Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Michel-Ange (suite)

Ce n’est certes pas cette dernière image d’impuissance — tant appréciée par nos contemporains — qu’il convient, à notre avis, de retenir, mais les chefs-d’œuvre de la jeunesse et de la maturité, qui bouleversent, bousculent l’art du temps par leur tension, par leur fièvre, par leur énergie indomptable. De cet art tourmenté, mais d’une géniale invention de formes, devait procéder le courant maniériste, né à Florence sous le patronage même du maître et appelé à se propager dans toute l’Europe. C’est bien Michel-Ange qui est l’inventeur de la « linea serpentina », un des traits essentiels du maniérisme*. Plusieurs de ses œuvres méritent l’épithète de maniériste, comme la Victoire, le projet d’Hercule et Cacus (Florence, Casa Buonarroti) et ce Christ de Santa Maria sopra Minerva, à Rome, beau comme un héros antique (1519-1521). Enfin, du pathétique michelangelesque naîtrait aussi, plus lard, le baroque*, dont les maîtres reconnaîtront en Buonarroti un de leurs pères spirituels.

Michel-Ange s’éteignit à Rome presque nonagénaire, chargé de gloire, entré déjà dans la légende, mais c’est dans sa vraie patrie, Florence, qu’il fut enterré et qu’il repose.

F. S.

 R. Rolland, Michel-Ange (Libr. de l’art ancien et moderne, 1905). / C. Frey, Michelangelo Buonarroti, sein Leben und seine Werke (Berlin, 1907). / E. Steinmann et R. Wittkower, Michelangelo Bibliographie (Leipzig, 1927). / V. Mariani, Poesia di Michelangelo (Rome, 1940) ; Michelangelo (Naples, 1964). / C. de Tolnay, Michelangelo (Princeton, 1943-1963 ; 5 vol. parus) ; Michel-Ange (Arts et métiers graphiques, 1970). / L. Goldscheider, Michelangelo : Drawings (Londres, 1951 ; 2e éd., 1966) ; Michelangelo : Paintings, Sculptures, Architecture (Londres, 1953 ; 4e éd., 1962). / L. Dussler, Die Zeichnungen des Michelangelo, kritischer Katalog (Berlin, 1959). / J. S. Ackerman, The Architecture of Michelangelo (Londres, 1961 ; 2e éd., 1964). / U. Procacci, La Casa Buonarroti à Firenze (Milan, 1965). / Atti del Convegno di studi michelangioleschi, Florence-Rome 1964 (Rome, 1966). / E. Camesasca, Tout l’œuvre peint de Michel-Ange (trad. de l’ital., Flammarion, 1967). / F. Hartt, Michelangelo, the Complete Sculpture (Londres, 1970 ; trad. fr. Michel-Ange, toute la sculpture, Éd. cercle d’art, 1971) ; The Drawings of Michelangelo (Londres, 1971). / Michel-Ange. Sa vie. Son œuvre (Bonechi, Milan, 1975).

Michelet (Jules)

Écrivain et historien français (Paris 1798 - Hyères 1874).



L’apôtre romantique

Jules Michelet appartenait à la génération, née avec le siècle, qui devait donner au romantisme français tout son éclat. Il était de l’âge de Vigny, de Balzac, de Hugo, de Dumas, de Sand et de Sainte-Beuve. De leur commune curiosité historique il fit une passion dont la culture moderne n’a pas fini de se nourrir. S’il « ressuscita » tout le passé du peuple qui avait pris la Bastille et qui continuait d’incarner, dans la légende de l’Occident, malgré ses erreurs et ses défaites, l’espérance révolutionnaire, il enseigna aussi une philosophie de l’histoire qui devint philosophie de la vie morale et de la nature. C’est pourquoi il fut, de son vivant, l’un des maîtres spirituels de la France et de l’Europe. L’autorité de sa parole s’imposa au Collège de France, où il occupa de 1838 à 1851 une chaire d’histoire et de morale. La jeunesse des écoles applaudissait bruyamment l’apôtre romantique, dont le gouvernement de Louis-Philippe, imité par celui de « Napoléon le Petit », jugea prudent d’interdire la prédication. Dans la génération qui, en France, prit part à l’insurrection de février 1848, refusa le second Empire et fonda la IIIe République ou qui, en Roumanie, en Pologne et en Italie, servit la cause de l’indépendance nationale et de la démocratie, Michelet compta beaucoup de fervents disciples. Que de rues et d’écoles, baptisées par leurs soins, ne portent-elles pas encore son nom !

