Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

minimal art (suite)

Formellement, le minimal art se caractérise par sa structure simplifiée et son dépouillement. L’œuvre se limite généralement à une forme géométrique simple (cube, carré, ligne droite...) ou à la répétition de cette même forme. Toutefois, chacun des artistes conserve son originalité, se distingue par quelques traits spécifiques. Don Judd (Donald Judd, né en 1928) peut être considéré comme le chef de file du groupe, car il est celui qui est resté le plus rigoureusement fidèle aux principes de base de la tendance « minimale ». Depuis 1964, il fabrique des boîtes en acier ou en aluminium qu’il a commencé par poser à terre avant de les aligner ou de les superposer. Ses œuvres les plus connues sont des parallélépipèdes d’acier ou de Plexiglas, accrochés au mur les uns au-dessus des autres et montant du sol au plafond. Dans d’autres cas, les cubes sont alignés le long du mur à intervalles réguliers. Cependant, les œuvres de Judd ne sont pas aussi « neutres » sur le plan formel qu’elles peuvent paraître. Un ou plusieurs côtés de la boîte sont fréquemment réalisés en Plexiglas coloré, ce qui crée des transparences et des jeux de couleur d’une boîte à l’autre. L’aluminium lui-même peut être entièrement coloré sur certaines pièces. La « structure primaire » n’implique donc pas nécessairement une absence de recherche plastique.

Ce n’est que pendant une période assez courte de sa carrière d’artiste que Robert Morris (né en 1931) a pu être considéré comme un des sculpteurs minimal. Le rôle qu’il y a joué est toutefois prépondérant, car ses premières structures simplifiées datent de 1961 et 1962. À cette époque, il se contente généralement d’une forme simple posée à même le sol, ou dans certains cas suspendue dans l’espace. Il s’agit généralement de formes cubiques ou triangulaires. Mais l’originalité de Morris au sein des « minimalistes » réside essentiellement dans ses Permutations : grandes structures découpées en sections géométriques que l’on peut assembler différemment en jouant sur la variété des systèmes de combinaison. Cette idée d’une œuvre qui, du fait de la simplification de ses formes, est permutable à l’infini se retrouve chez plusieurs artistes de la tendance.

Dan Flavin (né en 1933) utilise exclusivement des tubes fluorescents qu’il agence entre eux ou qu’il dispose simplement dans l’espace. Ce matériau préfabriqué lui sert à créer des lignes lumineuses qui varient selon leur répartition, leur couleur, leur taille, la disposition du support. Judd définit ainsi les principaux éléments de son œuvre : « Les tubes fluorescents employés comme sources lumineuses, la lumière diffusée dans l’espace environnant ou projetée sur des surfaces avoisinantes et la façon dont sont disposés les supports et les tubes sur les surfaces. » La « réduction », dans la recherche de Flavin, apparaît dès 1963 avec un simple tube de néon placé à 45 degrés par rapport à l’horizontale. Petit à petit, les structures deviennent plus complexes — tubes de couleurs différentes disposés symétriquement, environnements de néon — sans jamais perdre leur nature « visuelle élémentaire ».

Tous les travaux de Sol Lewitt (né en 1928) ont en commun l’idée de combiner à l’infini plusieurs formes très simples en aboutissant toujours à un résultat différent. Lewitt choisit par exemple trois cubes auxquels il manque une, deux ou trois faces et arrive en les superposant à 47 variations. De même, avec de simples hachures horizontales, verticales et diagonales, il dessine des carrés où les lignes se répartissent chaque fois différemment. Dans certains cas, ces dessins sont exécutés temporairement et à même le mur, d’où leur nom de wall-drawings. L’apparence parfois complexe des structures et des dessins dissimule un système de combinaison extrêmement simple, réductible à quelques propositions.

Après avoir exécuté, dès le début des années 60, des sculptures faites de poutres de bois brut, Carl André (né en 1935) s’est orienté vers des œuvres au niveau du sol. D’abord petits blocs de briques posées à terre, les sculptures sont devenues de véritables planchers faits de dalles d’acier ou de matériaux divers. Ce renouvellement plastique, où la sculpture s’identifie formellement à une toile posée à terre, caractérise la démarche de cet artiste, qui a utilisé dans le même esprit des rubans de cuivre déroulés ou des tiges d’acier. Ses recherches dans le domaine de la poésie visuelle ont pu d’autre part influencer l’art conceptuel*.

Outre ces cinq artistes, de nombreux sculpteurs américains peuvent être intégrés à la tendance « minimale » : il faut citer parmi eux Tony Smith (né en 1912), Ronald Bladen (né en 1918), Larry Bell (né en 1939), John Mac Cracken (né en 1934). Tous ont profondément subi l’influence de David Smith*, qui fut le seul sculpteur américain des années 50 à opposer à la sculpture expressionniste abstraite une ordonnance des formes et une simplification de la structure ; certaines de ses sculptures en acier, comme Cinq Unités égales, de 1956, sont les premières œuvres véritablement « minimales », ce qui n’exclut pas l’influence parallèle des peintres de la même génération déjà cités.

À ce propos, il faut remarquer que si, dans son sens strict, le terme d’« art minimal » désigne essentiellement des sculpteurs, plusieurs peintres américains contemporains manient la couleur dans un esprit très proche, s’inscrivant encore plus nettement dans la lignée de Newman et de Reinhardt. Les longues lignes horizontales sur d’immenses plages nues de Kenneth Noland (né en 1924) ou les formes géométriques à l’intérieur de châssis découpés de Frank Stella (né en 1936) représentent ce renouveau de l’abstraction picturale américaine, à mi-chemin entre la géométrie pure du hard edge et la structure primaire.

Pour en revenir à la sculpture dans l’art minimal, on notera deux caractéristiques qui la distinguent essentiellement. En premier lieu, la recherche d’une forme rigoureuse passe par l’emploi de matériaux industriels ou préfabriqués, toute trace de travail de la main disparaissant. Barnett Newman déjà avait réalisé des sculptures « par téléphone », c’est-à-dire qu’il n’intervenait qu’au niveau du concept, mais se désintéressait de la fabrication matérielle. Les artistes commandent leurs matériaux — tubes de néon, carrés de cuivre ou cubes de contre-plaqué — et se contentent ensuite de les agencer, de les disposer dans l’espace (ou même les font agencer d’après leurs plans). D’autre part, le renouvellement qu’apportent ces artistes par rapport à la sculpture traditionnelle, du point de vue de la fonction de l’œuvre, consiste à faire descendre l’objet-sculpture de son socle pour ne plus le considérer qu’en liaison avec l’espace environnant. La sculpture disparaît en tant qu’objet autour duquel on tourne. Elle environne complètement le spectateur (Dan Flavin), s’identifie à un plancher (Carl André), dépasse l’échelle humaine (Robert Morris). L’œuvre perd aussi sa qualité d’objet en ce qu’elle existe une fois disposée seulement. Les boîtes de Don Judd ne deviennent signifiantes que superposées ou alignées le long d’un mur, les néons de Flavin que mis à leur place dans l’espace. D’où l’intérêt, dans le même sens, des structures permutables de Morris ou des formes évolutives de Sol Lewitt. Avec l’art minimal, la sculpture abandonne ce qu’elle avait de statique pour évoluer dans et avec l’espace.