Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Moravie (Grande-) (suite)

Évangélisation

Selon la légende traditionnelle, l’événement central aurait été en 863 l’arrivée de Cyrille* et Méthode, venus de Thessalonique. Mais, dans sa demande à l’empereur byzantin Michel III, Rostislav déclare : « En Moravie, il y a déjà le christianisme ; des prêtres d’Allemagne, d’Italie, de Grèce annoncent ici la parole de Dieu. » On savait par les textes que le clergé de Passau et de Salzbourg cherchait à contrôler l’évangélisation de la Moravie, mais on ignorait l’ampleur de son succès. Le résultat le plus surprenant des récentes fouilles archéologiques, c’est la découverte en Moravie du Sud d’un dense réseau d’églises dont la majorité semble dater de la première moitié du ixe s., avant l’arrivée des missionnaires byzantins. À côté de basiliques à trois nefs, d’autres églises offrent un plan original, avec une rotonde et deux absides circulaires, comme à Mikulčice. Le nombre de ces édifices prouve que les conversions n’ont pas touché seulement quelques princes, mais que le peuple, également, a été christianisé. La puissance du clergé et de la religion semble menacer l’indépendance du pays. Rostislav se tourne en vain vers le pape pour se libérer de l’influence bavaroise. Il fait alors appel aux missionnaires byzantins. À Méthode, archevêque d’une nouvelle province ecclésiastique de Moravie-Pannonie fondée par Rome, revient le mérite de créer une liturgie slave, adaptée aux traditions du pays, et de rassembler autour de lui un clergé autochtone. Le conflit entre liturgie latine et liturgie slave domine désormais les querelles politiques. On le trouve à l’arrière-plan de la crise de 869-871. Svatopluk semble avoir favorisé tour à tour les deux camps. En 880, par la bulle Industriae tuae, le pape Jean VIII fonde trois nouveaux évêchés. Le principal adversaire de Méthode, Wiching, devient évêque de Nitra. Méthode choisit comme successeur un de ses disciples, Gorazd. « C’est un homme libre, de votre pays, bien instruit des livres latins, à la foi droite. » Mais, lorsque Méthode meurt, en 885, la liturgie latine supplante la liturgie slave.


Société et civilisation

La société de la Grande-Moravie se caractérise, comme dans les royaumes francs voisins, par le passage de l’organisation tribale à l’organisation féodale. La double introduction du christianisme et de la féodalité a bouleversé l’ordre social. C’est l’« aube du féodalisme », pour employer l’actuelle terminologie des historiens tchécoslovaques. La différenciation sociale augmente.

À la tête de l’Empire, une dynastie unique. Le prince, ou knez, domine un État unifié. Sa capitale se situerait à l’emplacement de la ville actuelle de Mikulčice. Autour de lui, des nobles, que les textes latins appellent comités ou principes et les textes vieux slaves knezi ou moravljane. Ce sont les fidèles (fideles) du souverain qui les consulte lors des grandes décisions. Selon la légende de Pannonie, « Rostislav, prince de Moravie..., après avoir tenu conseil avec ses nobles et avec les Moraves, envoya une ambassade à l’empereur Michel ». La splendeur des tombes, l’importance des forteresses attestent la puissance de ces nobles. L’autorité de ceux-ci s’étend sur le plat pays, où ils font régner la sécurité, ainsi que le prouve le nombre des églises et des bâtiments situés en dehors des zones fortifiées. La sécurité de l’État de Grande-Moravie repose sur un réseau de forteresses (civitates, castella, en vieux slave hrady). Celles-ci sont des petites villes fortifiées, en bois au vie s., mais en pierre au ixe s. À l’intérieur de ces villes, des artisans se sont installés : batteurs d’or, orfèvres spécialisés, travaillant pour ce nouveau marché de la riche noblesse. Leurs œuvres, boucles de ceinture, boucles d’oreilles, épées et éperons ouvragés, sont d’une surprenante abondance dans les tombes récemment découvertes. À travers leur style, on peut suivre l’évolution de la civilisation de la Grande-Moravie. Au début dominent les influences carolingiennes, recouvrant d’anciennes traditions romaines ; l’influence de Byzance apparaît à la fin du siècle. Mais l’originalité des artisans se marque par d’étranges bijoux, d’une étonnante perfection technique, libres d’influences étrangères.

Le peuple mêle hommes libres et esclaves. La création du nouvel ordre féodal a dû entraîner une subordination plus nette des petits. L’agriculture semble développée, comme l’attestent les découvertes de socs de charrue asymétriques.

En tout cas, la société de la Grande-Moravie a trouvé assez de ressources pour se donner ce réseau serré d’églises de pierre, ces châteaux, étonnants vestiges d’une brillante civilisation.


Déclin et chute

Dès 881, les Francs encouragent les Bulgares à attaquer et à affaiblir la Grande-Moravie. Svatopluk s’appuie sur le Saint-Siège, dont il fait en 880 le protecteur du pays. Lorsqu’il meurt, en 894, la lutte entre ses fils affaiblit encore le royaume. Mojmir II (894-906) établit son autorité sur ses frères. En 898-99, il entame à Rome des négociations sur l’organisation du clergé. Mais le danger vient de l’Est : les rapides cavaliers hongrois envahissent la plaine de Pannonie. La défense du royaume, fondée sur un réseau de forteresses, se révèle impuissante à arrêter leurs invasions. Entre 902 et 908 disparaît l’État de Grande-Moravie. Sur ses cendres naîtront deux grands royaumes : l’État des Přemyslides en Bohême et celui des Árpáds en Hongrie. Mais l’actuelle Moravie du Sud, qui fut le berceau de la Grande-Moravie, décline au xe s. Quelques fortifications de moindre importance se maintiennent encore pendant un siècle sur l’emplacement des anciennes villes. L’urbanisation du xiie s. se fera sur de nouveaux sites.

Bref épisode qui n’a duré qu’un siècle, la puissance de la Grande-Moravie atteste qu’au ixe s. l’Europe centrale évoluait dans le même sens que l’Europe occidentale. L’invasion hongroise du xe s. a seule remis en cause cette évolution convergente.

B. M.

 J. Böhm et coll., la Grande Moravie. Tradition millénaire de l’État et de la civilisation (trad. du tchèque, Prague, 1963).