Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

montagne (suite)

➙ Alpes / Alpinisme / Andes / Appalaches / Carpates / Climatisme / Élevage / Himālaya / Hydroélectricité / Jura / Neige / Pyrénées / Rocheuses (montagnes) / Ski / Sports d’hiver / Thermalisme / Tourisme.

 J. Blache, l’Homme et la montagne (Gallimard, 1934). / M. Herzog, P. Courthion, J. Couzy et coll., la Montagne (Larousse, 1956). / P. et G. Veyret, Au cœur de l’Europe : les Alpes (Flammarion, 1968).

Montaigne (Michel Eyquem de)

Écrivain français (château de Montaigne [auj. commune de Saint-Michel-de-Montaigne], Périgord, 1533 - id. 1592).



À travers un sujet unique...


« Me trouvant entièrement despourveu et vuide de toute aultre matière, je me suis présenté moy mesme à moy, pour argument et pour object » (II, viii)

Dans le chapitre « De la praesumption » (II, xvii) de ses Essais, messire Michel, seigneur de Montaigne, déclare que les hommes non promus par la fortune « en quelque éminent degré » lui semblent « excusables, s’ils prennent la hardiesse de parler d’eux ». La noblesse des Eyquem ne se perd pas dans la nuit des temps. Leurs titres de gloire, pour l’essentiel, se bornent à asseoir de père en fils une fortune établie dans le commerce : vins, poisson aussi bien que pastel. Il faut attendre 1477 pour que le bisaïeul, Ramon, achète la terre noble de Montaigne et un demi-siècle encore pour que Pierre Eyquem se voie anobli (1519) ; celui-ci épouse Antoinette de Louppes, d’origine juive, et entre au parlement de Bordeaux. Ainsi, si peu de choses, semble-t-il, destinaient Michel, aîné de sept frères et sœurs, à sortir du monde de ceux que le destin « n’a employez qu’en foule » (II, xvii) ; tout, par contre, à ses yeux, autorisait à parler de lui, l’ancien élève du collège de Guyenne (1539-1546), étudiant en droit à partir de 1547, devenu conseiller à la cour des aides de Périgueux par la volonté de son excellent père, qui lui achète la charge en 1554. Et alors, présentant en 1580 les Essais au lecteur, il peut écrire dans un « Advertissement de l’autheur », très bref au regard de l’ouvrage : « Je veux qu’on m’y voye en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice, car c’est moy que je peinds. » Directement ou indirectement, tout au long des Essais, au physique, au moral, Montaigne ne va cesser de se peindre, révélant effectivement une personnalité de taille moyenne, au physique moyen, avec des défauts courants, des qualités courantes, mais un bon sens peu courant. Au centre des préoccupations de Montaigne se place donc le culte du Moi. Mais qu’il porte à la hauteur d’un art, d’une éthique, d’un enseignement universel jamais égalé dans le royaume de l’égotisme littéraire.


La fièvre d’une époque...


« Touts les abus du monde s’engendrent de ce qu’on nous apprend à craindre de faire profession de nostre ignorance, et que nous sommes tenus d’accepter tout ce que nous ne pouvons réfuter » (III, ix)

