Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Arabes (suite)

La prose. Le Coran

• La prose rimée. Les premiers monuments de la littérature archaïque ne semblent pas avoir été en vers, mais en prose rimée et rythmée. Normal était l’usage de cette forme stylistique dans les adages ou les proverbes anciens ; ainsi en allait-il également pour les textes divinatoires ou magiques attribués aux « voyants » dans l’Arabie païenne. L’allure apocryphe de ces textes éclate certes quand on les replace dans les narrationes qui les accompagnent et leur servent de commentaires. On ne saurait toutefois ni être offusqué ni être surpris par l’usage de cette prose rimée, si chargée de résonances mystérieuses et sacrées, dans les révélations reçues et transmises par le Prophète de l’islām.

• La prédication du Coran. L’expérience religieuse vécue à La Mecque par Mahomet vers l’an 612 doit être assimilée à celle des grands inspirés. Porteur d’un message divin, Mahomet a reçu le sien par l’intermédiaire d’un archange ; pendant dix années (de 612 à 622), il a prêché sans succès ses contribules de La Mecque, hommes durs, préoccupés uniquement de leur négoce, sourds à l’appel du monothéisme. En 622, suivi d’une centaine de disciples, le Prophète de l’islām quitte cette ingrate cité et s’installe à Médine, une oasis à huit jours au nord de La Mecque ; l’accueil favorable d’un groupe arabe et la présence d’une communauté juive sont pour lui une confirmation de sa mission. Le ton des révélations change alors. Si l’espoir d’être entendu des Juifs médinois se dissipe vite, en revanche s’impose la tendance à fonder une communauté monolithique où est substitué au particularisme tribal l’esprit d’une Église soumise à Allāh et à son Prophète. À partir de l’installation à Médine, les messages reçus ne sont plus simplement des appels au repentir, mais des textes organiques régissant le statut des biens et des personnes et les rapports des croyants avec l’ensemble de la péninsule arabique. En 632, Mahomet s’éteint à Médine ; sa mission est achevée.

• Constitution de la Vulgate coranique. Du vivant même du Prophète, des fragments de révélation avaient déjà été notés par des fidèles ; il est toutefois peu probable que ces initiatives, purement individuelles, aient été étendues à une collecte d’ensemble. La « sanction de l’écriture » ne s’impose vraiment aux esprits qu’après la mort du maître. Des recensions personnelles, visant à être globales, furent réalisées au cours des années 632 et suivantes par certains compagnons du Prophète, et en particulier par le premier calife, Abū Bakr. Devant cette pluralité de corpus individuels et la menace qu’elle représentait pour l’unité de la jeune religion, ‘Uthmān, le troisième calife, conçut le projet de fondre en une Vulgate l’ensemble des textes notés ou oraux. Une commission réalisa ce dessein avec diligence. Cette recension ne semble toutefois pas avoir reçu d’emblée l’agrément de tous ; de pieuses gens comme ibn Mas‘ūd et d’autres, dévoués aux ‘Alides, semblent, en particulier, s’être attachés à conserver leur propre recension ; au xe s., en Iraq, il en subsistait quelques exemplaires qui fournissaient une séquence des surates différente de celle qu’offrait la Vulgate ‘uthmānienne. En dépit de ces résistances, cette dernière finit cependant par s’imposer à l’ensemble de la communauté, même aux chī‘ites, sectateurs des ‘Alides. Par une étrange contradiction, en effet, ceux-ci, dans leurs controverses avec les sunnites au sujet de l’intégralité de la recension ‘uthmānienne, feront sans cesse référence à celle-ci. Au calife ‘Uthmān revient donc le mérite d’avoir doté le monde de l’islām d’une Vulgate considérée comme canonique. Il restait toutefois à réduire dans toute la mesure du possible la déficience du texte résultant de la graphie arabe. Des améliorations seront certes apportées sous le calife ‘Abd-al-Malik, mais seront somme toute limitées. C’est seulement au xe s., par l’introduction du diacritisme et des voyelles brèves en la forme que nous leur connaissons, que la Vulgate coranique prendra sa forme définitive.

• Aspect général de la Vulgate. Le Coran, comme corpus des textes révélés, se présente en cent quatorze chapitres, ou surates, rangés en gros par ordre décroissant de longueur. Ce classement étrange, mais probablement fixé par Mahomet de son vivant, a si totalement bouleversé la chronologie que nous avons l’impression de lire ce livre sacré en commençant par la fin ; les plus longues surates, en effet — celles du début de recueil —, datent en général de révélations reçues à Médine entre 622 et 632, tandis que celles qu’on trouve à la fin — en fait les plus courtes — remontent aux débuts de la prédication. Chacun des chapitres est composé de plusieurs fragments révélés, qui ont été groupés parce qu’ils portent sur les mêmes problèmes ou développent des thèmes identiques. Le style est caractérisé par l’emploi constant de la prose rimée ; la division en versets est sentie par l’apparition de clausules souvent groupées en des ensembles richement assonancés ou rimés. L’effet musical est remarquable et procure même à un lecteur ne connaissant pas la langue une impression identique à celle qu’on recherche dans la poésie pure. À chaque surate a été donné un titre souvent tiré des premiers versets ou d’un passage prégnant.

• Le Coran source d’un humanisme. Pour le musulman, le Coran est un message adressé par Dieu à l’humanité, par l’intermédiaire d’un archange qui l’a transmis à Mahomet. Celui-ci y est d’ailleurs fréquemment désigné sous le nom d’« Annonciateur » ou d’« Avertisseur », ce qui, naturellement, ne fait que préciser la nature de la mission apostolique à lui confiée. Ce message provient d’un archétype céleste consigné sur une Table auprès du Seigneur ; l’emploi de l’arabe confère donc à cet idiome une précellence qu’il conserve aux yeux des fidèles. Ceux-ci se sentent au fond investis d’un devoir complexe : s’imprégner de ce texte, l’apprendre par cœur, en approfondir tous les secrets et toute la grandeur. Depuis treize siècles, la révélation coranique, à la fois verbe de Dieu et loi religieuse, porte également en soi les manifestations d’une beauté inégalée et miraculeuse. Cette certitude suit la conversion même du croyant ; elle le guide et le soutient comme le montre l’expérience personnelle de Mahomet. De là est née une conception ayant valeur de dogme : l’« inimitabilité » du Coran, lequel met au défi à plusieurs reprises les infidèles de produire « un texte comparable même avec l’assistance des djinns ». En face de cette ferveur, l’historien cède à d’autres tendances sans pour autant qu’il soit fermé à l’exceptionnelle valeur de ce monument littéraire qu’est ce message. Grâce à celui-ci, en effet, nous possédons le plus ancien et le plus authentique témoignage sur les formes esthétiques de l’arabe au début du viie s. ; par lui et après un reclassement des surates fondé sur les thèmes développés par Mahomet dans sa prédication, l’islamologue est en mesure de découvrir les sources mêmes de la pensée arabo-islamique ; à partir de lui vont prendre leur essor non seulement la grammaire, la rhétorique et l’exégèse, mais aussi des systèmes juridiques et théologiques qui ont abouti à une remise en question de la philosophie hellénistique en sa forme médiévale ; sans lui, enfin, il se révélait impossible de découvrir les fondements d’un humanisme et d’une littérature dont l’éclat rayonne sur le Proche-Orient et le Maghreb depuis plus d’un millénaire.