millénarisme (suite)
La consolidation entraîne nécessairement des changements importants. Lorsque le mouvement est errant, il en vient à se fixer et à construire une ville sainte. Plus souvent, il y a passage au statut d’Église ou de chapelle. Cela s’accompagne d’une institutionnalisation, marquée par des règles, des rites et des conduites stéréotypées ; l’effervescence originelle est neutralisée, car elle menace la stabilité. Dans le domaine intellectuel, cela détermine le passage au dogme et à la théologie, c’est-à-dire à la fixation des thèmes et à leur traitement rationnel ; la conséquence en est une atrophie des motifs millénaristes. Enfin, le recrutement social évolue : les classes moyennes et supérieures peuvent adhérer et, ce faisant, tendent à éliminer les marginaux. Enfin, le passage au statut de société (dans les types nos 1 et 4) entraîne la même évolution, mais dans un sens laïque. Le schéma général est la prise en considération de la réalité, des obstacles et des limites de la vie en société (hiérarchies, problèmes économiques, conflits...).
En résumé, on peut appliquer aux millénarismes l’image de la sélection des espèces. Il y a d’innombrables mouvements, dont la plupart disparaissent, tués par l’ordre. Ils n’en laissent pas moins des traces dans les consciences, sous la forme d’aspirations et de thèmes, qui peuvent resurgir dans des contextes tout différents.
Certains survivent en se transformant du tout au tout. Vainqueurs ou vaincus, ils constituent un facteur important d’innovation sociale.
J. B.
E. Bloch, Thomas Münzer (Munich, 1921 ; trad. fr., Julliard, 1965). / P. Alphandéry et A. Dupront, la Chrétienté et l’idée de croisade (A. Michel, coll. « Évol. de l’humanité », 1954-1959 ; 2 vol.). / N. Cohn, The Pursuit of the Millenium : Revolutionary Millenarians and Mystical Anarchists of the Middle Ages (Londres, 1957 ; nouv. éd., 1970 ; trad. fr. les Fanatiques de l’Apocalypse, Julliard, 1962). / G. Guariglia, Prophetismus und Heilserwartungsbewegungen als völkerkundliches und religiongeschichtliches Problem (Vienne, 1959). / V. Lanternari, Movimenti religiosi di libertà e di salvezza dei popoli oppressi (Milan, 1960 ; trad. fr., les Mouvements religieux de liberté et de salut des peuples opprimés, Maspero, 1962). / W. E. Mühlmann, Chiliasmus und Nativismus (Berlin, 1961 ; trad. fr. Messianismes révolutionnaires du tiers monde, Gallimard, 1968). / S. L. Thrupp, Millenarial Dreams in Action. Essays in Comparative Study (Mouton, La Haye, 1962). / E. J. Hobsbawm, les Primitifs de la révolte dans l’Europe moderne (Fayard, 1966). / G. Duby, l’An mil (Julliard, coll. « Archives », 1967). / M. J. Pereira de Queiroz, Réforme et révolution dans les sociétés traditionnelles. Histoire et ethnologie des mouvements messianiques (Anthropos, 1968). / J. Baechler, les Phénomènes révolutionnaires (P. U. F., 1970). / H. Desroche et coll., Dieux d’hommes. Dictionnaire des messianismes et millénarismes de l’ère chrétienne (Mouton, 1970).