L’époque de Montaigne s’inscrit comme l’une des plus tourmentées, des plus excessives et des plus intolérantes de l’histoire de France. Partout s’allument bûchers d’hérétiques et de sorciers, tandis que fait rage une guerre fratricide et implacable. On peut mieux alors apprécier toute la sereine philosophie de Montaigne écrivant : « J’encourus les inconvéniens que la modération aporte en telles maladies » (III, xii). Car, si ce temps enfante un homme, type parfait de l’équilibre harmonieux d’ouverture, de tolérance, de lucidité et de bon sens, modèle et exemple pour les siècles et les peuples à venir, les paroles qu’il entend pour la première fois il ne les écoute pas. Ami de huguenots comme de catholiques, Montaigne veut garder sa « maison de tout temps libre, de grand abord, et officieuse à chascun (car je ne me suis jamais laissé induire d’en faire un util de guerre) » [III, ix], ce qui le conduit à affirmer, non sans une légitime fierté : « Ma maison a mérité assez d’affection populaire [...] et j’estime à un merveilleux chef-d’œuvre et exemplaire, qu’elle soit encore vierge de sang et de sac, soubs un si long orage » (ibid.). Assez paradoxalement d’ailleurs, lui, qui avoue tressaillir au « bruit esclattant d’une harquebusade » (I, xii), se sent attiré par le prestige de l’uniforme. Mais s’il s’exclame : « Il n’est occupation plaisante comme la militaire » et s’il n’éprouve aucune honte à laisser vibrer sa fibre bourgeoise à « cette courageuse harmonie de la musique guerrière qui vous entretient et eschauffe et les aureilles et l’âme [...] » (III, xiii), il n’en refuse pas moins la guerre, « science de nous entredesfaire et entretuer » (« Apologie de Raimond Sebond », II, xii). Il s’exprime en particulier avec grande sévérité quand il parle de la guerre civile, « vraye eschole de trahison, d’inhumanité et de brigandage » (II, xvii), ou quand il blâme l’ingérence de nos passions dans des confrontations où « la justice [...] n’y est que pour ornement et couverture » et où les hommes des deux partis s’y servent de la religion et « l’employent si pareillement à leurs violentes et ambitieuses entreprinses » (II, xii). Échappant à la crédulité barbare de ses contemporains, il fustige les préjugés et blâme la condamnation à mort des soi-disant sorciers qu’on ferait mieux de soigner (« Des boyteux », III, xi). De même, il réprouve les « torments insupportables » (II, xi) infligés aux criminels aussi bien que l’usage de la torture (« Couardise, mère de la cruauté »), dont il dit à propos de la question : « C’est une dangereuse invention que celle des gehenes [...] pourquoy la douleur me fera elle plustost confesser ce qui en est, qu’elle ne me forcera à dire ce qui n’est pas ? » (II, v).


« Aulcuns me convient descrire les affaires de mon temps [...]. Mais ils ne disent pas, que pour la gloire de Salluste je n’en prendroy pas la peine » (I, xx)

Se défendant d’écrire l’histoire de son siècle, Montaigne ne s’en détourne pas pour autant. Son existence, il ne la passe pas uniquement retiré « dans le sein des doctes vierges », dans sa « librairie », décrite si amoureusement (« Des trois commerces », III, iii). Il participe à la vie publique. Il sait exactement ce qu’elle vaut, ce que valent ceux qui la font, et il le dit. Successivement conseiller à la cour des aides de Périgueux (1554), au parlement de Bordeaux (1557), puis à celui de Paris, il le restera jusqu’en 1570, date où il cède sa charge pour une retraite volontaire sur ses terres. « J’aime — dit-il — la vie privée, parce que c’est par mon choix que je l’aime, non pas disconvenance à la vie publique, qui est, à l’adventure autant selon ma complexion. J’en sers plus gaiement mon prince, parce que c’est par libre élection à mon jugement » (III, ix). En effet, et quoique mal à l’aise dans un monde qu’il trouve corrompu (« De la presumption », II, xvii), Montaigne se rend à l’appel de son souverain quand celui-ci le mande. Maire de Bordeaux en 1581, réélu en 1583, il sert d’intermédiaire à plusieurs reprises entre le futur roi de France, Henri de Navarre, et le camp adverse, ce qui lui vaut même de connaître en 1588, durant quelques heures, un séjour à la Bastille, et Henri IV, monté sur le trône, cherche à s’assurer ses services. On le voit, l’auteur des Essais n’ignore rien des dessous politiques de la vie de son pays. Il se forge d’ailleurs en la matière une philosophie désabusée et déclare : « Ne sont aucunement de mon gibier les occupations publicques [...]. J’ay souvant [...] évité de m’en mesler, rarement accepté, jamais requis ; tenant le dos tourné à l’ambition [...] » (III, i). Sa méfiance à l’égard des lois, « souvent faictes par des sots » (III, xiii), toujours changeantes (II, xii) et qui « se maintiennent en crédit, non parce qu’elles sont justes, mais parce qu’elles sont loix » (III, xiii), s’accompagne des réserves d’un jugement particulièrement nuancé à l’égard des puissants : « Les princes me donnent prou, s’ils ne m’ostent rien ; et me font assez de bien, quand ils ne me font point de mal : c’est tout ce que j’en demande » (III, ix). Montaigne sait que le souverain, assujetti aux mêmes passions et accidents que le commun des mortels (I, xlii), exerce un métier rendu d’autant plus difficile que les opinions libres et objectives lui manquent (III, xiii). Pour cela, il ne lui ménage pas sa fidélité. Mais, même à son égard, il se veut libre de ses sentiments : « Nous devons la subjection et l’obéissance également à tous Rois, car elle regarde leur office ; mais l’estimation, non plus que l’affection nous ne la devons qu’à leur vertu » (I, iii).