Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mexique (suite)

La Nouvelle-Espagne

Hernán Cortés et ses compagnons héritent de la domination aztèque pour réaliser ce que Tenochtitlán n’a pu achever : la conquête de toutes les terres entre les deux océans, réalisée avec les troupes des vaincus, à tel point que l’on a pu dire que c’est la dernière expédition militaire aztèque, une manière de revanche posthume. Cette conquête, les capitaines de Cortés, fidèles au rêve d’empire universel de leur chef, la porteront jusqu’aux Philippines, sur la route de la Chine.

Le Mexique est né au xvie s. de la violence de deux peuples, les Aztèques et les Espagnols, qui, ensemble, les premiers soumis aux seconds, ont fait l’unité de ce monde. Un empire remplace l’autre et l’amplifie en imposant une seule foi, une seule loi, un seul roi à la multitude des peuples indiens.


L’évangélisation

En 1524 débarquent douze franciscains dirigés par frère Martín de Valencia. Ce sont les représentants de l’Espagne réformée par Jiménez de Cisneros, réformée en vérité par Jean de la Croix et Thérèse d’Ávila, et ils brûlent du même feu. Il y a alors conversion rapide, massive et fervente d’un monde fait de nombreuses nations. Luis de Fuensalida († 1545), un des douze, dit : « Celui qui parlera le moins, ce sera moi, qui pourtant ne suis pas le dernier à connaître les bontés des Indiens, leur crainte de Dieu, leur préparation à la mort, leurs confessions, leur science de la lecture, écriture, chant, les larmes qu’ils versent [...] leur assiduité à l’office divin. » La ferveur de cette chrétienté fait dire au frère Bernardino de Sahagún (v. 1500-1590), qui soixante ans durant réunit une documentation encyclopédique sur les civilisations américaines : « Après l’Église primitive N. S. Dieu n’a rien fait d’aussi remarquable que la conversion des gentils de ces Indes de l’Océan. » Il y a des ombres au tableau, comme le retard apporté à donner la communion aux Indiens, le refus d’ordonner des Indiens au sacerdoce. Reste ce fait remarquable : une poignée d’hommes évangélise le Mexique dans le temps d’une génération.

La religion n’est pas une idéologie destinée à justifier la conquête ou à permettre aux puissants d’écraser les misérables ; grâce à elle, l’ordre colonial n’est pas une tyrannie nouvelle remplaçant l’ancienne. Le baptême ouvre les portes à tous. Certes, les Espagnols ont épargné les Indiens parce que leur intérêt passait par la conservation de la main-d’œuvre, ce capital précieux. Mais la dureté des maîtres met en lumière l’importance de la foi, car, sans elle, le destin des Indiens aurait été bien différent. L’Église a sauvé les Indiens de la pire des morts, la mort spirituelle, qui entraîne la mort tout court — songeons aux peuples polynésiens, qui ont perdu le goût de vivre après la conquête européenne au xixe s. et qui se sont lentement laissés périr. L’Église leur a donné une place dans le monde, alors qu’ils avaient tout perdu. « Cette possibilité d’appartenir à un ordre vivant, fût-ce à la base de la pyramide sociale, fut impitoyablement refusée aux indigènes par les protestants de la Nouvelle-Angleterre », écrit Octavio Paz dans le Labyrinthe de la solitude (1950).


Le Mexique colonial

La société coloniale du vice-royaume de Nouvelle-Espagne porte tous ses fruits au cours du brillant xviiie s., et le baron prussien Alexander von Humboldt* nous en a laissé un portrait saisissant à la veille de l’indépendance. La grande poésie coloniale, si magnifiquement exprimée par sœur Juana Inés de la Cruz (1651-1695) au moment où le règne de Charles II est l’un des plus tristes de l’histoire d’Espagne, l’art baroque, les lois des Indes, la splendeur minière sont les fruits de cet ordre. Reconnaître, admirer ces réalisations à la suite de Humboldt n’empêche pas de voir les inégalités génératrices de tensions graves.

Le Mexique a été marqué par les traces contradictoires de trois siècles de colonisation. Avec 6 millions d’habitants en 1800, c’est la région la plus peuplée et la plus riche de l’empire, la plus liée à l’Europe aussi. Sa capitale, « la Cité des palais », est la première ville américaine, ville splendide, à l’échelle mondiale. Dès le début, on peut parler de plusieurs pays.

Le Mexique de l’argent, Mexique septentrional, soutient la croissance de la capitale ; des mines nouvelles et plus vastes s’ajoutent à celles qui sont ouvertes depuis le xvie s. Querétaro, Guanajuato, San Luis Potosí, Zacatecas et Durango jalonnent le front minier. La mine donne son poids au Nord, car elle entraîne l’expansion de l’élevage et de l’agriculture. Dans cette zone, peu ou point marquée par le passé précolombien, la hacienda d’élevage s’installe en terre vierge. Même là où il existait des Indiens sédentaires, la mine accélère le triomphe de la hacienda, grande propriété et unité d’exploitation.

Dans ce Nord en expansion, l’oligarchie des mineurs mène une vie somptueuse que les grands éleveurs ont du mal à imiter. Le Nord, malgré tant de richesse, dépend du Mexique central, dominé par les syndicats de commerçants de Mexico et de Veracruz ; ces marchands fomentent l’agriculture de marché, qui gagne les meilleures terres du haut plateau. Centre et Nord participent à la révolution économique du xviiie s., alors que le Sud indien et traditionnel, les terres basses et les montagnes ne sont pas touchés.


L’indépendance

Le développement économique rapide qui affecte les mines et l’agriculture commerciale après 1750, loin de résoudre les problèmes sociaux, accroît les tensions. En cinquante ans, la population, pratiquement stagnante depuis l’effondrement du xvie s., double ; Mexico a 130 000 habitants en 1800 ; malgré la croissance urbaine et minière, l’essentiel du gain démographique se produit dans le secteur rural traditionnel, dont les terres sont conquises par les cultures d’exportation (le sucre en particulier). Le soulèvement de 1810-1815 affectera surtout la frange agricole de la zone minière du Nord et la région de la canne à sucre au sud de la capitale. Si les contradictions augmentent à la campagne, le problème de l’emploi des citadins est compliqué par l’afflux que provoque un exode rural inévitable ; à côté de la plèbe traditionnelle, dont les explosions ont toujours été redoutées par les administrateurs des villes, se développe une classe moyenne pléthorique et famélique, très sensible à la place que les Espagnols d’Espagne, les « péninsulaires », occupent dans le clergé et l’Administration.

Cette opposition entre créoles et Européens se retrouve au sommet de la hiérarchie sociale, entre les marquis de l’argent (créoles) et les commerçants (Espagnols) du Mexique central (qui investissent dans la propriété foncière). Ainsi, le progrès accentue les inégalités et, fourrier de la tempête, exacerbe les antagonismes.