Le combattant du Collège de France souffrit, outre-tombe, du discrédit que plusieurs générations jetèrent, au nom d’une idéologie positiviste, sur le romantisme. Il fut d’autant plus contesté que les historiens qui lui succédèrent crurent que leur discipline pouvait s’approprier l’objectivité des autres sciences. Son amour du peuple lui valut d’être accusé de partialité. Il éveilla aussi des haines politiques. Maurras accabla le « vieil esclave illuminé » qui s’était fait le « théologien des droits de la multitude ». Les marxistes méprisèrent ce contemporain de l’auteur du Capital qui avait espéré la réconciliation des classes et affirmé la pérennité des nations. Mais un carré de fidèles serrait les rangs. Aux yeux d’un Péguy, d’un Proust, d’un Barrès, d’un Malraux, Michelet demeura le fondateur de la moderne « magistrature » de Clio. Un historien (et quel historien !), Lucien Febvre, le cita en exemple quand il entreprit de régénérer la science du passé. Aujourd’hui, tout un procès de réhabilitation est en cours. L’évolution même de notre culture l’a rendu possible. Comment ignorer, en effet, que les nations ont la vie dure, que la conscience de classe éclate, que toute une jeunesse rêve de donner le pouvoir à l’imagination ? Une Renaissance romantique s’annonce. Les œuvres de Michelet, mais aussi celles de Hugo, de Sand ou de Fourier retrouvent des éditeurs et des lecteurs.


Le fils de la Révolution

Michelet ressuscité apparaît d’abord, et selon sa propre volonté, comme un fils de la Révolution et du Siècle des lumières. Il vit le jour le 21 août 1798, dans une chapelle désaffectée des Filles de Saint-Chaumont, au coin de la rue de Tracy et de la rue Saint-Denis. Ardennais par sa mère, picard par son père, qui, ouvrier à l’imprimerie des assignats, avait fondé après Thermidor un modeste atelier, il eut une enfance difficile. Élevé au milieu du petit peuple de Paris, il ne fut pas, comme Vigny et beaucoup de fils de l’aristocratie ou de la bourgeoisie, ébloui par les exploits militaires de Bonaparte. Il subit les épreuves de la pauvreté : le travail rare, le froid, la faim. Son père, après avoir risqué la prison lors de la conjuration des Égaux, fut enfermé pour dettes à Sainte-Pélagie en 1808, quand la réglementation impériale de l’imprimerie raréfia la commande. Il reporta sur son fils tous ses espoirs. Il lui conta les luttes civiles auxquelles il s’était trouvé mêlé, en homme de la rue. Il lui inculqua ses convictions jacobines et même babouvistes. Non content de l’initier à son métier, il voulut lui donner une éducation intellectuelle. L’enfant commença ses humanités sous la férule de grammairiens besogneux, installés dans des mansardes. Mais il les acheva sérieusement au collège Charlemagne, malgré l’hostilité de ses condisciples, au milieu desquels il se sentit, « comme un hibou en plein jour, tout effarouché ». Rien ne lui était plus agréable, les jours de congé, que de lire « deux fois, trois fois de suite un chant de Virgile, un livre d’Horace ». Au concours général de 1816, il remporta trois prix, dont deux de latin. Bachelier en 1817, licencié ès lettres en 1818, docteur en 1819, avec une thèse sur Plutarque, il fut reçu le troisième, en 1821, au premier concours de l’agrégation.