dans Mon (la Porte, 1910), porte symbolique qui débouche sur le vide.

Sanshirō (1908) décrivait déjà le désarroi d’une génération de jeunes hommes issus de familles traditionalistes et jetés sans transition dans un monde qui se veut radicalement et immédiatement autre. Le déséquilibre qui en résulte et la solitude de l’intellectuel, dont l’évolution a été plus rapide que celle de son milieu, sont le thème de Kōjin (le Passant, 1913) ; les tourments que Sōseki s’inflige à lui-même et qu’il fait subir à son entourage traduisent sans nul doute les souffrances d’un auteur affligé de fréquentes dépressions nerveuses. La maladie qui déjà le mine n’est pas étrangère non plus au découragement qui apparaît dans Kokoro (le Pauvre Cœur des hommes, 1914) : ce roman singulier, dans lequel toute une génération se reconnaîtra, traduit cependant avant tout l’espèce de stupeur qui frappe les contemporains et les acteurs de la « Rénovation » de Meiji à la mort de l’empereur, symbole du Japon moderne.

Sōseki se ressaisit toutefois et entreprend un nouveau roman, Meian (Ombre et lumière), que la mort viendra interrompre. Cette fois, c’est la vie quotidienne de gens très ordinaires que l’auteur décrit avec minutie : un homme apprend qu’il doit subir une opération assez banale ; tout se passe du reste fort bien : la convalescence commence sans histoire, et pourtant sa vie entière et celle de son entourage s’en trouvent affectées ; l’analyse psychologique de l’individu face à la maladie est poussée ici à un degré d’acuité rarement atteint. Il est clair que cette œuvre ultime doit beaucoup aux longues méditations qu’une immobilité forcée imposait à un auteur rompu à l’introspection. Il n’est que de la comparer avec un feuilleton publié en 1915 pendant une période de rémission, Garasudo-no naka (Derrière une porte vitrée), réflexions sur la vie et la mort, mêlées d’anecdotes et de souvenirs anciens et récents, et qui s’achèvent sur une vision pessimiste : la vie n’est qu’un combat perdu d’avance contre la mort, mais le suicide ne serait qu’une défaite, inutile de surcroît.

Cette attitude explique peut-être l’attrait et l’influence que Sōseki aura, jusqu’à la fin, exercés sur quelques-uns des meilleurs écrivains de la génération suivante, qui le tiennent pour le maître, en particulier Akutagawa* Ryūnosuke, dont il révèle au public les premières nouvelles quelques semaines seulement avant de mourir.

R. S.

naturalisme

Zola se défendit d’avoir créé ce mot. « Mon Dieu ! oui, je n’ai rien inventé, pas même le mot naturalisme qui se trouve dans Montaigne, avec le sens que nous lui donnons aujourd’hui. On l’emploie en Russie depuis trente ans, on le trouve dans vingt critiques en France, et particulièrement chez M. Taine. Je le répète, un beau jour, à satiété il est vrai, et voilà tous les plaisantins de la presse qui le trouvent drôle et qui éclatent de rire. Aimables farceurs » (le Naturalisme, dans le Figaro, 17 janvier 1881, repris dans Une campagne, Paris, 1882 ; cf. Œuvres complètes, t. XIV, Paris, Cercle du livre précieux, 1969).


De fait, naturaliste, naturalisme étaient employés en français, depuis le xvie s., dans divers domaines : sciences naturelles, philosophie, critique d’art, esthétique littéraire. Mais c’est Zola qui les spécialisa, pour désigner un mouvement littéraire.


Dans les sciences naturelles

Dans le vocabulaire scientifique, le mot naturaliste désignait le savant qui étudiait les sciences de la nature, et plus particulièrement les sciences biologiques. La tradition lexicographique est, là-dessus, ininterrompue (Richelet, Furetière, Académie, etc.). Le Dictionnaire de Trévoux, en 1771, définit le naturalisme comme l’« histoire naturelle d’un pays ». Darwin intitule un ouvrage dans ce sens : Voyage d’un naturaliste autour du monde. Au xviie s., naturaliste a pu s’employer presque comme synonyme de médecin, si l’on en juge par ce titre de P. de La Martinière (Paris, 1666) : « Le Naturaliste charitable, traitant des principes, des parties, des puissances, des appartenances et des particularités de la nature humaine [...] et de ce que doivent faire ceux qui exercent la médecine. Avec un abrégé des noms, causes, signes et accidents de 590 maladies qui affligent le corps humain et la manière de les guérir. »


En philosophie

On pourrait croire que, des sciences naturelles, le mot est passé tout naturellement dans la philosophie. En réalité, il semble, dans ce domaine, d’un emploi encore plus ancien. Au milieu du xvie s., Ambroise Paré l’emploie pour désigner ceux qui n’admettent comme puissance suprême que la nature : « Les naturalistes épicuriens et athéistes qui sont sans Dieu » (Livre des animaux, 22). En 1684, dans ses Nouvelles de la République des lettres, Bayle signale l’existence d’un manuscrit latin du philosophe Jean Bodin, De naturalismo, écrit à la fin du xvie s. « Bodin, écrit Bayle, devint peu à peu fort suspect aux catholiques, par la liberté qu’il se donnait de condamner plusieurs choses dans leur religion. » Et, analysant un jugement de Dieckmann sur l’ouvrage de Bodin, il commente : « L’auteur considère trois espèces de naturalisme : le subtil, le grossier, et le très grossier. Le subtil consiste, selon lui, à dire que l’homme n’a point besoin, pour les actions spirituelles, d’une grâce intérieure de Dieu, que la Nature n’est point subordonnée à la Grâce, mais que ce sont deux puissances collatérales, et que la Nature a un mouvement efficace pour se procurer la Grâce [...].