Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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missions (suite)

Les missions catholiques

Les missions catholiques s’imposent d’abord comme un grand fait inscrit sur la carte du monde. Ce fait, plusieurs fois séculaire, répond à une idée qui s’est enrichie au cours des temps.

Il est indubitable qu’il est en premier lieu un acte d’obéissance à un précepte formel du Christ : « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé » (Matthieu, XXVIII, 19), ou bien : « Allez par toute la terre et prêchez l’évangile à toute créature » (Marc, XVI, 15).

La belle époque de la théologie des Pères de l’Église (ive s.) coïncide avec la plus grande extension de l’Empire romain, tout juste avant les invasions des Barbares. Alors on s’imaginait avoir atteint les limites du monde habité. Porter l’évangile aux nations infidèles était, croyait-on, une tâche déjà accomplie. D’ailleurs, la division du christianisme en Église d’Orient et en Église d’Occident ne favorisait pas une action d’ensemble. Cependant, par une sorte d’osmose, le christianisme s’infiltrait sporadiquement jusqu’en Extrême-Orient (la stèle de Xi’anfu [Si-ngan-fou] de 781) et chez les nations anglo-saxonnes (dans l’aire impériale de Rome).

Plus tard, à l’époque de la théologie scolastique, la chrétienté, cernée par l’islām, songe plus à se défendre qu’à se propager et plus à vaincre l’infidèle par les armes (croisades) qu’à le gagner par l’amour. Les relations entre chrétiens et musulmans en seront longtemps marquées.

Quand s’ouvre l’ère des grandes découvertes (xvie s.), au moment où l’Afrique, l’Amérique, l’Asie, l’Indonésie, avec leurs peuples innombrables, s’offrent à la conquête, à la colonisation, au commerce, à la foi, les humanistes de la Renaissance aiment à rêver d’une évangélisation renouvelée des premiers temps (Érasme). Quand, en 1520, Luther s’engage dans ce qui sera la Réforme protestante, il ne songe pas à concurrencer les missionnaires catholiques sur leur terrain.

Deux nations catholiques se partagent la tâche (avec l’approbation du pontife romain : traité de Tordesillas, 1494) : l’Espagne et son patronato, le Portugal et son padroado. En 1524 commence l’évangélisation du Mexique. Au début, devant des cultures plus primitives et malgré certains essais des ordres mendiants en Amérique latine, le poids des nouveaux venus de l’Occident s’imposa en faisant table rase du passé de ces peuples.

Ainsi en était-il pour les régions d’obédience portugaise, quand François* Xavier, de la Compagnie de Jésus (1540), après avoir, aux Indes orientales, pratiqué cette première méthode, se trouva au Japon en présence d’une culture et de religions d’origines indienne et chinoise bien trop élaborées pour se laisser absorber complètement par l’apport européen.

Dès lors, il y eut dans les missions catholiques deux courants divergents et parfois même antagonistes (querelles des rites* chinois et malabres réglées temporairement en 1742 et en 1744).

Pour remédier aux différends entre les divers missionnaires, la congrégation de la Propagande, fondée à Rome en 1622, unifia autant que possible les efforts suivant le cadre fixé en Europe par le concile de Trente. Elle organisa progressivement dans les divers pays du monde des sortes de « succursales » des chrétientés occidentales, sous la juridiction de vicaires apostoliques. Le mouvement, interrompu par la Révolution française de 1789, reprit avec plus d’intensité pendant tout le xixe s. et le premier quart du xxe (la France y participant de plus en plus avec de nouvelles congrégations missionnaires).

Mais de plus en plus aussi, avec la croissance des nationalismes, se manifestait le besoin de recourir à un clergé autochtone de manière à « planter » l’Église catholique de façon stable. En même temps se développait l’exigence d’une adaptation présentant le message chrétien conformément aux nouvelles structures. Les deux guerres mondiales accélérèrent le processus de décolonisation spirituelle.

On reprochait aux Églises missionnaires leur mépris des grandes religions de l’Orient ainsi que leur sentiment de supériorité : aucune place n’était réservée aux traditions les plus respectables, qu’on cherchait à remplacer par une religion nouvelle importée de toutes pièces.

En second lieu, on accusait les missions d’avoir accepté ou même recherché l’appui des puissances séculières, se montrant ainsi complices de l’agression coloniale. D’ailleurs, elles profitaient de l’humiliation des élites traditionnelles pour acheter l’appui des misérables et des ignorants, parfois par des procédés assez vils, tels que les avantages matériels.

De plus, on dénonçait le colonialisme culturel auquel se seraient livrées les Églises : par leurs institutions d’enseignement, de santé, d’assistance, leurs œuvres sociales et autres, toutes copiées de l’Occident, elles s’étaient faites, disait-on, les propagandistes d’une civilisation étrangère sous le prétexte d’évangéliser, en créant des besoins nouveaux qui rendaient les cultures traditionnelles inévitablement dépendantes des pays occidentaux qui produisaient ces valeurs, voire en important des conflits nouveaux dont on aurait très bien fait l’économie.

Les critiques étaient particulièrement sévères pour la catéchèse : c’est par celle-ci, surtout chez les nations de culture plus primitive, que l’Église aurait détruit l’âme des peuples ; elle aurait supprimé la cohésion et l’équilibre des croyances traditionnelles sans les remplacer par aucun message cohérent.

Cependant, depuis l’encyclique Maximum illud (1919) et surtout depuis le second concile du Vatican (1965), ce sont les facteurs positifs de progrès et de conservatisme national qui se voient protégés et développés par les missions catholiques. Aujourd’hui, pour s’en tenir aux territoires qui dépendent juridiquement de la congrégation de la Propagande (dénommée maintenant « pour l’évangélisation des peuples ») — quelques régions de l’Europe et des Amériques, presque toute l’Afrique, l’Extrême-Orient, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, l’Océanie (sauf presque toutes les îles Philippines) —, on compte environ 57 millions de catholiques, répartis en 840 circonscriptions ecclésiastiques (365 en Asie, 315 en Afrique, 80 en Amérique, 61 en Océanie, 19 en Europe). Il y a vingt ans à peine, le nombre de ces circonscriptions était de 587. En Afrique le nombre des catholiques est passé de 11 à 32 millions et celui des prêtres de 7 500 (dont 1 080 autochtones) à 15 100 (dont 3 633 autochtones) ; en Asie, de 6 millions de catholiques on est passé à 14 millions, et de 6 868 prêtres (dont 3 447 autochtones) à 15 258 (dont 9 800 autochtones).

Ces chiffres peuvent paraître quantitativement assez considérables : en pourcentage par rapport à la population totale, ils ne représentent qu’une minorité.