Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Morandi (Giorgio) (suite)

Il vit très retiré avec trois de ses sœurs, visité seulement de loin en loin par quelques admirateurs et amis. Son œuvre s’élabore lentement, à l’écart des polémiques et des mutations spectaculaires de l’art contemporain. Rien ne vient, jusqu’à sa mort, entamer cette indépendance, ni le succès et les honneurs (membre de l’académie nationale de Saint-Luc à Rome en 1948, prix à Venise en 1948, à São Paulo en 1953 et en 1957), ni une réputation internationale, ni les hauts prix atteints par ses œuvres et qu’il se refuse à pratiquer ; il ne change rien à son rythme de production et ne vend qu’à des amateurs ou à des conservateurs avec lesquels il se sent des affinités.

L’œuvre reflète la même austérité, le même refus de toute dispersion : aucune recherche de pittoresque dans les sujets traités, aucune virtuosité gratuite dans l’exécution et, sauf pour la brève période métaphysique, aucune attirance pour les aspects expérimentaux de l’art moderne, mais un travail totalement personnel, s’enrichissant par l’approfondissement continuel des mêmes motifs, reflétant une méditation sans cesse reprise et toujours confondue avec l’acte de peindre. En ce sens, Morandi est un des plus authentiques continuateurs de Cézanne*, qu’il admirait d’ailleurs tout particulièrement.

Deux thèmes dominent son œuvre.

• La nature morte. Il la représente sous sa forme la plus dépouillée : aucun objet qui s’affirme par lui-même, mais un assemblage d’ustensiles et de vaisselles de type courant, cafetière, broc, lampe à pétrole, vase, bol, flacon, bouteille et collection de boîtes. La disposition de ces éléments est éloignée de tout effet facile, de tout souci d’orchestrer et d’équilibrer un jeu de volumes dans l’espace. Les objets ont, au contraire, tendance à se grouper étroitement, dans la largeur comme dans la profondeur, en une espèce de resserrement frileux. Des juxtapositions, des chevauchements légers soudent parfois entre eux les volumes, qui deviendraient indistincts sans l’exquise modulation des tonalités, sourdes et souvent pâles. Il en est de même pour les fleurs agglomérées en des bouquets serrés.

• Le paysage. Même refus du spectaculaire : le plus souvent, un départ de colline avec un bosquet d’arbres et quelques maisons ; choix et cadrage rappellent les macchiaioli, Corot* et certains Cézannes. C’est dans les paysages que la touche est la plus affirmée et l’épaisseur de la pâte la plus notable (alors qu’elle se fait d’une grande fluidité, couvrant à peine la toile, dans certaines natures mortes).

L’œuvre du dessinateur et de l’aquafortiste reflète le même univers à travers les mêmes thèmes. Un identique sens des valeurs se retrouve dans le travail en blanc et noir du crayon ou de la pointe, jeu subtil de lignes serrées en hachures parallèles ou croisées. Travail minutieux et prudent, qui évoque parfois certaines formes par leur absence, le blanc du papier dessinant un négatif du flacon ou de la route. C’est toujours la même dominante de silence émanant de paysages et d’objets familiers, avec la note mélancolique qu’y mêlent la contemplation de l’artiste et ses tentatives toujours reprises pour en refléter la vie immobile.

M. E.

 L. Vitali, L’opera grafica di Giorgio Morandi (Turin, 1957 ; 2e éd., 1965) ; Giorgio Morandi, pittore (Milan, 1964). / C. Brandi, Ritratto di Morandi (Milan, 1960) ; Morandi lungo il cammino (Milan, 1970). / F. Arcangeli, Giorgo Morandi (Milan, 1964). / G. Marchiori, Le Incisioni de Giorgio Morandi (Rome, 1969).
CATALOGUE D’EXPOSITION : Giorgio Morandi, musée national d’Art moderne (Musées nationaux, 1971).

Moravia (Alberto)

Romancier italien (Rome 1907).


Alberto Moravia (pseudonyme d’Alberto Pincherle) est le romancier italien contemporain le plus célèbre, le plus souvent transposé à l’écran et le plus traduit, le plus fécond également. Son œuvre est pour l’essentiel composée de romans et de nouvelles : Gli Indifferenti (les Indifférents, 1929), Le Ambizioni sbagliate (les Ambitions déçues, 1935), La Bella Vita (1935), L’Imbroglio (1937), I Sogni del pigro (1940), La Mascherata (le Quadrille des masques, 1941), L’Amante infelice (1943), Agostino (1944), L’Epidemia, Racconti surrealistici e satirici (1944), Due Cortigiane (1945), La Romana (la Belle Romaine, 1947), La Disubbidienza (la Désobéissance, 1948), L’Amore conjugale e altri racconti (l’Amour conjugal, 1949), Il Conformista (1951), I Racconti (1952), Racconti romani (Nouvelles romaines, 1954), Il Disprezzo (le Mépris, 1954), La Ciociara (1957), Nuovi Racconti romani (Autres nouvelles romaines, 1959), La Noia (l’Ennui, 1960), L’Automa (l’Automate, 1963), Cortigiana stanca (1965), L’Attenzione (l’Attention, 1965), Una cosa è una cosa (Une chose est une chose, 1967), Il Paradiso (le Paradis, 1970), Io e lui (Moi et lui, 1971).

Elle compte aussi des essais : La Speranza, ossia Cristianesimo e comunismo (1944), Saggio critico per Leonor Fini (1945), Ritratto di Machiavelli (1951), Un mese in U. R. S. S. (Un mois en U. R. S. S., 1958), Un’idea dell’India (l’Inde comme je l’ai vue, 1962), L’Uomo come fine e altri saggi (l’Homme, 1964), La Rivoluzione culturale in Cina (1968) ; elle comprend également des pièces de théâtre : Teatro (1958), Il Mondo e quello che e (1966), Il Dio Kurt (1968), L’Intervista (1968), La Vita e giuoco (1969). Moravia est également journaliste, en particulier à L’Espresso, et il dirige avec P. P. Pasolini la revue littéraire Nuovi Argomenti.

Quelle que soit la variété de leurs thèmes (la petite et la grande bourgeoisie, le peuple, Rome, l’adolescence, la femme, l’amour, le sexe, l’aliénation) et de leurs références idéologiques ou culturelles (Marx, Freud, Wittgenstein, l’existentialisme, le structuralisme, le nouveau roman), les récits de Moravia se présentent comme des raisonnements narratifs. Non point des romans à thèse, mais une perpétuelle interaction, à la fois structurale et dynamique, entre le raisonnement et la narration. C’est en ce sens qu’on a parfois rapproché Moravia de Pirandello ; Moravia pourrait aussi évoquer le Sartre de la Nausée. Le raisonnement, en tout cas, est toujours chez lui le signe de l’engagement intellectuel, mélange de pessimisme à l’égard de l’histoire et de la société italiennes contemporaines, de stoïcisme à l’égard de soi et d’une indéfectible confiance dans la raison et dans la liberté de l’homme : on a souvent vu en Moravia non seulement un moraliste, mais un héritier du Siècle des lumières. Bref, si Moravia n’est pas un philosophe (il a l’art de « faire le tour » d’une question, mais aussi celui de la simplifier), il entend ne se dérober à aucune des responsabilités qui le définissent en tant qu’intellectuel. D’autre part, à la structure dialectique de ses récits répond le réalisme de sa thématique, poussé parfois, à force de caricature, jusqu’au surréalisme, et celui du style, soumis à une anti-rhétorique du « mal écrire » : Moravia récrit plusieurs fois chacun de ses romans, mais de fond en comble et d’un seul jet.