Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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mésomorphes (états) ou mésomorphisme (suite)

On connaît actuellement plus de 3 000 substances organiques capables de fournir des phases mésomorphes, soit par fusion, soit par dissolution ; certaines, comme l’A. D. N. et la myéline, ont une grande importance biologique. Les substances organiques pouvant donner des cristaux-liquides sont constituées de molécules allongées, avec une partie centrale rigide ; elles possèdent généralement des dipôles aux extrémités et dans la partie centrale ; celle-ci comprend souvent des noyaux benzéniques associés par de fortes liaisons atomiques, ce qui la rend peu déformable. Jusqu’à ces dernières années, l’étude de ces états de la matière ne s’est faite que dans des laboratoires universitaires, mais la possibilité d’applications a renouvelé l’intérêt des recherches, qui se poursuivent actuellement dans d’importants laboratoires industriels.


Les phases smectiques

Elles ont la viscosité la plus élevée des phases mésomorphes et sont les plus proches des solides. À l’état smectique, les molécules, parallèles entre elles, se répartissent en couches, à l’intérieur desquelles elles sont mobiles ; les couches peuvent glisser les unes sur les autres ; c’est cette mobilité qui confère au milieu le caractère liquide. On a pu montrer que cet état smectique provient de cristaux à structure lamellaire. Dans le cristal (fig. 1 a), les molécules, à la faible agitation thermique près, sont fixes et régulièrement disposées aux nœuds du réseau cristallin. À la température de transition cristal-phase smectique, les forces de liaison, relativement faibles, qui fixent dans le cristal les molécules de part et d’autre des plans P, sont rompues, cependant que les forces latérales restent suffisamment fortes pour empêcher les molécules de sortir de leurs couches (fig. 1 b). Ce n’est qu’à une température plus élevée que l’agitation thermique pourra rompre ces liaisons latérales pour donner soit la phase nématique, soit le liquide isotrope, dans lequel toutes les orientations des molécules se trouvent réalisées dans un désordre total (fig. 2). La structure en couches des phases smectiques est prouvée par la diffraction des rayons X. Un faisceau monochromatique de rayons X est réfléchi, en obéissant à la loi de Bragg, comme il le serait par une face d’un cristal ; on détermine de cette façon l’épaisseur des couches, qui est communément de l’ordre d’une vingtaine d’angströms. C’est la longueur de la molécule quand l’axe de celle-ci est perpendiculaire aux couches ; c’est le cas le plus fréquent des smectiques A ; dans les smectiques C, les molécules sont inclinées sur les couches. Un certain nombre de substances présentent les phases smectiques A et C, le passage de l’une à l’autre se faisant à une température de transition bien déterminée. Cette structure en couches de molécules à axes parallèles, qui, à l’échelle moléculaire, c’est-à-dire de l’ordre de l’angström, présente un certain ordre, peut être masquée dans une préparation dont l’épaisseur dépasse quelques microns. On observe alors des textures qui donnent lieu à des phénomènes optiques intéressants en lumière polarisée. Si la phase smectique A apparaît entre une lame porte-objet et une lame couvre-objet parfaitement nettoyées, les molécules se disposent normalement aux lames : la texture est dite homéotrope ; les phénomènes optiques entre polariseurs croisés sont ceux d’un cristal uniaxe positif dont l’axe, celui de grand indice de réfraction, est normal à la préparation ; si la préparation optique précédente a été portée à une température suffisante jusqu’au liquide isotrope, puis refroidie lentement pour obtenir le solide en cristaux de grandes dimensions (de l’ordre du millimètre), ensuite juste chauffée pour avoir la phase smectique, celle-ci présente une texture homogène de domaines biréfringents dont chacun a les contours des cristaux de la préparation, car sur la lame de verre subsiste une pellicule relique du cristal qui oriente la phase smectique. Enfin, avec une préparation épaisse et une action négligeable des parois, tout le volume est rempli de séries de couches parallèles, dont la texture singulière a été décrite par G. Friedel sous la dénomination de domaines à coniques focales. À un domaine correspondent des couches qui s’emboîtent les unes dans les autres suivant des surfaces qui sont des cyclides de Dupin ; dans une couche les molécules ont leur axe disposé perpendiculairement à la surface ; cet axe s’appuie sur une ellipse et une portion d’hyperbole dont le plan est perpendiculaire à celui de l’ellipse et dont un sommet coïncide avec un des foyers de l’ellipse. Comme ces deux coniques, dites focales, sont des lignes de discontinuité des axes optiques, elles apparaissent comme deux lignes noires dans chacun des domaines.

