Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Arabes (suite)

L’écriture arabe

Par une démarche à la fois singulière et normale, l’art d’écrire a été considéré dès le vie s. dans le domaine arabe comme la manifestation d’une activité mystérieuse et magique. Dans le Coran, l’écriture est un don de Dieu et permet à l’homme de fixer la Révélation, laquelle se trouve déjà consignée sur une « Table bien gardée ». Dans la poésie archaïque du vie s. revient souvent une comparaison où le signe évoque les traces d’un objet fascinant. Dès cette époque, l’art d’écrire est en usage au Yémen, dans les ports caravaniers de la route de l’encens et dans les communautés juives et chrétiennes de Nadjrān, de Médine et de Ḥīra. Quelle est l’origine de la graphie arabe telle que nous la connaissons dans les inscriptions du vie s. ? Récemment encore, on estimait chez les orientalistes que ce système dérivait de celui des Nabatéens de Pétra. Il semble bien qu’on doive aujourd’hui revenir à l’hypothèse déjà admise par les savants iraqiens au viiie s., qui consiste à faire dériver l’écriture arabe d’un prototype en usage à Ḥīra dès le vie s. ou même plus tôt. Deux styles paraissent déjà florissants à l’époque où Mahomet se livre à sa prédication (612-632). L’un, traditionnellement nommé coufique (du nom de la ville de Kūfa, sur le moyen Euphrate), est de forme carrée, dépouillée, monumentale ; il est utilisé dans des inscriptions et dans les manuscrits du Coran ; l’autre, dit hedjazien, est fruste, caractérisé par des formes plus arrondies et la présence de ligatures ; il annonce la cursive nommée naskhi dont l’usage a prévalu jusqu’à notre époque aussi bien dans l’écriture manuscrite que dans l’imprimé.

Ce système, au vie s., a l’inconvénient d’être une scriptio defectiva ; certains signes consonantiques notent des phonèmes très différents ; ainsi, l’un d’eux représente selon les cas b, t, th, n, y ; cette scriptio note les consonnes et les voyelles longues, mais non les voyelles brèves, pourtant essentielles au sens de la phrase ; elle ne conduit donc pas à une lecture, mais à un déchiffrement du texte. À plusieurs reprises, des améliorations importantes ont été apportées à cet instrument imparfait ; des points diacritiques au-dessus ou au-dessous des consonnes ont été introduits, ce qui a mis fin à toute confusion dans l’articulation ; par ailleurs, comme en hébreu et en syriaque, de petits signes suscrits et souscrits ont été ajoutés à chaque consonne probablement vers le viiie s. L’introduction de l’imprimerie est venue ajouter de nouvelles difficultés ; l’attachement au passé décourageant toute hardiesse novatrice, le caractère d’imprimerie est resté une cursive, ce qui rend onéreuse et difficile la composition typographique et conduit à supprimer le plus souvent les voyelles brèves dans les journaux et les livres courants. Ainsi sommes-nous ramenés en gros à la situation où se trouvait le lecteur vers le viie s. On conçoit combien ce fait a pu peser sur la diffusion de la culture.


La littérature archaïque (jusque vers 725)


Généralités

Cette période, dont les origines sont imprécises et qui va jusque vers 725, mérite bien d’être dite archaïque. Elle représente en effet l’éveil à la vie littéraire d’un monde chargé d’un passé culturel qui a conditionné des formes de parler, de croire et de penser jusque-là inconnues. Elle est dominée par le fait coranique.


Cadre politique

Dans le passé, la péninsule arabique avait déjà connu des États monarchiques à Pétra, à Palmyre et au Yémen. Vers le milieu du vie s., cette tradition réapparaît. À Ḥīra, sur la rive droite de l’Euphrate inférieur, non loin du site de Kūfa, s’établit la dynastie des Lakhmides, qui, sous l’obédience des Sassanides d’Iran, surveille les tribus d’Arabie orientale et du Bahreïn. En Damascène règnent les phylarques rhassānides, que Byzance charge de la surveillance des steppes syro-palestiniennes ; les conflits entre les deux royaumes et les inconvénients du système poussent toutefois les deux empires à revenir à l’administration directe. Erreur politique qui, à côté de bien d’autres causes, préparera de loin l’expansion arabo-islamique. Durant toute la seconde moitié du vie s., ces deux États vassaux, surtout celui de Ḥīra, deviennent le centre d’une activité religieuse et littéraire par l’attraction qu’ils exercent sur le monde des nomades et des poètes. À la faveur du conflit qui, au début du viie s., oppose Byzance à l’Empire sassanide et à la suite de l’occupation des provinces syro-palestiniennes par celui-ci, les centres caravaniers sur la route de l’encens grandissent en importance. La Mecque et Médine, à la suite de la prédication triomphante de l’islām par Mahomet, deviennent, à partir de 622, le siège politique et religieux d’un État théocratique. À la mort de Mahomet, en 632, l’expansion arabo-islamique se développe sous ses successeurs, qui ont reçu le titre de califes. L’« arabicité » achève de s’implanter sous le couvert de l’islām en Iraq et en Syrie-Palestine (prise de Damas, de Ctésiphon, de Jérusalem [635-637]). L’avènement au califat du clan mecquois des Omeyyades et l’éviction de ‘Alī, cousin et gendre de Mahomet, s’accompagnent d’un transfert de la capitale politique à Damas ; Médine et le Hedjaz conservent toutefois leur rayonnement spirituel.


Montée de l’Iraq

Dans les centres iraqiens, plus précisément à Bassora et à Kūfa (fondée en 638), commence l’ère des affrontements entre ‘Alides et Omeyyades. Ceux-ci comprennent le rôle capital qu’en tous les domaines vont jouer ces deux métropoles ; ils y délèguent leurs pouvoirs à des gouverneurs, qui, tel al-Ḥadjdjādj ibn Yūsuf, ont à faire front contre les insurrections toujours renaissantes des chī‘ites et des khāridjites. Le monde iranien reprend peu à peu conscience de sa force, et lentement s’effectue le brassage entre lui et les éléments arabes.

Dans ce bouillonnement, l’activité littéraire conserve sa place et ses chances, sous le triple signe de l’« arabicité », du monothéisme islamique et des premières résurgences iraniennes.