Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Metternich (Klemens) (suite)

L’équilibre européen et le système Metternich

Metternich triompha lors du congrès de Vienne, convoqué en 1814 dans la capitale de son maître pour régler tous les problèmes posés par la défaite française et l’abdication de Napoléon. Farouche partisan de l’équilibre européen, il en fit le fondement des traités ; c’est ainsi qu’il confirma le partage de la Pologne, pour empêcher la Russie de s’accroître trop à l’ouest. Il considérait d’autre part que l’Autriche de 1815 avait atteint sa taille optimale et refusa tout accroissement territorial ; il abandonna volontiers les Pays-Bas méridionaux (la future Belgique) pour Venise, incorporée dans un royaume lombard. Enfin, il empêcha la Prusse d’écraser la France, qui avait, selon lui, un rôle à jouer dans l’Europe restaurée. Mais il garda pour l’Autriche un rôle prépondérant en Italie et en Allemagne, sans faire la moindre concession à l’esprit libéral et national. C’est ainsi que l’administration autrichienne du royaume lombard-vénitien devint la bête noire de tous les patriotes italiens, tandis qu’en Allemagne l’Autriche entrait en conflit avec la Prusse, parce que Metternich n’avait voulu qu’une Confédération* germanique aux liens très lâches dont son maître assurait la présidence.

Pourtant, ces arrangements de diplomates et d’experts, insensibles aux courants d’opinion, résistèrent mieux à l’épreuve du temps que des brillantes constructions d’idéologues. Certes, la génération romantique rêva, chez nous, d’effacer la honte des traités de 1815, mais ceux-ci convenaient en réalité assez bien, à quelques réserves près (l’Italie du Nord ou la Rhénanie), à une Europe encore largement rurale et féodale, où les élites bourgeoises étaient encore peu développées et dépourvues d’influence politique. L’erreur de Metternich fut moins de restaurer en 1815 l’Europe de 1790 que de ne pas sentir, après 1830, que quelque chose changeait dans l’Europe continentale.

Car la grande originalité de Metternich fut de pouvoir maintenir, coûte que coûte, durant trente-trois ans, le système diplomatique élaboré en 1815. Son but était d’empêcher la révolution bourgeoise et la diffusion des principes de 1789, qu’il jugeait intrinsèquement mauvais pour toute société organisée. En 1832, il écrivait à un aristocrate hongrois, le comte Apponyi : « Il n’existe en Europe qu’une seule affaire sérieuse, et cette affaire c’est la révolution. » Pour lui, l’Autriche avait une mission : garantir, avec la Prusse et la Russie, l’ordre restauré par les traités de 1815. C’est une des raisons pour lesquelles il imposa la prépondérance autrichienne en Allemagne et en Italie et qu’il tint le plus possible son pays à l’écart des aventures balkaniques. C’est aussi la raison pour laquelle il utilisa tous les moyens possibles pour perpétrer son œuvre, l’Europe des États et des princes, intervenant systématiquement contre toutes les révolutions libérales en Allemagne, en Italie, en Espagne. Son système reposait sur la réunion fréquente de congrès diplomatiques regroupant les grandes puissances européennes d’alors : la Russie, la Prusse, la Grande-Bretagne, l’Autriche (et, après 1818, la France).

Chaque congrès confiait une intervention armée à l’une des puissances, si cela était nécessaire ; c’est ainsi qu’au congrès de Vérone (1822) la France fut chargée d’intervenir en Espagne pour rétablir Ferdinand VII (1823). Pourtant, la révolution grecque marqua un tournant dans cette politique de concertation au service du maintien de l’ordre et de la défense des valeurs conservatrices. Logique avec lui-même, Metternich refusa d’intervenir en faveur des insurgés hellènes, car il ne voyait pas la nécessité d’un État grec indépendant, qui affaiblirait l’Empire ottoman et fournirait à la Russie des motifs d’intervenir dans les Balkans.

Les initiatives franco-britanniques, l’« accident » de Navarin (20 oct. 1827), l’indépendance grecque (3 févr. 1830), puis la révolution de 1830 mirent en question le système des congrès assortis d’interventions militaires. Metternich vit alors son champ d’action limité à l’Italie, où il se heurtait à la diplomatie française, tandis qu’en Allemagne la Prusse préparait l’avenir en créant, à son profit, l’Union douanière (le « Zollverein »). Les dirigeants britanniques, qui s’étaient toujours montrés réservés vis-à-vis de la politique d’intervention de Metternich, se déclarèrent franchement hostiles à l’Autriche. Toutefois, même après 1830, Metternich demeurait le maître incontesté de l’Empire autrichien, même si son action diplomatique était désormais limitée.


La politique intérieure de Metternich

Là aussi, le chancelier de l’empereur François Ier mena une politique résolument conservatrice, et, s’il usa de moyens nettement déplaisants (surveillance policière, censure, incarcérations arbitraires d’opposants libéraux), il faut bien comprendre son point de vue : s’il maintint le système existant, c’est qu’il le jugeait satisfaisant, étant donné la structure de la monarchie autrichienne ; en fait, il abandonna le gouvernement aux notables et pratiqua une large décentralisation ; s’il interdit toute propagation des idées nouvelles, ce fut pour éviter tout changement et pour mieux se consacrer à sa tâche de gendarme de l’Europe. En 1817, un diplomate français notait : « Ce pays-ci se soutient par sa propre masse, mais le gouvernement n’a aucune action et on ne le retrouve nulle part. Il n’y a ici ni volonté ni autorité, chacun fait à peu près ce qu’il veut et ce sont les sous-ordres qui sont les maîtres. Le prince de Metternich n’exerce aucune influence sur ce qui n’est pas de son ressort... »

À cette date, Metternich était pourtant l’équivalent d’un Premier ministre, mais il faut connaître les structures politiques complexes de l’Autriche pour apprécier ce propos. En effet, jamais l’empire des Habsbourg* n’eut de gouvernement centralisé avant 1849. Metternich était le chef d’un cabinet restreint, mais il ne put jamais diriger un véritable conseil des ministres, car l’empereur François Ier se refusa à toute réforme sérieuse des institutions. Le gouvernement central était composé d’une multitude de conseils hérités de l’âge baroque ; il fallut attendre la réaction absolutiste de 1849 pour que l’Autriche fût enfin dotée d’institutions modernes.