Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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mosaïque (suite)

La fin de la période iconoclaste, en 843, marque le début d’un « second âge d’or » à Byzance. On entreprend de renouveler le décor des églises à l’aide de grands programmes iconographiques cohérents. C’est à travers ces vastes compositions en mosaïque que se définit le mieux une esthétique mise au service de réalités spirituelles échappant au temps et à l’espace, mais puissamment présentes et agissantes.

Chaque ensemble d’images s’associe aux courants de pensée qui traversent le monde byzantin et porte également la marque de son auteur. Au ixe s., le mysticisme monastique trouve sa meilleure expression dans les mosaïques de la Nea Moni (le Nouveau Monastère) dans l’île de Chio (1042-1056). Un art sobre et rude multiplie les contrastes entre les couleurs les plus vives et des ombres denses, sur un fond d’or uniforme. Les contours des silhouettes sont vigoureusement appuyés, les visages puissamment modelés. Jamais peut-être la géométrie et la couleur n’ont été si résolument mises au service du drame chrétien.

Bien différent apparaît le décor un peu antérieur de Saint-Luc en Phocide (Ossíos Loukás, près de Delphes). À l’audace vigoureuse de Chio se substitue un style recherché et élégant, celui qu’affectionnent la cour et les milieux aristocratiques. À l’intérieur de l’église tout au moins, car dans le narthex on revient à une expression plus directe et plus appuyée pour représenter les scènes de la Passion du Christ. À l’extrême fin du xie s., la tendance gracieuse resurgit encore à Dhafni, près d’Athènes, où elle s’unit à des recherches de caractère humaniste et savant. Avec habileté, l’auteur des quatre scènes représentées sous la coupole — Annonciation, Nativité, Baptême du Christ et Transfiguration — englobe l’espace profondément creusé de la trompe d’angle dans la composition de mosaïque elle-même. Le Pantocrator de la coupole, dont le buste domine ces scènes agréables et tentées par l’académisme, est cependant d’une autre veine. Puissante, brutale même, son image a quelque chose d’effrayant. La bouche amère, le regard impérieux, le visage sillonné de rides, ce Christ cosmique est un maître terrible et redoutable.

Les mosaïques ornant Sainte-Sophie de Kiev (apr. 1037) ont leur place dans l’évolution de l’art byzantin, car elles sont l’œuvre d’artistes grecs envoyés en Russie. Toutes les images ornant la cathédrale ukrainienne sont celles qu’on a coutume de trouver à Byzance, et le style lui-même n’a rien qui surprenne. Il se fait solennel pour les grandes figures du Christ Pantocrator et de la Vierge orante. Lorsqu’il s’agit de symboliser, dans l’abside, le mystère eucharistique par une communion des apôtres, l’insistance est mise sur l’aspect liturgique et hiératique. La manière s’assouplit au contraire dans une Annonciation célèbre, marquée de l’influence antique.

Cependant, c’est à Constantinople même qu’on suit le mieux l’évolution du style à travers le développement historique. Les témoins en sont fréquemment des ex-voto impériaux, comme le décor du tympan de l’entrée principale de Sainte-Sophie. On y voit l’empereur Léon VI le Sage (886-912) prosterné devant le Christ trônant, entre les médaillons de la Vierge et de l’archange Gabriel. Il s’agit d’un art robuste, un peu massif, utilisant une gamme de couleurs sobre, mais rehaussée d’or. Au-dessus de la porte méridionale, c’est la Vierge protectrice qui apparaît entre les empereurs Constantin et Justinien. À travers la plasticité des visages et l’étonnante richesse des couleurs se manifeste un retour à l’art antique, également discernable dans l’enluminure contemporaine (fin du xe s.). Dans les tribunes de Sainte-Sophie, on trouve par deux fois la représentation d’un même thème : un empereur et une impératrice — Constantin IX Monomaque et sa femme Zoé au milieu du xie s., Jean II Comnène et sa femme Irène dans la première moitié du xiie s. — présentant leurs offrandes au Christ ou à la Vierge. Cependant, la plus belle mosaïque de Sainte-Sophie est un fragment de Deisis — la prière d’intercession de la Vierge et de saint Jean-Baptiste — dont la délicatesse du modelé atteint à la perfection. La date en est controversée, mais elle annonce l’art du xive s. et notamment l’extraordinaire ensemble du Christ de Chora.

Cette église monastique de Constantinople, plus connue sous le nom turc de Kariye Camii, fut restaurée par un important dignitaire de la cour impériale, Théodore Métochite († 1332), qui est représenté aux pieds du Christ, la tête ceinte d’un immense turban. La technique des mosaïques y dépasse sur le plan du raffinement tout ce que Byzance avait produit jusque-là. À l’intérieur de bandes décoratives aux coloris éclatants, qui reprennent d’anciens motifs paléochrétiens, se développe une longue suite d’images relatives à la vie du Christ et de Marie et où les récits apocryphes tiennent une grande place. Les scènes se caractérisent par la recherche du mouvement et du pittoresque, ainsi que par une émotion discrète. Les fonds d’or cèdent souvent le pas à des arrière-plans soigneusement étudiés. Dans la Byzance proche de sa chute s’esquisse une évolution encore enveloppée de mystère.

L’immense prestige d’un art associé au destin d’un empire millénaire explique le rayonnement médiéval de la mosaïque en Occident. Dans une ville à demi orientale comme Venise*, il s’agit d’un phénomène de mimétisme. C’est à Torcello, petite île de la lagune, qu’on trouve au xiie s. les œuvres les plus proches des modèles byzantins. Sur le fond d’or de l’abside de la cathédrale se détache la mince tache bleue de la Theotokos ; face à cette image céleste, au revers de la façade, se développe un immense Jugement dernier. À Venise même, l’exécution des mosaïques de Saint-Marc, commencée dès le xiie s., se poursuivit avec des interruptions durant les siècles suivants.

Un autre domaine de choix pour l’expansion de la mosaïque fut la Sicile* normande, dont les rois, adversaires des empereurs d’Orient, prolongèrent dans le domaine du mécénat une compétition commencée sur le plan politique. Les artistes, d’origine byzantine ou locale, durent adapter à des plans occidentaux un décor imaginé pour des structures architecturales différentes. Seule la Martorana de Palerme*, décorée vers 1143, possède une parenté avec les églises grecques. Le roi Roger II fit décorer Cefalu vers 1145 et la chapelle Palatine de Palerme vers 1140. Dans la cathédrale de Monreale (1174-1182), fondation de Guillaume II, le style se durcit, mais l’effet décoratif demeure saisissant. Au total, ces vastes ensembles constituent une vulgarisation de l’art raffiné de Byzance. Leur influence sur l’évolution de la peinture occidentale contemporaine devait être considérable.