Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Mirabeau (Honoré Gabriel Riqueti, comte de)

Homme politique français (Le Bignon, Gâtinais, 1749 - Paris 1791).



Les débuts

Issu d’une vieille famille italienne installée en Provence, le jeune Mirabeau scandalisa ses contemporains par l’excès de ses débauches. Il dira plus tard : « Ah, que l’immoralité de ma jeunesse fait de tort à la chose publique ! » Son père, le marquis de Mirabeau (un économiste surnommé l’Ami des hommes), l’a fait entrer dans l’armée à dix-huit ans, mais refuse de lui acheter une charge. Le jeune homme n’est pas fait pour le métier de soldat : il quitte le service dès 1770, mène une vie tumultueuse et tombe dans de grands embarras pécuniaires. Pour le ranger, on le marie ; il épouse (1772) la fille du riche marquis de Marignane, Émilie, qu’il délaisse très vite. Comme il accumule les dettes, les procès, les duels, son père le fait successivement interner à Manosque, au château d’If (1774) et au fort de Joux (1775), où sa détention n’est, en fait, qu’une fiction ; il rédige alors un Essai sur le despotisme et s’enfuit (1776) en enlevant Sophie de Monnier, jeune épouse d’un respectable président honoraire à la Cour des comptes de Dole. Poursuivi pour rapt et adultère, il se réfugie avec Sophie en Hollande, mais il est extradé en 1777. Les trois années qu’il passe alors au donjon de Vincennes lui permettent de beaucoup lire et de réfléchir sur les grands problèmes de l’heure. Il écrit ses Lettres à Sophie (publiées en 1792) et surtout un Essai sur les lettres de cachet et les prisons d’État (1782). Une fois libéré, il oublie Sophie et se sépare définitivement de sa femme. Il séjourne en Angleterre, en Hollande, en Prusse, d’où il rapporte des matériaux pour son ouvrage De la monarchie prussienne sous Frédéric le Grand (publié en 1888). Lorsqu’il regagne la France (1787), ses dons de pamphlétaire l’ont rendu célèbre autant que son existence orageuse. Il se fait remarquer en particulier par ses attaques contre l’administration de Necker.


Député du tiers état

En cette veille de la Révolution, Mirabeau croit l’heure venue de jouer un rôle aux États généraux, mais la noblesse le rejette et il se fait élire par le tiers état de Provence. Supérieur à la plupart de ses collègues par son instinct politique, il s’impose par son éloquence. Sa fougue, sa flamme méridionale le servent, comme aussi sa monstrueuse laideur, sa tête énorme, sa figure ravagée par la petite vérole. Membre de la société des Amis des Noirs, de la société des Trente, il fait paraître un journal qui prend peu après le titre de Courrier de Provence (juill. 1789). Le député d’Aix apparaît alors comme le défenseur de la nation contre les privilégiés et l’absolutisme royal. Dès les premières séances des États généraux, il pousse à la réunion des trois ordres. Le 23 juin 1789, il conquiert une popularité immense en refusant d’obéir au maître des cérémonies, le marquis de Dreux-Brézé (1762-1829). Comme celui-ci rappelle aux députés l’ordre de se disperser, il lance la réplique devenue fameuse : « Allez dire à ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous ne sortirons que par la force des baïonnettes. »

Cependant, s’il veut des changements dans l’État, Mirabeau comprend le danger de réformes trop brutales ou trop hâtives. Il demeure partisan de la monarchie, mais d’une monarchie limitée. Son programme s’inspire à la fois de Montesquieu et de la constitution anglaise. Il proclame que le peuple « est la source de tous les pouvoirs et que lui seul peut les déléguer » (16 juill.) ; il fait adopter la contribution patriotique du quart des revenus (c’est alors qu’il prononce son fameux Discours sur la banqueroute). Il prône la mise à la disposition de la nation des biens du clergé. Mais l’institution du « veto » royal lui semble indispensable : il préconise même le veto absolu, qui ne lui sera pas accordé (la majorité votera le veto suspensif). Il se rend compte d’autre part que « quand on se mêle de diriger une révolution, la difficulté n’est pas de la faire aller mais de la retenir », et cherche le moyen d’endiguer le torrent. Le résultat est qu’il inquiète autant la droite que la gauche. Ses collègues de la Constituante redoutent son éloquence comme son ambition. Sa grande idée, contraire aux intentions des constituants et qu’il expose en octobre 1789, est que le roi doit pouvoir prendre ses ministres parmi les membres de l’Assemblée. Mais ses adversaires craignent surtout de le voir arriver au pouvoir et font repousser sa suggestion (7 nov.).


La « trahison du comte de Mirabeau »

Par l’intermédiaire de son ami Auguste d’Arenberg, comte de La Marck (1753-1833), et de l’ambassadeur d’Autriche, Florimund Mercy d’Argenteau (1727-1794), le tribun a proposé à Louis XVI de travailler pour lui. Bien que ses vices fassent horreur à la reine, des fonds lui sont versés pour éponger ses dettes et il envoie ses « mémoires » au roi. « Il est vendu », déclareront ses ennemis. Sa vénalité est indiscutable, mais il suit ses idées. « Il ne se fait payer, explique La Fayette (qui pourtant ne l’aime pas), que dans le sens de ses convictions. » Persuadé qu’une monarchie constitutionnelle n’est pas viable avec un pouvoir exécutif trop faible, il veut renforcer celui-ci. Ainsi, après le veto absolu, il défend contre Barnave les prérogatives du souverain sur la paix et la guerre (20 mai 1790), ce qui déchaîne contre lui les passions. Un pamphlet se répand à travers les rues de Paris : Trahison découverte du comte de Mirabeau. En réponse, le 22 mai, le tribun prononce un discours généralement considéré comme son chef-d’œuvre : « On voulait, il y a peu de jours, me porter en triomphe et maintenant on crie dans les rues « la grande trahison du comte de Mirabeau ». Je n’avais pas besoin de cette leçon pour savoir qu’il est peu de distance du Capitole à la roche Tarpéienne. Mais l’homme qui combat pour la raison, pour la patrie, ne se tient pas si aisément pour vaincu... » Le talent de l’orateur retourne la majorité : Mirabeau fait ainsi triompher son opinion.