Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Mezzogiorno (suite)

L’influence des facteurs humains a également été avancée. Les conditions démographiques et sociales des populations seraient des freins au développement. L’accroissement naturel dans le Sud a longtemps été beaucoup plus élevé que dans le Nord grâce à une forte natalité et à une faible mortalité (même si elle s’accompagne d’une forte mortalité infantile). En 1881-1885, l’accroissement naturel méridional est de 11,7 p. 1 000. À cette époque, la différence avec le Nord n’est pas forte (ce dernier a un accroissement naturel de 9,9 p. 1 000). Par contre, en 1950-51, la natalité méridionale s’élève à 25,5 p. 1 000 et la mortalité à 9,8 p. 1 000, ce qui donne un accroissement de 15,7 p. 1 000 contre 5,5 p. 1 000 pour le Nord. À cela s’ajoute le haut degré d’analphabétisme dans le Sud : 24 p. 100 des habitants de plus de six ans en 1948 dans le Sud contre 5 p. 100 dans le Nord. Enfin, on note le maintien de structures sociales arriérées avec le système de la « clientèle », l’absence d’esprit d’entreprise...

Ce « pessimisme démographique » est tout aussi erroné que le premier. Les conditions démographiques ont beaucoup changé ces vingt dernières années. Le Midi demeure un secteur de fort accroissement relatif, mais avec des valeurs beaucoup plus faibles. La natalité s’est abaissée à 19,6 p. 1 000 face à des taux de mortalité de 8,6 p. 1 000. Cela est dû aux puissants mouvements migratoires qui ont entraîné les Méridionaux vers le Nord, mais aussi à l’apparition d’attitudes moins natalistes. L’analphabétisme a beaucoup reculé, ainsi que le mythe du Méridional incapable de sortir d’un traditionalisme désuet et inefficace.

La véritable explication du sous-développement est d’ordre historique. Le Midi a été des siècles durant soumis à des dominations étrangères. La naissance de l’antagonisme entre le Nord et le Midi a lieu au moment de l’unité italienne. Le nouvel État est l’œuvre des gens du Nord, dotés d’un complexe de supériorité à l’égard du Midi et qui, maintes fois, ont à son égard des comportements « quasi colonialistes ». L’économie somnolente du royaume des Deux-Siciles est ruinée par la disparition des barrières protectionnistes. La conservation du système de la grande propriété (le « latifondo »), une charge fiscale écrasante retombant sur le monde paysan font régresser le niveau économique des Méridionaux, déjà fort bas. La réaction est violente, littéraire, politique et populaire (avec le brigandage). Le Midi ne trouve de remèdes que dans une émigration massive. Le fascisme nia purement et simplement la question méridionale, considérant ces régions comme un réservoir de main-d’œuvre et un débouché pour les industries septentrionales.


La mise en place d’une politique de développement

Après la Seconde Guerre mondiale, la solution du problème du Mezzogiorno devient un objectif prioritaire national. Dès 1946, une association privée est fondée pour réaliser des études préalables : c’est la SVIMEZ (Associazione per lo sviluppo dell’industria nel Mezzogiorno). De 1947 à 1950, plusieurs lois sont votées en vue de favoriser des implantations industrielles, d’aider l’agriculture et le tourisme, et de financer la construction d’infrastructures ; 1950 est une année décisive. Il y a d’abord une réforme agraire tendant à limiter la propriété foncière à 200 ou 300 ha selon l’intensité de l’exploitation. Elle a des incidences dans le Midi sur 7 millions d’hectares. Mais, surtout, 1950 est l’année de la fondation de la Cassa per il Mezzogiorno (la « Caisse du Midi »). C’est un organisme public créé pour dix ans ; en fait, sa durée sera portée à douze, puis à quinze ans, et, en 1965, la Caisse du Midi est prolongée d’une nouvelle durée de quinze ans. Son financement est assuré par une dotation budgétaire et par des emprunts contractés auprès d’organismes internationaux comme la B. I. R. D. (Banque internationale pour la reconstruction et le développement) ou la B. E. I. (Banque européenne d’investissement). Cette Caisse a la gestion unique des fonds destinés à promouvoir le développement économique et social du Midi. Elle a une très grande autonomie ; notamment, elle dispose d’un budget pluriannuel, ce qui lui donne de meilleures possibilités de programmation. Ses modalités d’action sont diverses. La Caisse intervient directement dans les secteurs productifs. Elle peut aussi intervenir dans le domaine du crédit ; dans ce cas, elle passe le plus souvent par l’intermédiaire de trois institutions de crédit créées en 1953 : l’ISVEIMER (Istituto per lo sviluppo economico dell’Italia meridionale) pour le Mezzogiorno continental, l’IRFIS (Istituto regionale per il finanziamento alle medie e piccole industrie in Sicilia) pour la Sicile et le CIS (Credito industriale sardo) pour la Sardaigne. En 1962, la Caisse, avec les trois banques citées ci-dessus, fonde l’IASM (Istituto per l’assistenza allo sviluppo del Mezzogiorno), organisme plus spécialement chargé d’effectuer des études de localisation et d’information pour des entreprises désireuses de s’implanter dans le Midi.

L’œuvre de ces différents organismes (dont la liste n’est pas exhaustive) est considérable. Elle s’est faite en deux phases. Jusqu’en 1957, l’idée d’un développement équilibré s’appuyant sur la création massive d’infrastructures prévaut. Le plan initial prévoyait un investissement de 1 000 milliards (de lires) en dix ans, dont 77 p. 100 pour l’agriculture. Il a été modifié, mais les secteurs privilégiés dans cette période restent l’agriculture et les infrastructures qui lui sont liées. L’échec de ces premières actions amène un changement d’orientation en 1957. On trouve plus rentable de concentrer les efforts sur des espaces déjà équipés autour d’un ensemble urbain, « les aires de développement industriel », ou sur des unités mineures « les noyaux d’industrialisation ». L’industrialisation devient l’objectif premier de toute action, et cela se marque dans la loi du 29 juillet 1957, complétée par d’autres décisions législatives. Les principales dispositions visent à accélérer l’installation des industries dans le Mezzogiorno. Outre des initiatives en matière d’enseignement technique et de formation professionnelle ainsi que l’obligation faite aux ministères techniques de répartir leurs dépenses de travaux publics proportionnellement au chiffre de population, des obligations particulières sont faites aux entreprises parapubliques. L’IRI (Istituto per la ricostruzione industriale) et l’ENI (Ente nazionale idrocarburi) doivent domicilier 60 p. 100 de leurs nouveaux investissements et 40 p. 100 de leurs investissements globaux dans le Mezzogiorno. Les entreprises privées qui localiseront des établissements dans le Midi reçoivent de nombreux avantages : avantages fiscaux (diminution de moitié de l’impôt sur les transactions, exemptions des droits de douane sur les matériaux et machines destinés aux entreprises se créant ou se transformant dans le Midi, etc.), subventions à fonds perdus (allant jusqu’à 20 p. 100 de certaines dépenses d’installation ou d’agrandissement pour les petites et moyennes entreprises s’implantant dans des communes de moins de 75 000 habitants), avantages financiers (crédits à long terme et à faible intérêt), avantages divers (réduction de tarifs ferroviaires, cession de terrains à usage industriel, marchés d’État).