Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Moyen Âge (philosophie du) (suite)

• Cassiodore (v. 480 - v. 575). Il a, tout comme Boèce, exercé une activité politique sous Théodoric ; mais ce fut un érudit plus qu’un philosophe. Il assura la conservation de la culture classique et patriotique, notamment en rassemblant une riche bibliothèque dans son monastère de Vivarium en Calabre. Quant à son œuvre, Institutiones divinarum et humanarum lectionum (les Institutions des lettres divines et séculières), c’est une sorte d’encyclopédie qui contient une introduction à la théologie et à l’Écriture sainte ainsi qu’un précis des sept arts libéraux.

• Isidore de Séville (v. 560-636). Cet archevêque espagnol rassembla toute la science de son temps dans ses Etymologiae (Étymologies). Il y reprend l’idée familière à l’Antiquité selon laquelle les noms, loin d’avoir été arbitrairement choisis, reflètent la nature des choses : on sait par exemple presque tout de l’essence de l’homme quand on s’avise que son nom vient de la terre, homo ex humo... Les médiévaux, adeptes de cette conception, répétèrent de génération en génération cette masse d’étymologies le plus souvent fantaisistes.

Le problème des universaux

Le fameux problème, familier à toute la pensée du Moyen Âge, était le suivant : les genres et les espèces sont-ils des réalités subsistantes par elles-mêmes ou bien n’ont-ils d’existence que dans l’esprit qui les conçoit ? Par-delà la formulation un peu technique et abstraite, on peut voir dans ce problème l’effort de la pensée médiévale pour confronter les deux sources fondamentales de l’Antiquité : Platon et Aristote.


La renaissance carolingienne

En dehors d’Alcuin et de ses disciples — Frédégis († 834) en France, Raban Maur (v. 780-856) en Allemagne —, un « penseur génial » caractérise cette époque : Jean Scot* Érigène. D’origine irlandaise, il arriva à la cour de Charles II le Chauve vers 846 pour enseigner. Ses premières œuvres sont des commentaires et des traductions (notamment ceux de la Hiérarchie céleste du pseudo-Denys l’Aréopagite). Son penchant le porte irrésistiblement vers les textes grecs. Son De divisione naturae (De la division de la nature, 865) traité en cinq livres, est son œuvre capitale. L’ouvrage est plusieurs fois condamné par l’Église. C’est que Jean Scot place si haut la raison qu’il lui subordonne l’autorité des Pères. Pour lui, d’ailleurs, il ne saurait y avoir de véritable conflit entre l’une et l’autre : toute cloison est abolie entre philosophie et religion. Mais de l’affirmation de saint Augustin* : « La vraie philosophie n’est autre que la vraie religion, et, réciproquement, la vraie religion n’est autre que la vraie philosophie », il retient surtout la seconde partie : la philosophie est la voie royale d’accès au ciel... Son instrument en est la dialectique, qui procède de l’un au multiple, et réciproquement.

Aucun disciple ne lui est, même de loin, comparable, mais son influence est perceptible, en particulier dans l’école monastique d’Auxerre (dont les deux représentants principaux sont Heiric [841 - v. 876] et Rémi [† v. 908]).

La dialectique chez Jean Scot Érigène

Dans De la division de la nature, la dialectique est d’abord un procédé de la pensée qui permet de considérer l’univers soit « divisé », comme le titre l’indique, c’est-à-dire multiple, soit un, puisqu’on peut ramener à l’unité la division fondamentale du Créateur et de la créature. Mais, selon une vision grandiose et beaucoup plus moderne, elle est aussi, en quelque sorte, une réalité historique. Elle se réalise dans l’Histoire sainte. La division s’introduit dans la créature de Dieu (l’homme) par le péché. L’apparition du corps est le terme extrême de la descente. Le mouvement de réunification est constitué par le retour de l’homme à sa nature originelle ; il est préfiguré par l’incarnation du Verbe, qui annonce la remontée universelle de la fin des temps, quand le corps lui-même redeviendra esprit et que la nature humaine sera finalement totalement transportée en Dieu. Ainsi, l’enfer lui-même se résorberait finalement au sein de la divinité...


Le xie siècle

Le xie s. est dominé par la personnalité de saint Anselme*. Dans la lignée d’Augustin et de Jean Scot, Anselme associe étroitement foi et raison. Mais il insiste particulièrement sur le rôle de phare, de lumière que joue la foi : « Fides quaerens intellectum », dit-il (la foi cherchant l’intelligence). On ne cherche pas à comprendre pour croire, mais on croit pour comprendre. Le point de départ de la connaissance n’est pas entièrement rationnel, il est élan ; son point d’arrivée, qui est amour de Dieu, ne l’est pas non plus.

L’argument ontologique

C’est l’argument unique du livre de saint Anselme, le Proslogium. La tradition philosophique l’a appelé argument « ontologique ». Il consiste à déduire l’existence de Dieu de son essence. Il est évident que Dieu est l’Être tel qu’on n’en peut penser de plus grand ; si cet être existait seulement dans l’intelligence et non pas dans la réalité, il serait possible de penser un autre être qui : aurait toutes les perfections du premier, avec, en plus, celle d’exister dans la réalité ; ce second être serait donc plus grand que celui dont on a dit qu’on n’en peut concevoir de plus grand, ce qui est absurde ; en conséquence, l’être dont on ne peut concevoir de plus grand existe dans la réalité, et c’est Dieu.

Un moine de Marmoutier, Gaunilon, objecta qu’il n’est pas d’une saine méthode de déduire l’existence de l’essence... Critique profonde que Kant*, plus tard, adressera à Descartes*.


La renaissance du xiie siècle

C’est une réactivation de l’héritage culturel de l’Antiquité, un peu à la façon qui sera celle du xvie s.

• Elle est accomplie tout d’abord par l’école de Chartres* déjà célèbre au xie s. sous l’évêque Fulbert et où s’illustrent : Bernard de Chartres, pédagogue remarquable (écolâtre de 1114 à 1119, puis chancelier de 1119 à 1126) ; Gilbert de La Porrée, théologien subtil (chancelier de 1126 à 1140) ; surtout Thierry de Chartres (chancelier de 1142 à 1150), qui accède au platonisme par l’intermédiaire de Boèce et, au-delà, au pythagorisme (il mêle la science du nombre et les considérations métaphysiques, créant une sorte de pythagorisme chrétien, qui, à sa manière, est un effort d’intellection de la foi comme chez saint Anselme) ; Guillaume de Conches (v. 1080 - av. 1154) et son disciple Jean de Salisbury (v. 1115-1180) enseignent également à Chartres à partir des textes de Platon, de Sénèque, de Boèce.