Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

musique

Langage des sons qui permet au musicien de s’exprimer.



L’Antiquité

Le plus ancien document historique de théorie musicale est le Mémorial de la musique, qui remonterait au xxviie s. avant notre ère, et aurait été remis à jour par Confucius au vie s. Il définit un son fondamental donné par un tuyau de bambou et, à partir de cette base, les douze liu, ou demi-tons chromatiques. Les Chinois connaissaient les rapports numériques , donnent l’octave, la quinte, la quarte, appliqués à un tuyau ou une corde de longueur 1. Ils ont établi de la sorte un mode formé de quatre quintes successives, ramenées dans une octave, ou mode pentatonique qui ne comporte aucun demi-ton.

L’art des Chinois s’est répandu dans toute l’Asie orientale. L’Asie occidentale est redevable de la civilisation des Sumériens. Un instrument à vent découvert dans le cimetière d’Our en Chaldée et remontant à 2800 ans av. J.-C. donne après reconstitution les sons do, , mi, fa dièse, sol. Certaines mosaïques témoignent que la musique était liée aux cérémonies religieuses, aux fêtes publiques. La tradition musicale de Sumer pénètre l’Égypte, la Crète, la Grèce, Rome. Sur les murs des tombeaux égyptiens se trouvent reproduits des groupes de musiciennes-danseuses jouant de la harpe, du luth, de l’aulos double (instrument à souffle et à anche), de la cithare proche de la lyre, des crotales ou encore battant des mains. Plusieurs flûtes retrouvées ont pu être reconstituées et donnent des échelles assez semblables à notre gamme diatonique, limitée à 4, 5 ou 7 sons. Aucun document de cette tradition musicale ne nous est parvenu. Avec l’arrivée des Doriens, submergeant au xiie s. avant notre ère la civilisation égéenne, où brillait la Crète, commencent les temps historiques de la Grèce antique (viiie s.). Grâce à ses philosophes, à ses poètes et à ses théoriciens, nous avons pour la première fois la connaissance détaillée d’un système musical. La musique grecque a pour point de départ deux intervalles de quartes disjointes, soit quatre sons fixes déterminés par les rapports (octave, quinte, quarte) appliqués au monocorde des pythagoriciens. En inscrivant deux notes dans les espaces laissés vides de ces quartes, on obtient une gamme de sept sons (un son pour chacune des sept planètes, en relation avec les concepts des astronomes chaldéens).

C’est le mode grec par excellence, le mode dorien (doristi). En construisant une nouvelle série de sept sons à partir du , du do, du si, etc., on obtient six nouveaux modes. Quelques fragments de la musique grecque sont parvenus jusqu’à nous. Le plus ancien, un extrait de l’Oreste d’Euripide, date de 408 avant notre ère.

La musique grecque est essentiellement vocale, également instrumentale, mais le plus souvent monodique. Tout au plus, l’aulos double peut-il pratiquer grâce à ses deux tuyaux une polyphonie très simple, se limitant à des consonances parfaites (octaves, quintes, quartes). Rome hérite du système grec, de sa notation alphabétique, les lettres latines, sous l’impulsion de Boèce (v. 480-524), remplaçant les signes de l’alphabet ionien (les musiciens germaniques et anglais utilisent toujours les lettres A, B, C, etc., pour désigner les notes de la gamme). La musique joue, comme en Grèce, un rôle important dans la vie romaine. Elle accompagne les cérémonies religieuses ou profanes, a sa place au théâtre, dans les banquets, stimule l’ardeur des soldats au combat. Le christianisme, adopté par Rome au concile de Nicée en 325, va dominer la civilisation et intégrer l’art à la liturgie. Au départ, les mélodies du culte catholique seront empruntées au répertoire hébraïque, bien que la théorie grecque ait son rôle dans la formation des huit modes ecclésiastiques sur lesquels s’appuie le plain-chant*. Son répertoire, d’une grande richesse dans sa calme noblesse ou sa jubilation, transmis durant des siècles par tradition orale, subit des modifications suivant les contrées où il s’implante. Sa codification pour tenter de l’unifier sera l’œuvre du pape Grégoire Ier (v. 540-604), qui a donné son nom au plain-chant romain ou grégorien. Le quart de ton, hérité de la Grèce, de l’Asie, disparaît pour préserver la pureté du plain-chant à caractère diatonique, opposé au chromatique, également pour simplifier l’écriture dès qu’elle se précisera, surtout quand apparaîtra avec la polyphonie le concept de l’accord.


Le Moyen Âge

Les données de l’Antiquité vont subir au ixe s. une évolution capitale pour la musique grâce à trois inventions.

La première est à l’origine d’une notation non plus alphabétique, mais imagée, les neumes (du grec neuma, signe). Il s’agit d’un procédé mnémotechnique utilisé par les chantres afin de les aider dans l’exécution du répertoire appris par voie orale. Les accents aigu ou grave empruntés au grec (en latin virga et punctum) et placés au-dessus du texte indiquent une note aiguë ou une note grave de la ligne vocale. Un scribe astucieux eut l’idée de tracer une ligne pour mieux ordonner ces signes. Ce sont les « neumes alignés ». Cette ligne permettait de différencier trois sons : au-dessous, sur, au-dessus du trait. Il a suffi de tracer une deuxième ligne, puis une troisième, une quatrième (écriture du plain-chant) et une cinquième pour obtenir une portée, dont Gui d’Arezzo (v. 990? - v. 1050) a développé l’usage. L’appui de la plume du copiste élargira chaque note à sa partie supérieure pour former un carré, un losange et plus tard un cercle ; la hampe, elle, indiquera, après maintes conventions, la durée. Le système a une valeur visuelle, expressive, et, dès lors, les œuvres pourront être conservées, et leur état originel pourra être respecté.

La deuxième invention, qui va codifier la polyphonie, est l’origine d’une conception qui bouleversera l’orientation même de la création musicale. Les anciens Grecs, malgré le raffinement des intervalles qui régissent leur mélopée (accords subtils de la cithare, modes complexes avec usage du quart de ton), n’ont pu sortir de l’univers confiné où les contraignait l’emploi quasi exclusif de la monodie, c’est-à-dire d’un conduit sonore privé de tout accompagnement. C’est au ixe s. qu’on trouve, dans le traité du théoricien Otger de Laon, probablement le premier exemple de polyphonie notée à 2 voix. Car ce qui nous semble si naturel aujourd’hui, entendre plusieurs sons à la fois, est une conception assez récente. L’art populaire pratiquait peut-être une polyphonie primitive, mais l’organisation théorique de l’écriture à plusieurs parties simultanées, ses lois fondamentales sont au départ l’œuvre du ixe s. Toujours sous l’influence de la science grecque, les premiers intervalles employés se limitent aux consonances parfaites, octave, quinte, quarte, que donnent les rapports . La tierce (do-mi), donnée par le rapport et considérée comme une dissonance légère, n’apparaîtra qu’au xiiie s. Le parallélisme strict de 2 voix prend le nom de diaphonie. Celle-ci s’appelle organum quand elle s’organise suivant un schéma particulier. L’une des parties, empruntée à la liturgie, est la « teneur » (d’où le mot ténor), support de l’ensemble polyphonique. La voix qui accompagne (voix organale) et la teneur sont à l’unisson au départ et à la fin. Entre ces deux bornes, les deux parties se déplacent en maintenant l’intervalle de quarte. Le Rex caeli Domine d’Otger est un premier exemple d’organum (ixe s.).