Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mexique (suite)

Ruiz Cortines sait se tailler une place parmi les habiles manœuvriers et résoudre momentanément des problèmes difficiles ; non seulement il survit à la crise politique du P. R. I., mais encore il s’impose sans recourir aux méthodes classiques, sans doute parce qu’il n’est pas en position de force et ne peut imposer sa volonté comme un Cárdenas ou un Alemán. De là une relative démocratisation de la vie interne du parti, que d’aucuns trouvent prématurée.


López Mateos (1958-1964)

Ruiz Cortines choisit Adolfo López Mateos (1910-1969) pour son successeur et se retire à Veracruz. Le nouveau président conserve les collaborateurs de Ruiz Cortines. Il doit faire face à une intense agitation ouvrière, encouragée par l’évolution du castrisme, pour lequel vibrent momentanément les foules mexicaines, ce qui, par réaction, inquiète le capital étranger et réveille la droite. Tout semble se ramener au choix entre une rechute révolutionnaire, suivant l’exemple cubain, ou le maintien décidé de la politique classique de croissance adossée à la puissance des États-Unis.

López Mateos répond en mettant l’accent sur l’unité nationale et le « mexicanisme » : il brise toutes les manifestations dangereuses pour le pouvoir en 1958-59. Son ministre de l’Intérieur, Gustavó Díaz Ordaz (né en 1911), aidé de son assistant Luis Echeverría (né en 1922) réprime durement, en employant l’armée, la grève des cheminots : 200 morts et l’emprisonnement pour douze ans des principaux dirigeants. L’armée intervient encore pour déloger les paysans qui ont procédé à des occupations de terres ; les syndicats sont repris en main, en particulier celui des enseignants ; le peintre communiste Siqueiros, celui qui a jadis, mitraillette au poing, conduit un commando à l’assaut de la maison de Trotski, est mis en prison pour « son manque de patriotisme mexicain ». Le leader agraire Rubén Jaramillo est massacré avec toute sa famille par des militaires proches de la présidence.

Il est plus difficile d’adopter une politique cubaine quand Cárdenas affiche ses sympathies pour un pays qui s’oppose aux États-Unis. López Mateos rappelle à la nation que la révolution mexicaine est la première ; elle n’a de leçon à prendre de personne et, encore moins à « importer » une révolution exotique. Cárdenas étant sorti de sa réserve en faveur de Cuba et d’une nouvelle gauche mexicaine, López Mateos sait se tirer d’affaire en proclamant que, dans les limites de la Constitution, il fera une politique d’extrême gauche. En 1960, la nationalisation de l’énergie électrique permet de restaurer l’unité nationale, menacée par la polarisation en deux blocs pour et contre Cuba. Le Mexique, tout en condamnant la subversion sur le continent, se refuse à rompre avec Cuba.

La fuite des capitaux à l’étranger, préparée par les manifestations procubaines, est déclenchée par une politique de nationalisations et une apparente volonté de « mexicanisation ». Les capitalistes mexicains y voient une menace contre la propriété privée, alors qu’il ne s’agit que du traditionnel national-populisme, de la défense des intérêts nationaux privés comme publics. Le gouvernement s’efforcera par la suite de dissiper l’équivoque.


Díaz Ordaz (1964-1970)

López Mateos, désireux de conserver son influence, choisit pour successeur le ministre de l’Intérieur, qui manifeste aussitôt une grande énergie.

Insensiblement, le pays de la révolution institutionnalisée entre dans la crise politique, et la violence, jamais absente, mais toujours discrète, apparaît en plein jour. La crise politique ne vient pas seule : le gouvernement doit faire face à la conjonction de la croissance démographique et d’un problème économique. Dans un pays où 50 p. 100 de la population a moins de quinze ans, la croissance annuelle du produit national brut peut sembler suffisante avec son taux de 7 p. 100, mais la balance extérieure est déficitaire, et le Mexique est entré dans le cercle vicieux de la dette extérieure entre 1965 et 1970 pour payer les intérêts avec l’argent frais des nouveaux investissements : il y a 4 milliards de dollars de dette ou d’investissements directs et persiste la menace de voir les capitaux flottants, la « hot money », prendre la fuite au moindre indice de dévaluation, de réforme fiscale ou de crise politique.

L’omniprésence du P. R. I., un présidentialisme très marqué permettent une grande stabilité, qui s’accompagne d’un renouvellement du personnel politique inférieur et moyen à 70 p. 100 tous les six ans. Cela donne un contrôle vertical et horizontal du pays. Le P. R. I. est une machine électorale parfaite qui, à travers les syndicats, sert de courroie de transmission et d’instrument de contrôle.

Les crises sont des conflits de superstructures très révélatrices. López Mateos s’était heurté aux instituteurs ; Díaz Ordaz commence par briser les médecins avant de se heurter aux étudiants de l’université de Mexico en 1966. Ce genre de conflit peut prendre une allure régionale dans les États victimes du sous-développement (Durango, Yucatán). Dans ces crises, la presse marginale de gauche joue son rôle, car elle est très lue par les classes moyennes, hostiles au monopole politique du P. R. I. Le conflit de l’université de 1968, qui aboutit au massacre de Tlatelolco, a été analysé par le poète Octavio Paz comme la protestation de ces classes moyennes non représentées, à laquelle s’ajoute une réaction exagérée du gouvernement.


Luis Echeverría

Ancien ministre de l’Intérieur de Díaz Ordaz, Luis Echeverría (président en 1970) a le choix entre la « ligne dure » et la démocratisation. À peine a-t-il semblé opter pour la seconde politique et libéré les prisonniers politiques que la capitale assiste aux événements sanglants du 10 juin 1971 : des organisations paramilitaires formées sous la précédente Administration assaillent ce jour-là une manifestation estudiantine. Depuis, le président Echeverría essaie de poursuivre sa politique démocratique en se débarrassant des hommes de Díaz Ordaz ; une lutte intense pour le pouvoir se livre à l’intérieur du pouvoir même, tandis que des flambées sporadiques de guérilla rurale et de terrorisme urbain ont fait leur apparition. En février 1972, Echeverría marque des points en gagnant le contrôle du P. R. I., tandis que l’armée est de plus en plus mobilisée contre la guérilla. À l’extérieur, le gouvernement d’Echeverría, qui préconise un système économique strictement latino-américain, incluant Cuba, interrompt en 1974 ses relations diplomatiques avec le Chili, manifestant ainsi sa réprobation à l’égard du nouveau régime.

En juillet 1976, José López Portillo (P. R. I.) est élu président de la République, mais la passation des pouvoirs (déc. 1976) se fait dans un climat de malaise social qui met en évidence la nécessité de réformes.

J. M.