Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Moltke (Helmuth, comte von)

Maréchal allemand (Parchim, Mecklembourg, 1800 - Berlin 1891).


Fils d’un officier peu fortuné d’une famille de vieille noblesse, qui s’était fixée au Danemark, le jeune Helmuth commença sa carrière comme élève boursier à l’École des cadets de Copenhague. Sérieux, silencieux, doué d’une volonté de fer, il est nommé sous-lieutenant dans l’armée danoise en 1819 et passe dans l’armée prussienne en 1822. Admis à l’École de guerre générale, que dirige Clausewitz*, il se passionne pour l’histoire napoléonienne et passe en 1828 au service géographique de l’armée, puis en 1833 à l’état-major général, où il est le disciple du général Karl von Müffling (1775-1851). Capitaine en 1835, Moltke est envoyé en Turquie comme conseiller militaire. Rappelé en Prusse en 1839, il est affecté à l’état-major du 4e corps à Magdeburg. Nommé commandant à quarante-deux ans, il épouse une jeune Anglaise de dix-sept ans qui mourra dès 1868. Après diverses affectations d’état-major, il est nommé aide de camp du prince héritier Frédéric-Guillaume, qu’il accompagne en 1855 à Londres, Bruxelles, Paris et Saint-Pétersbourg.

Devenu roi, Frédéric-Guillaume, dont il a conquis l’amitié, le nomme en 1857 à la tête de l’état-major de l’armée, où il demeurera durant trente ans, de 1858 à 1888. Tandis que son collègue Albrecht von Roon (1803-1879), devenu ministre de la Guerre en 1859, sera le réorganisateur de l’armée prussienne et que Bismarck* dirigera à partir de 1862 la politique du royaume, Moltke sera le créateur du haut commandement allemand, qui va dominer en Europe pendant près de quatre-vingts ans. Son ascension sera lente : au début de la guerre des Duchés (1864), c’est encore le vieux maréchal Friedrich von Wrangel (1784-1877) qui commande l’armée, jusqu’au moment où il est remplacé par le prince Frédéric-Charles, qui prend Moltke comme chef d’état-major. Mais c’est la guerre contre l’Autriche — où, pour la première fois, en juin 1866, Moltke est chargé par le roi du commandement de l’armée en campagne — qui affirmera son autorité sur les généraux prussiens. La victoire de Sadowa sera réellement celle du grand état-major et rendra le nom de son chef célèbre dans toute l’Europe.

Le premier, en effet, il a su transposer dans les faits la théorie de la guerre de Clausewitz et a transformé le grand état-major en une élite sélectionnée avec une rare exigence, qui devient un redoutable instrument de la politique allemande. Étroitement associé à l’œuvre de Bismarck, il se consacre ensuite à la préparation de la guerre contre la France, dont l’heure est minutieusement choisie par Berlin. C’est en sa présence que Bismarck rédige la fameuse dépêche d’Ems... Dès lors, le plan de campagne de Moltke se déroule avec une précision d’horloge, et la victoire de 1871 sera entièrement son œuvre.

Promu feld-maréchal en 1871, c’est lui qui présidera avec beaucoup de mesure et d’intelligence à la transformation des armées confédérées des États allemands en une véritable armée allemande. S’il tient à respecter l’originalité des armées bavaroise, saxonne et wurtembergeoise, il sait pouvoir compter sur la qualité du grand état-major prussien pour transmettre à la nouvelle armée impériale le meilleur de la pensée et de la tradition militaires prussiennes. De 64 officiers en 1857, celui-ci passera trente ans plus tard à 239 officiers, dont 197 prussiens, 25 bavarois, 10 saxons et 7 wurtembergeois. Beaucoup plus qu’une caste fermée, c’est une équipe dont Moltke veille personnellement à élever le niveau intellectuel et où la tradition la plus stricte s’allie à une très grande liberté d’esprit sous le seul signe de l’efficacité. Mehr sein als scheinen (« plus être que paraître »), telle sera la devise que Moltke incarne aux yeux de ses collaborateurs. Son Instruction pour le haut commandement, premier document allemand sur la conduite de la guerre, demeurera en vigueur jusqu’en 1914. En 1882, le vieux maréchal reçoit comme adjoint le général Alfred von Waldersee (1832-1904). Un an plus tard, pour consacrer son œuvre, il obtient que le grand état-major ne relève plus désormais que du souverain lui-même, ce qui place pratiquement son chef sur un pied d’égalité avec le chancelier d’Empire. Malgré plusieurs demandes de congé, motivées par son grand âge, Guillaume Ier refuse de se séparer de Moltke. Ce dernier n’obtiendra sa retraite que de Guillaume II, en 1888. Il se retirera alors dans sa propriété de Kreisau en Silésie. « La prochaine guerre, écrira-t-il, sera surtout une guerre dans laquelle la science stratégique et du commandement aura la plus grande part... Notre force sera dans la direction, dans le commandement, en un mot dans le grand état-major, auquel j’ai consacré les derniers jours de ma vie. Cette force, nos ennemis peuvent nous l’envier. Ils ne la possèdent pas. »

P. D.

Moltke (Helmuth, comte von)

Général allemand (Gersdorff, Mecklembourg, 1848 - Berlin 1916).


« Nul ne peut être promu chef de guerre s’il n’en a pas de naissance le tempérament. » En écrivant ces lignes, Schlieffen pensait-il au général qui devait lui succéder à la tête du grand état-major ? La maxime, en tout cas, s’applique parfaitement à celui qui fut avant tout victime d’un nom singulièrement difficile à porter. Fils d’Adolf von Moltke, deuxième frère du maréchal, dont il fut l’aide de camp à partir de 1876, « Moltke le Jeune » bénéficie d’une ascension très rapide. Premier quartier-maître de Schlieffen au grand état-major en 1903, il lui succède en 1906 à la tête du Generalstab. Sa conscience, sa modestie, sa puissance de travail sont reconnues de tous, comme aussi l’effroi que lui inspire la charge du commandement suprême, due autant à son nom qu’à l’amitié personnelle de Guillaume II (il avait servi longtemps dans la garde prussienne). Respectueux de la pensée et du plan de Schlieffen, il n’est pas aussi convaincu que lui que la manœuvre débordante à travers la Belgique soit l’unique panacée qui enlèverait la décision de la guerre. Aussi, refusant de laisser délibérément envahir l’Alsace-Lorraine, décide-t-il de renforcer son aile gauche.