Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Mérovingiens (suite)

La justice et le régime de la personnalité des lois

Le système judiciaire des Mérovingiens repose sur l’utilisation de plusieurs codes à caractère ethnique rédigés à l’initiative des souverains barbares. Certains de ces codes sont des abrégés des lois romaines applicables à leurs sujets gallo-romains de l’Ouest et du Sud-Ouest (Bréviaire d’Alaric de 506) ou du Sud-Est (lex romana Burgondionum, compilée au début du vie s. sur l’ordre du roi Gondebaud). D’autres sont des résumés en latin des coutumes barbares profondément pénétrées par le droit romain : loi Gombette, codifiant le droit burgonde vers 501-515 ; lex salica « en 65 titres », qui date de 507-511 et dont sont dérivées aux vie, viie et viiie s. la loi ripuaire, la loi des Thuringiens et la loi des Francs Chamaves, alors que le pactus Alamannorum et la lex Bajuvariorum empruntent en outre au droit gothique ou au droit canonique.

Dans chaque cité est établi un tribunal, le mallus, généralement mixte (chez les Gallo-Romains, les Francs et même les Bourguignons) et gratuit, recruté par voie d’autorité parmi les notables du lieu (boni homines, rachimbourgs, etc.) et dont le comte proclame et exécute les sentences. La personnalité des lois apparaît comme l’élément caractéristique d’un système judiciaire dont les principaux traits sont, par ailleurs, d’inspiration germanique : oralité et formalisme de la procédure ; pratiques défavorables à l’accusé de la conjuratio et des ordalies, puis du duel judiciaire ; enfin et surtout renonciation aux peines afflictives, remplacées par le wergeld (du vieux haut allem. wer, homme, et de Geld, argent), dont le montant est déterminé notamment dans la lex salica par un tarif des « réparations » établi selon un barème minutieusement proportionné au délit : 200 sous pour le meurtre d’un homme ou d’une femme libre ; 100 sous pour avoir arraché une main, un pied, un œil ou un nez ; 3 sous seulement pour le vol d’un porcelet à la mamelle ; etc.

Ainsi se trouve arrêté l’exercice de la vengeance privée et limitée la propension des victimes ou de leurs parents à se faire justice eux-mêmes. Protégeant particulièrement le roi et les gens de son entourage, dont le wergeld est triplé, ce système fournit en outre d’abondantes ressources financières, puisque le tiers de la composition, ou fredum, lui est versé.


L’Église mérovingienne

Seule force morale et seule puissance intellectuelle capables d’assumer l’héritage de la culture antique et de la transmettre au monde médiéval, l’Église de Gaule conserve au lendemain des invasions barbares une armature institutionnelle empruntée au Bas-Empire. Aux anciennes provinces romaines correspondent en effet douze provinces ecclésiastiques, dont la métropole est le siège d’un évêque dit « métropolitain », qui préside les conciles provinciaux, qui sacre et qui règle les litiges des autres évêques chargés d’administrer des diocèses. Le cadre territorial de ces derniers reste celui des civitates gallo-romaines, à quelques exceptions près, dues à des regroupements ou à des créations nouvelles, notamment dans les zones frontières.

L’Église accepte un certain relâchement des rapports avec Rome, qui tente, pourtant, de maintenir son autorité en Gaule par la création d’un vicariat pontifical au profit de l’archevêque d’Arles, puis par celle d’une primatie des Gaules en faveur de l’archevêque de Lyon en 585. Elle consent à un amoindrissement de l’autorité du métropolitain et accepte, dès la seconde moitié du vie s., que le choix des évêques soit abandonné en fait aux souverains mérovingiens, les seuls à pratiquer la forme catholique et non arienne du christianisme. Ainsi, l’Église devient-elle de fait l’un des moyens de gouvernement de la dynastie, qui légifère parfois par le moyen de ses conciles (20, dont 5 nationaux, en 511, 533, 541, 585 et 614).

Choisi presque toujours au sein de l’aristocratie gallo-romaine ou (et de plus en plus) franque, l’évêque devient dès lors le partenaire privilégié du comte, dont il doit contrôler l’action et limiter les abus. Il soulage l’État (!) de tout devoir d’assistance et d’instruction, et obtient en échange pour lui-même et pour ses clercs d’importants privilèges économiques (nombreuses donations pieuses), mais surtout financiers et judiciaires grâce à l’octroi fréquent, au viie s., d’un diplôme d’immunité, source d’abus futurs.

Administrateur privilégié, quoique parfois indigne, il dispense d’abord aux fidèles les sacrements dans les sanctuaires de la ville où il réside et qui sont en général au nombre de trois : baptistère, doté d’une piscine indispensable aux baptêmes collectifs par immersion ; basilique, où est célébrée la messe ; cathédrale, enfin, sanctuaire également de plan basilical, plus particulièrement réservé au chef du diocèse.

L’évêque est le guide spirituel du peuple chrétien, qu’il doit préserver au vie s. de l’hérésie de Bonose, l’adoptianisme, dont les prosélytes sont peu nombreux. Il a surtout pour tâche l’évangélisation des païens, et d’abord de ceux des campagnes, en faveur desquelles se multiplient du ive au vie s. les paroisses rurales dans les vici et dans les localités les plus peuplées de chaque diocèse (de 15 à 40). Ces paroisses, issues du démembrement de l’Église diocésaine, tombent dès le viie s. sous la tutelle des Grands au même titre que les oratoires privés que ceux-ci ont créés dès la première moitié du vie s., qui sont alors parfois élevés au rang d’églises paroissiales tout en restant dans leur dépendance.

En fait, la médiocrité intellectuelle, spirituelle et souvent morale des desservants contraint l’évêque à abandonner cette évangélisation des campagnes aux monastères, dont lui-même et le souverain facilitent la fondation par prélèvement sur leur riche patrimoine. Ainsi en est-il de Saint-Césaire d’Arles, fondé en 513 par l’évêque Césaire, de Sainte-Geneviève, créé par Clovis et Clotilde, de Sainte-Croix-Saint-Vincent, dit plus tard Saint-Germain-des-Prés, édifié par Childebert Ier, et de Sainte-Croix de Poitiers, bâti par Radegonde.