Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Michaux (Henri) (suite)

Mais les moyens pour parvenir à l’exploration totale de l’« espace du dedans » sont encore insuffisants. Il faut élargir le champ de la conscience pour atteindre la source même des enchevêtrements qui apparaissent à la surface. C’est alors que Michaux, à partir de 1955, décide, pour ce faire, d’utiliser la drogue, et plus particulièrement la mescaline. Il note scrupuleusement les effets obtenus dans Misérable Miracle (1956), l’Infini turbulent (1957), Paix dans les brisements (1959) et Connaissance par les gouffres (1961). Ce nouveau moyen de connaissance n’est pas une fuite de la réalité insupportable, mais une exploration savamment contrôlée, un moyen de mieux savoir, qui, cependant, a ses limites : « Les drogues nous ennuient avec leur paradis. »

À l’heure actuelle, Michaux a interrompu ses expériences de drogue, mais poursuit inlassablement, par le moyen du langage (Façons d’endormi, façons d’éveillé, 1969 ; Moments, 1973) et surtout du dessin, cette recherche d’une paix qui ne soit pas le prix de son brisement, celle qui mènerait à la « complétude ».

M. B.

 R. Bertelé, Henri Michaux (Seghers, 1947 ; nouv. éd., 1965). / P. de Coulon, Henri Michaux, poète de notre société (La Baconnière, 1949). / R. Bréchon, Michaux (Gallimard, 1959 ; nouv. éd., 1969). / A. Jouffroy, Henri Michaux (le Musée de poche, 1961). / R. Bellour, Henri Michaux ou Une mesure de l’être (Gallimard, 1965). / R. Bellour (sous la dir. de), Henri Michaux (l’Herne, 1967). / K. Leonhard, Michaux (Stuttgart, 1967 ; trad. fr., Tisné, 1968). / N. Murat, Michaux (Éd. universitaires, 1967). / W. Schmidt, Henri Michaux (Erker, 1974).

Michel-Ange

Sculpteur, peintre, architecte et poète italien (Caprese, près d’Arezzo, 1475 - Rome 1564).


L’un des grands génies artistiques de l’humanité, il a résumé et accompli dans leur plénitude toutes les quêtes d’absolu et de beauté de la haute Renaissance*, de façon moins sereine que Raphaël*, mais avec un dynamisme et un sens du drame qui ouvraient de nouvelles perspectives.


L’homme

Michelangelo Buonarroti naquit d’une famille ruinée qui prétendait avoir une ascendance aristocratique et qui vint s’établir à Florence. Les dispositions du jeune garçon incitèrent à le confier à l’atelier du peintre Ghirlandaio*, alors le fresquiste le plus réputé. Laurent de Médicis, le Magnifique, remarqua l’apprenti, lui ouvrit les jardins de son palais, son Académie et le mit ainsi en contact avec sa collection d’antiques ; Michel-Ange fréquenta là un cercle d’intellectuels raffinés — Politien, Marsile Ficin, Pic de La Mirandole — qui eurent une profonde influence sur sa formation spirituelle et son ambition d’artiste créateur. L’Académie était dirigée par le sculpteur Bertoldo di Giovanni (v. 1420-1491), spécialisé dans le bronze. Or, Michel-Ange fut avant tout un sculpteur sur marbre ; l’étude des antiques semble donc avoir compté par-dessus tout dans sa formation. Il ne se passait pas de jour, à cette époque, qu’on ne découvrît à la suite de fouilles quelque morceau important enfoui dans le sol italien : par exemple, au début du xvie s., le fameux groupe du Laocoon. À la sculpture antique, Michel-Ange demanda la science de la composition, du groupement des personnages, de l’harmonieuse beauté du corps humain, du jeu expressif de la musculature, mais il y ajouta une recherche de mouvement et un approfondissement psychologique et moral. Le corps humain devenait un langage par lequel l’artiste faisait sentir les émotions et les passions de l’homme, puis, se haussant au plan métaphysique, exprimait tout le tragique de la destinée humaine en face de son créateur.

On a beaucoup disserté sur la signification et l’interprétation néo-platonicienne de l’œuvre de Michel-Ange, jusqu’à vouloir en expliquer les moindres détails par cette philosophie, sans doute de façon quelque peu excessive. Certes, Michel-Ange fut un artiste conscient de son importance et de la valeur de message de son œuvre. Il est certain qu’il demeura toute sa vie profondément croyant, même si, comme beaucoup d’hommes de la Renaissance, il fut tenté par des rêves syncrétistes. L’Antiquité, il la vivait intensément dans ses œuvres retrouvées et dans son esprit, et il ne craignait pas de mêler des éléments païens à son univers chrétien. On se souviendra, par ailleurs, qu’il vécut en des temps particulièrement troublés : ce Florentin vit les régimes politiques se succéder à un rythme rapide dans sa ville bien-aimée, le trône de saint Pierre occupé par des pontifes scandaleux (Alexandre VI Borgia), veules ou cupides, la foi vaciller chez beaucoup et l’orthodoxie récusée en même temps que le principe d’autorité. On l’a parfois accusé d’être allé jusqu’aux limites de l’hérésie, et, assurément, Michel-Ange fréquentait des milieux incertains. Malgré des déchirements dont ses ouvrages portent les stigmates, il ne transigea pas. Les événements instables bouleversèrent considérablement ses projets et sa carrière ; son caractère difficile, son orgueil ombrageux, ses sautes d’humeur, qui le faisaient passer de l’exaltation au découragement et au désespoir, retentirent sur l’accomplissement de son œuvre, qui, dans une large mesure, se présente comme inachevée, comme une sorte de grandiose échec, surtout dans le domaine de la sculpture. Or, Michel-Ange se sentait et se voulait avant tout un sculpteur. C’est la sculpture qu’il considérait comme le plus noble de tous les arts, en partie parce que c’était le plus difficile. Devant le bloc de marbre dont il fallait tirer une forme vivante, il connut la lutte pathétique du créateur jamais satisfait. Par sentiment de la faillite, il lui arriva souvent de ne pas conduire son travail jusqu’à la perfection, jusqu’au polissage qui donne au marbre son éclat et son aspect précieux, laissant en certaines parties subsister les traces du ciseau, de la « gradine » en une matité rugueuse et parfois ne dégageant qu’à peine la forme désirée. Un certain romantisme s’est emparé de ce non finito pour lui faire exprimer les plus secrets tourments du maître et le charger d’une signification suprême, alors que la vérité est beaucoup plus simple : Michel-Ange, par lassitude ou par rage de ne pas obtenir ce qu’il voulait, refusait d’aller plus avant. Il a toujours traité avec un sens très scrupuleux de la finition les ouvrages qu’il considérait comme terminés. Mais cette bruttezza a commis des ravages dans les temps qui ont suivi, et Michel-Ange, par cette répugnance de plus en plus fréquente avec l’âge à aller jusqu’au bout, est devenu le symbole de la lutte sans fin du génie humain contre l’aveugle fatalité, une sorte de nouveau Sisyphe.