Milton (John) (suite)
« Car ce paradis bienheureux de Dieu était le jardin par lui planté à l’est d’Éden... »
Dans son engagement, ses revers temporels, une certitude éblouissante soutient Milton, celle des « bois frais et pâturages nouveaux » du monde de l’éternité. Celle qui dans sa retraite austère et mélancolique, au terme de sa vie, le fait s’absorber tout entier dans la vision du grand œuvre qu’il portait en lui dès les années de Cambridge : Paradise Lost, publié en 1667 et auquel vont succéder Paradise Regained et un drame biblique Samson Agonistes (1671). Mieux que cette dernière œuvre bâtie sur le modèle de la tragédie grecque telle qu’Aristote la conçoit, tournant autour des épreuves et des angoisses d’un champion du Seigneur, vaincu mais que sauve son énergie avec l’aide de Dieu ; mieux que celle du grand thème de la tentation du Christ au désert où la poésie cède le pas aux discours et discussions sophistes entre Satan et le Christ, et malgré l’austère beauté de l’une et l’autre, Paradise Lost représente à juste titre aux yeux de la postérité le témoignage impérissable du génie propre au poète. Les inoubliables pages où se fondent harmonieusement la splendeur Renaissance des images et la beauté retenue de la pensée puritaine, la majesté du décasyllabe anglais qui confère à l’ensemble un rythme auguste, l’évocation grandiose de l’Empyrée, du Chaos, de l’Enfer, du Paradis terrestre, les personnages attachants, Adam et Ève dans leur « majesté nue », et Satan dans son orgueil indomptable, tout contribue à la réalisation du souhait que Milton exprime dans The Reason of Church-Government de « laisser aux temps futurs quelque chose d’écrit de telle façon qu’ils ne voudront pas le laisser périr ». La postérité va l’exaucer. À travers les siècles, se penchant avec passion sur l’art, sur la personnalité du poète et sur son épopée chrétienne placée dès le xviiie s. à l’égal de l’Odyssée et de l’Énéide, des hommes venus de tous les bords, de Dryden à F. R. Leavis en passant par Addison, Pope, Voltaire, Johnson, Chateaubriand, Blake, Coleridge, Keats, Hopkins, Ezra Pound, T. S. Eliot ou J. M. Murry, témoignent bien, même quand ils le décrient, que Milton rejoint le fonds d’influence permanent dans l’empyrée de la littérature anglaise et universelle.
D. S.-F.
E. M. W. Tillyard, Milton (Londres, 1930 ; nouv. éd., Harmondsworth, 1968). / K. A. Muir, John Milton (Londres, 1955). / E. Saillens, J. Milton (Gallimard, 1959). / W. R. Parker, Milton, a Biography (Oxford, 1968 ; 2 vol.). / J. Carey, Milton (Londres, 1969).