Le mésomorphisme envisagé jusqu’ici, dit thermotropique, apparaît à partir du milieu cristallin quand l’agitation thermique est suffisamment importante. Les solvants détruisent aussi l’ordre cristallin, pour aboutir à des solutions désordonnées. Dans certains cas, pour des concentrations convenables, la solution présente des propriétés intermédiaires entre le cristal et la solution diluée, qui est totalement désordonnée. Inversement, en faisant évaporer cette solution isotrope, on observe dans un domaine de concentrations une phase cristal-liquide avant d’arriver à la cristallisation. Ce mésomorphisme, qui résulte de l’action d’un solvant, est dit lyotropique. Il a été particulièrement étudié dans le cas des solutions dans l’eau des savons et des détergents.


L’état nématique

Le désordre moléculaire est plus grand que dans l’état smectique, et les liquides nématiques sont très fluides. Les longues molécules demeurent sensiblement parallèles, cependant que leurs centres de gravité se déplacent en tout sens, sans ordre (fig. 3). En fait, l’agitation thermique fait osciller les molécules autour d’une direction moyenne, et la figure 3 est très schématique. Les textures du liquide nématique sont complexes, et, à l’intérieur de la préparation, on voit des filaments mobiles, noirs, dont la forme géométrique variable, à l’inverse de la phase smectique, est quelconque. Ce sont des lignes dites de désinclinaison, le long desquelles se manifeste un défaut d’orientation des molécules qui entraîne une discontinuité des propriétés optiques. C. Mauguin (1910) réussit à obtenir des domaines homogènes de quelques millimètres dans des préparations qu’il observait au microscope polarisant équipé avec une platine chauffante. Il utilisait l’action des parois, qui ont conservé la relique de monocristaux. L’aspect de la préparation est alors celui d’une lame mince d’une coupe pétrographique. Utilisant deux lames de verre, une préparation du cristal-liquide, dont l’épaisseur est de quelques dizaines de microns, présente les caractères optiques d’un cristal uniaxe positif dont l’axe optique est perpendiculaire à la lame. L’action orientatrice des parois a été précisée par Pierre Châtelain et ses élèves à Montpellier ; ceux-ci utilisent un procédé extrêmement simple, maintenant universellement employé, qui fournit des lames monocristallines à cristal-liquide de plusieurs centimètres carrés, dont l’épaisseur va jusqu’au millimètre. Les deux lames de verre sont nettoyées chimiquement et frottées ensuite sur un papier dans une même direction D. Les molécules du liquide nématique s’orientent suivant D, et la préparation se comporte, du point de vue optique, comme un cristal uniaxe positif dont l’axe est parallèle à D. Avec ce procédé, on a pu mesurer avec précision les indices de réfraction, la biréfringence, la dispersion, pour différentes températures, ainsi que l’intensité de la lumière diffusée qui provient de l’oscillation thermique des molécules. Cette oscillation se manifeste directement dans l’examen d’une plage homéotrope entre polariseurs croisés à angle droit ; une telle plage se comporte comme un cristal uniaxe taillé perpendiculairement à l’axe ; éclairée dans la direction de l’axe, elle reste éteinte ; cependant, sur le fond noir, un fourmillement incessant que C. Mauguin a désigné par « mouvement brownien des liquides nématiques », révèle les fluctuations de la direction de l’axe optique dues à l’agitation thermique.