Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mérovingiens (suite)

Cet effort d’évangélisation monastique des campagnes reçoit une impulsion décisive lorsque l’Irlandais saint Colomban, puis ses disciples multiplient dans la Gaule du Nord les fondations religieuses (Fontenelle [Saint-Wandrille-Rançon], Jumièges, Marmoutier, etc.) soumises à l’autorité absolue d’un abbé. Bénéficiant d’une exemption de la juridiction épiscopale peu avant 650, celui-ci impose un ascétisme individuel très sévère à ses moines, parmi lesquels sont recrutés les meilleurs évêques du temps, tels saint Ouen de Rouen, saint Omer de Thérouanne, saint Amand de Maastricht. La diffusion de la règle bénédictine dans la Gaule méridionale, qui est favorisée par le transfert à Fleury-sur-Loire des reliques de saint Benoît de Nursie en 672, facilite l’évangélisation.

Peu après 650, l’évangélisation de la campagne méridionale de la Gaule est à son tour aidée par la diffusion de la règle de saint Benoît, associant l’ascétisme collectif au travail intellectuel et manuel dans le cadre de monastères dont les structures sont calquées sur celles de grands domaines. Au total, près de deux cents monastères sont ainsi fondés en un siècle et demi.

La réputation de piété des clercs réguliers, l’importance des services rendus par eux à la communauté chrétienne, à l’intérieur de laquelle ils ont facilité la fusion des ethnies, expliquent l’exceptionnelle diffusion du culte des saints et des reliques, l’octroi à leurs maisons du privilège de l’immunité et surtout l’ampleur des donations pieuses dont ces derniers bénéficient de la part tant des souverains que des simples fidèles. Cette ampleur aboutit d’ailleurs à un tel transfert de propriété au profit de l’Église que Charles Martel, pour sauver l’État, dépouillé, doit procéder à une sécularisation sans précédent de ses biens, sécularisation qui, seule, peut lui permettre de rémunérer ses guerriers et donc de juguler les révoltes de la Germanie et de l’Aquitaine tout en brisant l’offensive de l’islām.


L’économie et la société mérovingiennes

Ne représentant guère plus de 5 p. 100 de la population totale de la Gaule, dont la densité atteint au maximum 5 à 6 habitants au kilomètre carré, Francs, Burgondes et autres Germains implantés dans ce pays par les grandes invasions ont, par contre, provoqué lors de leur installation la mort ou l’exil d’un nombre très supérieur de Gallo-Romains, dont de très nombreux villages ont été détruits ou abandonnés. La conséquence en est une grave raréfaction de la main-d’œuvre, qui favorise à la fois la multiplication des esclaves, dont les conciles d’Agde, en 506, et de Yenne (Savoie), en 517, interdisent l’émancipation, et celle des moines défricheurs. Les Francs s’établissent en effet essentiellement dans des campagnes déjà aménagées et accaparent à leur profit et à celui de leur souverain les anciens domaines de l’État (fiscs impériaux), notamment autour de Paris. Ils favorisent la multiplication des grands domaines (villae) en partie grâce aux défrichements, en partie en contraignant les petits propriétaires à poursuivre l’exploitation de leurs terres à charge de redevances et de services, dont le plus important aurait été la riga, culture d’une pièce de terre. Très faible en Gaule du Sud, qui est restée fidèle à la petite propriété, cet essor des grands domaines, pourtant moins étendus qu’à l’époque carolingienne, se manifeste surtout en Gaule du Nord sous l’impulsion des souverains, des aristocrates (les Pippinides dans le bassin de la Meuse) et des moines, c’est-à-dire dans les régions où une forte implantation germanique est attestée par l’abondance des suffixes toponymiques en -court et en -ville.

À cet essor du grand domaine rustique, à l’intérieur duquel rois et gens riches préfèrent vivre en économie fermée, correspond un effacement de la vie urbaine. Resserrées à l’intérieur de courtes murailles édifiées à la fin du iiie s. (2 200 m à Reims, de 1 300 à 1 500 m à Paris), parfois assez profondément pénétrées par la campagne, les villes ne se maintiennent que lorsqu’elles sont le lieu de résidence d’un évêque, dont la présence favorise le maintien d’une certaine vie artisanale (orfèvres) et surtout marchande ; elles ne survivent aussi que dans la mesure où églises et cimetières extra-muros (où sont ensevelis martyrs et saints) facilitent autour d’elles la prolifération de faubourgs (loca suburbia). La richesse de la liturgie entraîne en effet une forte consommation de produits précieux : bijoux ornant les reliquaires, soieries, huile d’olive destinée aux luminaires des églises ; en même temps, la demande des chancelleries en papyrus reste élevée. Ainsi s’explique la présence de nombreuses colonies d’Orientaux non seulement dans les ports méditerranéens (Marseille, Fos-sur-Mer) et dans les villes de la vallée du Rhône (Lyon, Chalon-sur-Saône), mais aussi jusqu’au cœur du Bassin parisien (Tours, Orléans, Paris, dont un Syrien, Eusèbe, devient évêque en 591, etc.). Par leur intermédiaire sont maintenus les liens de l’Occident mérovingien avec le monde byzantin et avec le monde arabe, tandis que des autochtones font de Verdun un centre international du commerce des esclaves dès le vie s. Par ailleurs, à partir de 550, la Loire, la Garonne et la côte atlantique sont animées par un trafic marchand qui s’épanouit dans l’Atlantique vers l’Espagne au sud, vers l’Irlande et la Bretagne celte au nord-ouest, enfin vers l’Angleterre saxonne et la Frise au nord. Exportant les vins du Bordelais, le sel de Saintonge, l’huile de Narbonnaise, le blé de l’arrière-pays, le plomb de Melle, etc., important en échange la laine et le cuir irlandais, les draps et l’étain de Bretagne, le cuivre d’Anglesey, la Gaule réexporte en outre les esclaves anglo-saxons vers la Méditerranée, dont l’influence jusqu’au début du viiie s. reste importante dans l’ensemble de la Gaule. Seuls échappent à son attraction les pays situés entre Meuse et mer du Nord, dont les courants commerciaux s’inversent dès le début du viie s. en direction du nord, où les ports de Quentowic (près d’Étaples), de Domburg (en Zélande) et de Duurstede (auj. Dorestad) sont alors fréquentés par de nombreux évangélisateurs anglo-saxons.