Morandi (Giorgio) (suite)
Il vit très retiré avec trois de ses sœurs, visité seulement de loin en loin par quelques admirateurs et amis. Son œuvre s’élabore lentement, à l’écart des polémiques et des mutations spectaculaires de l’art contemporain. Rien ne vient, jusqu’à sa mort, entamer cette indépendance, ni le succès et les honneurs (membre de l’académie nationale de Saint-Luc à Rome en 1948, prix à Venise en 1948, à São Paulo en 1953 et en 1957), ni une réputation internationale, ni les hauts prix atteints par ses œuvres et qu’il se refuse à pratiquer ; il ne change rien à son rythme de production et ne vend qu’à des amateurs ou à des conservateurs avec lesquels il se sent des affinités.
L’œuvre reflète la même austérité, le même refus de toute dispersion : aucune recherche de pittoresque dans les sujets traités, aucune virtuosité gratuite dans l’exécution et, sauf pour la brève période métaphysique, aucune attirance pour les aspects expérimentaux de l’art moderne, mais un travail totalement personnel, s’enrichissant par l’approfondissement continuel des mêmes motifs, reflétant une méditation sans cesse reprise et toujours confondue avec l’acte de peindre. En ce sens, Morandi est un des plus authentiques continuateurs de Cézanne*, qu’il admirait d’ailleurs tout particulièrement.
Deux thèmes dominent son œuvre.
• La nature morte. Il la représente sous sa forme la plus dépouillée : aucun objet qui s’affirme par lui-même, mais un assemblage d’ustensiles et de vaisselles de type courant, cafetière, broc, lampe à pétrole, vase, bol, flacon, bouteille et collection de boîtes. La disposition de ces éléments est éloignée de tout effet facile, de tout souci d’orchestrer et d’équilibrer un jeu de volumes dans l’espace. Les objets ont, au contraire, tendance à se grouper étroitement, dans la largeur comme dans la profondeur, en une espèce de resserrement frileux. Des juxtapositions, des chevauchements légers soudent parfois entre eux les volumes, qui deviendraient indistincts sans l’exquise modulation des tonalités, sourdes et souvent pâles. Il en est de même pour les fleurs agglomérées en des bouquets serrés.
• Le paysage. Même refus du spectaculaire : le plus souvent, un départ de colline avec un bosquet d’arbres et quelques maisons ; choix et cadrage rappellent les macchiaioli, Corot* et certains Cézannes. C’est dans les paysages que la touche est la plus affirmée et l’épaisseur de la pâte la plus notable (alors qu’elle se fait d’une grande fluidité, couvrant à peine la toile, dans certaines natures mortes).
L’œuvre du dessinateur et de l’aquafortiste reflète le même univers à travers les mêmes thèmes. Un identique sens des valeurs se retrouve dans le travail en blanc et noir du crayon ou de la pointe, jeu subtil de lignes serrées en hachures parallèles ou croisées. Travail minutieux et prudent, qui évoque parfois certaines formes par leur absence, le blanc du papier dessinant un négatif du flacon ou de la route. C’est toujours la même dominante de silence émanant de paysages et d’objets familiers, avec la note mélancolique qu’y mêlent la contemplation de l’artiste et ses tentatives toujours reprises pour en refléter la vie immobile.
M. E.
L. Vitali, L’opera grafica di Giorgio Morandi (Turin, 1957 ; 2e éd., 1965) ; Giorgio Morandi, pittore (Milan, 1964). / C. Brandi, Ritratto di Morandi (Milan, 1960) ; Morandi lungo il cammino (Milan, 1970). / F. Arcangeli, Giorgo Morandi (Milan, 1964). / G. Marchiori, Le Incisioni de Giorgio Morandi (Rome, 1969).
CATALOGUE D’EXPOSITION : Giorgio Morandi, musée national d’Art moderne (Musées nationaux, 1971).