Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Monroe (James) (suite)

La carrière diplomatique

Ses sympathies pour la Révolution française expliquent sans doute qu’il reçoive du président George Washington* la mission de représenter les États-Unis à Paris. Il y est chaleureusement accueilli en 1794 : ses paroles enflammées enthousiasment la Convention, les assurances qu’il donne sur la bienveillante neutralité de son pays redonnent courage aux Français. Aussi le traité anglo-américain de 1794 indigne-t-il Paris, qui reproche aux États-Unis leur ingratitude et à Monroe sa légèreté. Le protégé de Jefferson revient en Virginie en 1796 et se fait élire, trois ans plus tard, gouverneur de l’État.

Le président Jefferson lui donne une nouvelle chance. En 1803, Monroe est chargé, en collaboration avec l’ambassadeur à Paris, Robert R. Livingston (1746-1813), de négocier l’achat de La Nouvelle-Orléans et de l’embouchure du Mississippi ; il dispose d’un budget de 10 millions de dollars. À peine est-il arrivé en France qu’il apprend que Bonaparte veut vendre toute la Louisiane*, un immense territoire inexploré qui s’étend jusqu’aux montagnes Rocheuses ; le prix s’élève à 15 millions. Monroe n’hésite pas ; il outrepasse ses instructions, persuadé que son président et l’opinion publique de son pays lui rendront justice. Il signe le traité le 30 avril 1803 et d’un seul coup agrandit du simple au double le territoire des États-Unis. Sa conduite est approuvée, sa carrière assurée. Monroe sert, en 1803 et 1805-06, comme ambassadeur à Londres, au moment où le Blocus continental place les États-Unis dans une position délicate. Après un nouveau et bref mandat de gouverneur de la Virginie, il entre en 1811 dans le cabinet du président James Madison. Son expérience le conduit aux fonctions de secrétaire d’État, qu’il occupe jusqu’en 1817, à l’exception d’un passage (sept. 1814 - mars 1815) au secrétariat à la Guerre au moment où les Anglais envahissent les États-Unis et incendient la capitale fédérale ; la France a cessé de faire contrepoids à la toute-puissance britannique. Aussi Monroe commence-t-il par accepter la médiation russe pour finir par signer, à Gand le 24 décembre 1814, un traité qui satisfait plus les désirs de la Grande-Bretagne que ceux des États-Unis.


La présidence de Monroe

Tout naturellement, lorsque Madison quitte en 1816 la Maison-Blanche, Monroe est désigné pour lui succéder ; la dynastie virginienne se maintient au pouvoir. Pourtant, la présidence de Monroe inaugure une nouvelle période. Le clivage qui séparait républicains jeffersoniens et fédéralistes d’inspiration hamiltonienne s’estompe : l’expansion territoriale, la guerre, l’accélération de la révolution industrielle, l’avènement du roi « coton » contribuent à réconcilier les anciens adversaires. Dans son adresse inaugurale, Monroe proclame la bienveillance du gouvernement pour les entreprises industrielles et propose le maintien d’une force armée et navale. L’« ère des bons sentiments » commence ; le président a si peu d’ennemis politiques qu’en 1820 sa réélection au sein du collège présidentiel est assurée à la quasi-unanimité des voix : il faut qu’un grand électeur se dévoue et choisisse un autre candidat pour éviter que Monroe n’égale le record de George Washington, élu et réélu à l’unanimité.

Si Monroe ne possède pas les qualités intellectuelles et humaines de ses deux prédécesseurs, il sait, en revanche, s’entourer de collaborateurs intelligents : John Caldwell Calhoun (1782-1850) à la Guerre, John Quincy Adams (1767-1848) au département d’État. Il sait aussi fermer les yeux sur les entorses au droit international, quand elles apparaissent nécessaires à ses concitoyens : c’est ainsi qu’il laisse le général Andrew Jackson* envahir la Floride en 1818 et fait entrer, l’année suivante, ce territoire dans l’Union. Partisan convaincu de l’expansionnisme, Monroe annonce, à sa manière, la « destinée manifeste » des années 1840. Comme la plupart de ses contemporains, il imagine une Amérique blanche, débarrassée des Indiens — dont il souhaite la déportation à l’ouest du Mississippi — et des Noirs, qu’il encourage à repartir en Afrique.


La doctrine de Monroe

C’est dans le domaine diplomatique que cet esprit nationaliste se manifeste le mieux. Quand les colonies espagnoles d’Amérique (v. Amérique latine) se révoltent, la Sainte-Alliance manifeste son intention de rétablir l’ordre par la force. L’opinion des États-Unis, au contraire, éprouve de la sympathie pour les révoltés et redoute les visées annexionnistes de l’Europe, en particulier de la Russie, qui, en 1821, proclame que la frontière de l’Alaska est fixée au 50e parallèle. En 1823, George Canning, le secrétaire au Foreign Office, propose à Monroe une déclaration commune qui viserait à empêcher une intervention des puissances d’Europe continentale en Amérique. Sur les conseils d’Adams, Monroe adopte une position plus subtile. Il refuse de laisser son pays dans l’ombre de la Grande-Bretagne : la déclaration sera unilatérale. Il est assez clairvoyant pour ne pas vouloir couper aux États-Unis la voie de l’expansion, par exemple à Cuba : l’avertissement s’adressera donc aux seuls Européens. Le 2 décembre 1823, le président Monroe prononce son message sur l’état de l’Union ; il y inclut sa « doctrine » : les puissances européennes ne devront plus acquérir de nouvelles colonies en Amérique et laisseront leur liberté aux anciennes colonies qui ont choisi l’indépendance ; les États-Unis ne se mêleront pas des affaires européennes, y compris le mouvement d’indépendance des Grecs ; si cet avertissement n’était pas entendu, les États-Unis jugeraient que leur propre sécurité est menacée.

La révolte des colonies espagnoles ne fut pas réprimée, les Russes limitèrent leurs ambitions à la ligne 54° 50′. La doctrine de Monroe a-t-elle sauvé le Nouveau Monde de l’avidité de l’Ancien ? Les Américains l’ont cru, surtout après 1850 quand ils ont fait des paroles du président un article de foi ; mais l’équilibre de la puissance, nécessaire à la paix en Europe, ou les problèmes intérieurs de la Russie ont certainement contribué à donner au message de 1823 un impact que les forces limitées des États-Unis n’auraient pas pu lui conférer. Quant à l’Amérique latine, si elle ne fut pas dépecée comme l’ont été et l’Afrique et l’Asie, elle ne fut pas moins dominée sur le plan économique et financier par l’Europe, puis par les États-Unis.

A. K.

 D. Perkins, A History of the Monroe Doctrine (Boston, 1945 ; 6e éd., 1963). / G. Dangerfield, The Awakening of American Nationalism, 1815-1828 (New York, 1965).