Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Mozart (Wolfgang Amadeus) (suite)

Plaisir de la musique

Mozart a été le premier compositeur à bénéficier d’un catalogue thématique scientifique : c’est le Köchel-Verzeichnis (KV), établi en 1862 par Ludwig von Köchel, revu et mis à jour régulièrement ; la dernière révision sérieuse a été faite par Alfred Einstein. Un bon tiers des œuvres qu’il contient appartient à un genre dont les compositeurs contemporains semblent avoir perdu le secret, celui qui ne cherche qu’à plaire, qu’à divertir, sans que, pour autant, son auteur abandonne sa personnalité et son génie. Les divertissements, les cassations et les sérénades sont pourtant d’essence fort diverse : on y découvre aussi des œuvres très travaillées, de la musique de chambre, voire d’authentiques partitions symphoniques ; c’est ainsi que la Gran Partita (KV 370a) pour 12 instruments à vent a des accents étrangement tourmentés en ut mineur ; elle deviendra plus tard un quintette à cordes (KV 516b) ; deux sérénades (KV 248b Haffner et KV 320 « pour cor de poste ») deviendront de grandes symphonies (KV 248c et KV 320) par la suppression de certains mouvements. La célèbre sérénade en sol (KV 525), Eine kleine Nachtmusik, est un quatuor à cordes augmenté d’une contrebasse où se conjugue le monde romantique d’Abendempfindung (KV 523) et l’univers lyrique de l’Enlèvement au sérail et de Don Giovanni.

Une quarantaine de cassations, de divertissements et de sérénades, à peine moins de marches et près d’une cinquantaine de collections de danses, parmi lesquelles les menuets jouent un rôle particulier, combinent idéalement l’adaptation fonctionnelle aux bals de son temps avec la plus haute « pureté » musicale. Le plaisir de la musique devient plaisanterie percutante dans le sextuor (KV 522) sous-titré « Une plaisanterie musicale », où Mozart fustige les compositeurs médiocres et nous livre une sorte d’esthétique négative de son art. Les concertos pour basson (KV 186e), pour flûte (KV 285c et un admirable andante isolé [KV 285e] pour le même instrument), pour hautbois (KV 285d), pour cor, pour flûte et harpe (KV 297c : fusion très originale entre le concerto, la sérénade et la symphonie concertante) sont tous dépassés, malgré leurs splendeurs, par le concerto pour clarinette (KV 622), d’une perfection formelle, d’une élévation et d’une gravité incomparables, l’un des sommets de la musique. Il n’est pas certain, par contre, que la symphonie concertante pour 4 instruments à vent (KV 297b) soit bien de Mozart, du moins dans sa forme actuelle.

Six concertos pour violon (KV 207, KV 211, KV 216, KV 218, KV 219 et KV 320d, ce dernier un double concerto pour violon et alto, et non pas une symphonie concertante, comme on l’écrit souvent) constituent, au moins pour les quatre derniers, un des sommets du genre ; on regrette infiniment que Mozart n’ait pas continué un concerto pour violon et piano (KV 315f) dont le début permet d’affirmer qu’il serait devenu une de ses partitions majeures. Les quatuors pour flûte et cordes, hautbois et cordes, la sonate pour violoncelle et basson, le quintette pour cor et cordes ou les duos pour deux cors relèvent, eux aussi, du divertissement le plus parfaitement réussi, alors que le quintette avec clarinette (KV 581) s’élève à des hauteurs qui laissent entrevoir ce que sera le concerto pour clarinette. Il faut faire une place à part aux fugues de J.-S. Bach et de son fils Wilhelm Friedemann que Mozart a transcrites pour trio à cordes et dotées d’admirables préludes originaux (KV 404a), comme aussi au grand trio à cordes (KV 563), qui, malgré ses structures de divertissement, touche aux sommets de ce que l’on est convenu d’appeler la musique pure. Des vingt-trois quatuors à cordes, il faut avoir entendu au moins l’extraordinaire adagio qui sert de premier mouvement au premier quatuor (KV 89), œuvre d’un garçon de quatorze ans, et les six quatuors dédiés à J. Haydn, où l’on trouve une surprenante introduction (KV 465) presque atonale ; l’idéal du quatuor mozartien est peut-être celui en (KV 575). Dans la série des quintettes à cordes le quintette en sol mineur (KV 516) est sans doute le reflet musical d’une des expériences intérieures les plus profondes de Mozart.

Dès la première symphonie de l’enfant (KV 16), on rencontre un mouvement lent d’une étrange gravité, attestant que, pour lui, la symphonie est déjà ce genre majeur de la musique « pure » qu’il deviendra effectivement dans les dernières œuvres de J. Haydn et de Beethoven. Dans plus de cinquante partitions symphoniques, il faut relever la première trilogie, ut majeur (KV 173c), sol mineur (KV 183) et la majeur (KV 186a), comparable à celle de la fin de sa vie et couronnement de toute son œuvre symphonique, la symphonie en mi bémol (KV 543), la plus « mozartienne » peut-être dans son langage harmonique et son utilisation des clarinettes, celle en sol mineur (KV 550), fiévreuse, sombre et préromantique à souhait, et celle en ut majeur (KV 551), surnommée « Jupiter », peut-être en raison de son extraordinaire finale fuguée, qui est une sorte de « limite », au même titre que la sonate op. 111 de Beethoven. Mais, dès la symphonie en (KV 504), dite « de Prague », Mozart avait atteint à des sommets de contrepoint expressif qui font présager la Flûte enchantée ; l’adagio introductif a la puissance et la majesté des plus grands mouvements beethovéniens.


L’univers du clavier

Mozart était un pianiste et un organiste exceptionnels ; toutes ses pages dédiées au clavier sont à mettre à part dans ses compositions. Depuis l’étude de H. Dennerlein (Mozart-Jahrbuch, 1958), nous savons que bien des pages considérées comme des œuvres pour piano ont été, en fait, destinées à l’orgue, comme l’adagio en si mineur (KV 540) ou le prélude et fugue en ut majeur (KV 383a), ou surtout l’adagio et fugue en ut mineur (KV 546/426), souvent joué à l’orchestre ou sur deux pianos, un des sommets de la musique contrapuntique magnifiant les timbres de l’orgue presque au même titre que les fantaisies en fa mineur (KV 594 et KV 608) qui servirent de modèle aux dernières sonates de Beethoven. Ces deux fantaisies, originairement destinées à un orgue mécanique à rouleaux permettent d’imaginer ce que serait devenu le style de l’orgue si Mozart avait obtenu d’être le titulaire d’un des grands instruments qu’il convoita. C’est dans ce contexte qu’il faut citer les deux pages pour « harmonica » ou « harpe de verre », instrument à clavier dont les petits marteaux frappaient des cloches de verre et qui est aujourd’hui remplacé par le célesta ; l’adagio et rondo (KV 617) est un frère instrumental de l’Ave verum.