Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Mérovingiens (suite)

La pratique des partages successoraux

Considérant le regnum Francorum comme un bien purement patrimonial, les Mérovingiens, à l’instar des autres rois barbares, se transmettent le trône conformément aux règles du droit privé, qui prescrivent de partager également les biens d’un défunt entre ses fils adultes. Ainsi, en 511, le royaume de Clovis est-il divisé en quatre lots équivalents comprenant chacun un quart des vieux pays francs situés au nord de la Loire et un quart de la riche Aquitaine, au sud de ce fleuve, ce qui a pour résultat de rompre l’unité territoriale de trois d’entre eux.

À l’aîné, Thierry (511-534), reviennent les territoires orientaux situés entre la Seine et la Thuringe ainsi que le Massif central ; au second, Clodomir (511-524), les pays dont l’axe est marqué par la vallée de la Loire, qui en assure la continuité géographique ; au troisième, Childebert Ier (511-558), la Gaule du Nord-Ouest entre l’Armorique et la Somme ainsi que le Bordelais ; au quatrième, enfin, Clotaire Ier, les pays entre la Marne et la Meuse, le berceau de la puissance mérovingienne.

Moins anarchique qu’on ne pourrait le croire, cette dispersion territoriale des royaumes francs brise les particularismes régionaux, particulièrement vivaces en Aquitaine, en Bourgogne et en Provence. D’ailleurs, ses inconvénients sont en partie compensés par le regroupement, au cœur du Bassin parisien, des capitales des quatre souverains : Reims, Orléans, Paris et Soissons, dont la relative proximité peut favoriser l’élaboration d’une politique commune malgré les conflits sanglants à la faveur desquels se perpétue la pratique des partages successoraux.

Le premier partage a lieu en 524, à la suite de la mort du roi d’Orléans, Clodomir. Il se fait au profit de Childebert Ier et de Clotaire Ier, qui s’attribuent le premier Chartres et Orléans, qui perd son rôle de capitale, et le second Tours et Poitiers. En fait, seuls les décès successifs sans héritiers mâles de Théodebald, petit-fils de Thierry Ier, en 555, puis de Childebert Ier en 558 permettent à Clotaire Ier de reconstituer l’unité de regnum Francorum à son seul profit (558-561).

Fruit des circonstances, ce retour à l’unité ne survit pas à la disparition, en 561, de Clotaire Ier, dont les quatre fils se partagent à leur tour le regnum Francorum ; Charibert hérite de Paris et de l’ouest de la Gaule jusqu’aux Pyrénées ; Sigebert Ier s’attribue l’ancienne part de Thierry Ier, complétée de ses annexes d’Auvergne et de Provence septentrionale ; Gontran obtient l’ancien royaume des Burgondes, accru du Berry, de l’Orléanais et de la Provence méridionale (y compris Arles et Marseille) ; Chilpéric Ier, enfin, ne reçoit que l’ancien et pauvre pays des Saliens, c’est-à-dire la Gaule septentrionale. La dislocation du regnum Francorum est encore aggravée par la disparition prématurée, en 567, de Charibert, dont l’héritage est morcelé entre chacun de ses trois frères, dont les possessions, désormais, s’enchevêtrent, en particulier en Aquitaine et même dans les futurs territoires normands, dont l’essentiel revient pourtant, ainsi que le Maine et l’Anjou, à Chilpéric Ier.

Le partage en trois lots du Parisis et le maintien dans l’indivision de Paris tentent de conserver la fiction d’un royaume unique. En vain. Les intrigues du palais, les querelles familiales, la constitution d’entités politiques dont le centre de gravité est extérieur au Bassin parisien se matérialisent par le transfert des capitales franques d’Orléans à Chalon-sur-Saône, de Reims à Metz et de Soissons à Tournai. Autour de ces trois villes se constituent progressivement trois entités politiques nouvelles : la Bourgogne, formée pour l’essentiel des territoires de l’ancien royaume des Burgondes ; l’Austrasie, qui naît, avant la fin du vie s., de l’ancien royaume de Thierry Ier et qui est fortement germanisée ; la Neustrie, fille tardive du partage de 567. Soumise à l’autorité militaire et à l’exploitation économique de ces trois royaumes germaniques, l’Aquitaine, restée profondément imprégnée de traditions romaines, s’individualise progressivement dès la fin du vie s., avant de tenter de s’émanciper au viie s. et au début du viiie à la faveur de l’affaiblissement de la dynastie mérovingienne. Dès lors, chacun des trois royaumes connaît des destins divergents, même si, par le hasard spontané d’une maladie ou dirigé d’un assassinat, l’unité du regnum Francorum se trouve partiellement ou totalement rétablie. Ainsi, réunis sous l’autorité de Childebert II (593-595) après la mort de Gontran, les royaumes d’Austrasie et de Bourgogne sont-ils de nouveau partagés entre les deux fils de ce souverain, Thibert II (595-612) et Thierry II (595-613), dont la disparition permet au roi de Neustrie, Clotaire II (613-629), puis à son fils Dagobert Ier (629-638) d’étendre leur autorité sur l’ensemble de la Gaule et de la Germanie, dont Paris redevient symboliquement la capitale. En vain. Dotées, désormais, d’une personnalité bien affirmée par les aristocraties locales hostiles au renforcement du pouvoir royal, l’Austrasie et la Bourgogne refusent d’être administrées par des Neustriens. Aussi Clotaire II, puis son fils Dagobert Ier doivent-ils accepter d’abord de maintenir deux maires du palais à la tête de chacun de ces deux royaumes, puis de donner un roi particulier aux Austrasiens en 623-24 et en 634.

Dès lors, le destin de la dynastie mérovingienne est scellé. Incapables d’effacer les effets d’une pratique successorale néfaste, qui permet aux tendances particularistes de s’ériger en entités politiques nettement distinctes — Neustrie, Austrasie, Bourgogne et Aquitaine —, les derniers descendants de Clovis, malgré l’éphémère effort unitaire de Childéric II, doivent céder la réalité du pouvoir aux chefs de l’aristocratie, les maires du palais, jusqu’à ce que Pépin le Bref s’attribue leur couronne royale.


Crises politiques et querelles dynastiques (561-613)