Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
N

national-socialisme (suite)

Moeller van den Bruck préconise encore un Reich à la fois fédération et confédération, reposant sur des corps fédéraux, les Länder, des corporations politiques et des corporations économiques. Ainsi, l’État allemand reconstitué pourra, de nouveau, jouer un rôle dynamique et faciliter l’unité de l’Europe autour de lui. En définitive, Moeller van den Bruck apparaît comme le théoricien du néo-conservatisme, rejetant libéralisme, capitalisme, démocratie et marxisme au profit d’un État populaire et national, le Volksstaat. Il se suicide en 1925.

Toutes ces idées ont un très grand écho en Allemagne, surtout dans les milieux intellectuels, mais aussi dans une partie importante de la société allemande, d’autant plus qu’elles sont reprises et développées par des écrivains et des publicistes connus.


« Die Tat »

La revue Die Tat joua un rôle considérable. Fondée en 1908 par des intellectuels, cette revue d’universitaires qui ne veulent pas descendre dans l’arène politique est un centre de recherches pour un État et un socialisme nouveaux. Un homme marque cette entreprise de son influence, le juriste Carl Schmitt (né en 1888), théoricien du parlementarisme rationalisé, qui estime qu’une constitution n’existe que dans la mesure où elle exprime une réalité donnée. Schmitt souhaite un véritable pluralisme, que coordonnerait le président du Reich, pôle stable de la nation, élu qu’il est par le peuple et disposant du droit de référendum. En matière économique, Die Tat critique le capitalisme. L’économiste Ferdinand Fried (1898-1967) montre que, de 1860 à 1914, le capitalisme s’est figé et bureaucratisé. Il faut donc que l’État intervienne et facilite la vie économique autonome du pays. Marqué par la pensée de List, Fried préconise une économie autarcique.

Un troisième thème paraît souvent dans Die Tat : le rôle des Églises. Pour éviter le fascisme, il faut renouveler l’élite allemande : seule l’Église luthérienne, par sa notion du pouvoir (Obrigkeit), peut y aider. Or, au temps de Weimar, on l’a oubliée à cause de l’anticléricalisme du SPD et du catholicisme triomphant du Zentrum. Il faut donc renforcer l’influence du protestantisme pour que l’idéal communautaire, conforme à la tradition protestante, puisse interdire la transformation de l’État en un État totalitaire. Cette glorification du protestantisme, que l’on retrouve chez Max Weber*, tient une large place dans la pensée de cette époque.

Ainsi, tout au long de la république de Weimar se développe une pensée antilibérale, antidémocratique, qui veut un État fort, organisé, ne laissant pas de place aux traditions non germaniques, marxisme, catholicisme, capitalisme, etc. Ces thèmes, très proches de la doctrine nationale-socialiste, vont être profondément déformés par celle-ci dans un sens totalitaire, mais d’une manière suffisamment habile pour que la masse de la population ne se rende pas compte de cette déformation. Enfin, un dernier élément de la pensée nationale-socialiste s’est considérablement développé sous la république de Weimar, l’antisémitisme.


L’antisémitisme

L’antisémitisme* existe en Allemagne depuis qu’il y a des Juifs, mais pendant longtemps il a surtout été virulent dans les milieux ruraux, où le Juif était assimilé à l’usurier. Dans les années 1880 apparaît un antisémitisme d’un type nouveau, lié à la notion d’appartenance sociologique. Aussi, pour lutter contre les Juifs, il faut, disait l’historien Heinrich von Treitschke (1834-1896), favoriser les mariages mixtes de façon à intégrer les populations juives dans le peuple allemand. Paul de Lagarde (1827-1891) pense qu’il faut les assimiler. L’influence de cette pensée est considérable, d’autant plus que Treitschke est un historien très lu. Pour lui comme pour beaucoup de ses contemporains, les Juifs représentent un État dans l’État qu’il convient de résorber. Mais, très vite, l’antisémitisme prend une tournure différente, un aspect raciste, sous l’influence de Gobineau et surtout de deux de ses disciples, Richard Wagner* et H. S. Chamberlain. Dès lors, l’antisémitisme allemand sera à la fois raciste et nationaliste. L’influence de Houston Stewart Chamberlain (1855-1927), gendre de Wagner, puis conseiller de Guillaume II et qui, dès 1923, entre en relation avec Hitler, est considérable. Son livre les Assises du xixe siècle (1899) fait l’apologie de la race aryenne et des Germains. Cette idée avait déjà été exprimée en 1881 par Karl Eugen Dühring (1833-1921), le socialiste adversaire de Marx et d’Engels, qui, dans Die Judenfrage, demande que l’on sépare les Juifs des autres peuples et que l’on crée un État juif pour y déporter tous les Juifs. C’est lui qui, le premier, utilise la formule « les Juifs sont une Carthage intérieure ».

L’antisémitisme devient le thème essentiel du parti social-chrétien d’Adolf Stoecker (1835-1909). Sous l’influence de Dühring, ce parti préconise l’exclusion des Juifs de l’enseignement et de la presse, un numerus clausus à leur égard dans le barreau et la magistrature, l’interdiction des mariages mixtes, la confiscation des biens des capitalistes juifs. Ce mouvement s’accentue avec l’apparition de sociétés antisémites, comme la société Thulé (Thulegesellschaft), fondée en 1912. Ainsi se constitue un courant profond dans la bonne société allemande, qui se développe particulièrement au moment des crises politiques et économiques marquant le début et la fin de la république de Weimar. Ce mouvement a d’ailleurs un caractère antichrétien, car, à la suite de Fichte*, puis de Dühring, bon nombre d’antisémites dénoncent la falsification des Évangiles par la pensée juive. Fichte ne reprochait-il pas à Luther d’avoir fait une place trop importante à saint Paul, qui avait judaïsé le christianisme ? Paul de Lagarde, quant à lui, transforme Jésus en un rabbin de Nazareth. Il n’est pas le Fils de Dieu, comme le prétend la « légende biblique du Nouveau Testament ». Quant à Chamberlain, il voudrait prouver que Jésus n’est pas Juif, mais, comme David, le descendant d’une famille aryenne. Tous ces thèmes seront repris à l’époque nationale-socialiste par le mouvement chrétien allemand, dirigé par le pasteur Ludwig Müller (1883-1945), le futur évêque du Reich. Ainsi, l’antisémitisme hitlérien plonge-t-il très loin ses racines et sera-t-il pendant très longtemps dans la tradition de la pensée allemande. Il ne s’en écartera qu’à partir du moment où il passera à la liquidation des Juifs d’Europe.

Toutefois, c’est par la pensée autrichienne qu’a été nourri l’antisémitisme de Hitler ; celui-ci a subi en particulier l’influence de Georg Schönerer (1842-1921), dont s’inspire le Deutsche Arbeiterpartei Österreichs, et de Karl Lueger (1844-1910), chef du parti chrétien social autrichien.