miniature (suite)
Après une courte période à Qazvin, les peintres séfévides, au temps de Chāh ‘Abbās*, travaillent à Ispahan. Ils abandonnent les grands thèmes traditionnels pour les scènes intimes et les portraits. À cette époque, les personnages sont devenus idéalement jeunes et beaux. Ils s’habillent avec recherche et préciosité, adoptent des poses nonchalantes, inclinent leur tête sur leur épaule, dans des jardins de rêve et de fantaisie. Des groupes de courtisans se réunissent dans des pavillons fleuris que surplombent les irréels nuages chinois. Tout tend à la décoration, y compris l’être humain. Le souci du détail amène à un travail méticuleux de chaque motif, traité avec une finesse et une richesse de couleurs extraordinaires. Après 1610, Rezā Abbāsi (Riḍā ‘Abbāsī) impose sa suprématie ; son observation de la nature, les influences européennes qu’il reçoit le ramènent à un plus grand réalisme.
Écoles turques
Nous ne connaissons que depuis peu les peintures recueillies dans l’Album du Conquérant, Mehmet II (musée de Topkapı à Istanbul), qui furent exécutées sans doute au xve s. en Turquie* et dont Mehmed Siyahkalem ne doit être que le plus éminent des auteurs. Œuvres islamiques, on les dirait étrangères à l’islām. Les visions chinoises et la vie spécifique des steppes asiatiques se reflètent dans les descriptions impitoyables, les analyses presque surréalistes d’animaux, les mises en scène d’actions au dynamisme brutal, surtout exprimées par les mouvements frénétiques et le traitement des membres ; tout cela réalisé avec puissance, intensité et rare force d’expression. D’autres artistes contemporains, dont les œuvres sont aussi conservées dans le même album, se livrent à des recherches passionnées auxquelles ne sont pas étrangères les traditions nationales : l’Extrême-Orient, Byzance ou l’Italie. Témoignages uniques du grand courant d’humanisme qui parcourt le xve s. ottoman, elles seront sans lendemain. Le prestige de l’école iranienne ramène vite la peinture turque dans une voie moins originale, où, malgré ce qu’on a pu en dire, elle continue à affirmer sa personnalité, surtout par un sens narratif plus marqué qu’à Ispahan.
Miniatures mogholes
Bien qu’officiellement née de l’immigration, voulue par l’empereur Humāyūn, de peintres iraniens en Inde*, l’école moghole doit certainement beaucoup aux traditions indiennes. Certes, dans ses débuts, elle suit à peu près les normes séfévides (Hamzè-nāmè), mais, peu après 1600, les directives données par Djahāngīr, puis par Chāh Djahān, plus chefs d’ateliers que mécènes, lui font acquérir son autonomie. Le choix des sujets (événements de tous les jours, animaux et plantes, portraits surtout), le brassage des artistes, leur spécialisation (dessinateurs, coloristes, qui collaborent à une même œuvre), les techniques utilisées (on dessine d’abord au trait, puis on place la couleur, enfin on souligne les contours) contribuent à donner à l’école moghole son originalité. L’influence européenne se fait par ailleurs profondément sentir (copies nombreuses, utilisation du modelé ou de la perspective occidentale), mais elle nourrit le génie national sans l’altérer. L’Indien entend exprimer le typique et le particulier, observe la nature, mais se soucie du style. Les innombrables portraits, tous de qualité, délaissent l’anatomie pour l’attitude du corps, pour l’étude du visage (teint, oeil, sourcil, oreille) : ils cherchent l’individu.
Au xviiie s., la brusque indifférence de la cour pour la peinture, puis d’autres facteurs amènent la décadence. C’est pourtant alors que sont peints, parfois avec un désir évident d’érotisme, des tableaux de genre, de scènes intimes, des femmes à leur toilette qui, d’une certaine façon et avec beaucoup de talent, semblent rattacher la miniature moghole finissante aux traditions préislamiques de la sensualité indienne.
J.-P. R.
➙ Islām.
F. R. Martin, The Miniature Painting and Pointers of Persia, India and Turkey from the 8th to the 18th Century (Londres, 1913 ; 2 vol.). / T. W. Arnold, Painting in Islam (Oxford, 1928). / I. Stchoukine, la Peinture indienne à l’époque des Grands Moghols (E. Leroux, 1929). / B. Gray, la Peinture persane (Skira, Genève, 1961). / R. Ettinghausen, la Peinture arabe (Skira, Genève, 1962). / B. Gray et D. Barrett, la Peinture indienne (Skira, Genève, 1963).