Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

mémoire (suite)

Le code moléculaire de la mémoire (depuis 1968)

Une nouvelle direction est prise en 1968 dans les recherches, sans que les travaux d’ordre purement chimique soient pour autant abandonnés. Elle est surtout l’œuvre de G. Ungar (Baylor University College of Medicine de Houston). Elle suggère que, si les résultats obtenus jusqu’alors prouvent bien l’existence de mécanismes chimiques dans la mémorisation, ils ne peuvent pas dire ce que signifient ces mécanismes, d’une part, et d’autre part elle redoute que leur affinement soit rapidement borné par les possibilités de la technique. Ungar propose donc, et utilise dans ses laboratoires, la méthode dite « des essais biologiques », qui reprend d’ailleurs parfaitement celle qui est pratiquée par McConnell sur les planaires : il s’agit d’administrer à des rats accepteurs, non conditionnés, des extraits de cerveau de rats donneurs, ayant acquis un comportement donné. Si l’animal accepteur présente le comportement de l’animal donneur, c’est la preuve « biologique » qu’il a reçu sous forme « chimique » l’information possédée par le donneur. On procédera ensuite à la mise à jour de la substance active sur de grandes quantités de cerveaux d’animaux conditionnés ainsi directement ou indirectement. Ungar, par cette méthode, a isolé une substance qu’il a appelée scotophobine, substance qui provoque, par injection intrapéritonéale à la dose de 0,3 à 0,6 μg, l’évitement de l’obscurité chez la souris ou le poisson rouge. L’identification d’autres molécules capables de produire des comportements précis se poursuit activement.

Deux méthodes et trois hypothèses se partagent donc actuellement l’opinion des chercheurs. Les trois hypothèses concernent la systématisation des peptides découverts en un code général de la mémoire : les uns pensent que le fonctionnement de ce code est indépendant des voies nerveuses propres au cerveau (McConnell, T. K. Landauer, E. C. Robinson), les autres que sa formation passe par le train d’ondes électriques de STM (Katz, W. C. Halstead, Hydén), les derniers enfin que l’information mémorielle est incorporée dans l’organisation spécifique du système nerveux (Szilard, Rosenblatt, Ungar). Dans tous les cas, on est forcé d’admettre que les possibilités de la connaissance sont étroitement dépendantes de la structure innée du système nerveux en général, peut-être même de reconnaître une parenté troublante entre les formes hiérarchisées d’abstraction progressive par lesquelles doit passer la pensée humaine et les degrés successifs d’intégration par lesquels doit cheminer l’information avant de parvenir à un stade utilisable par la pensée. Mais l’on est aussi autorisé à espérer la possibilité future d’interventions médicales efficaces pour la correction des défauts pathologiques des fonctions intellectuelles, et contre leur sénescence.

A.-F. D.-C.

➙ Apprentissage / Conditionnement / Génétique / Piéron (H.) / Psychologie.

 S. Bogoch, The Biochemistry of Memory (New York, 1968). / G. Ungar, Molecular Mechanisms in Memory and Learning (New York, 1970). / G. Adam, Biology of Memory (Budapest et New York, 1971). / E. J. Fjedingstad, Chemical Transfer of Learned Information (Amsterdam, 1971). / C. Florès, la Mémoire (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1972). / A. Lieury, la Mémoire (Dessart, Bruxelles, 1975).

Mémoires

La notion de « Mémoires » n’est pas de tous les temps.


Qui dit Mémoires dit regard derrière soi, ou du moins regard hors de soi à la recherche d’un témoignage sur une réalité temporelle : l’histoire, individuelle ou collective, le déroulement des événements. Or, il est des sociétés sans mémoire, sans passé. Les sociétés primitives ne connaissent pas cette forme de temps hiérarchisé, dans lequel les événements trouvent chacun une place et une seule, orienté du passé vers l’avenir et donc irréversible. Ces sociétés possèdent parfois plusieurs représentations temporelles juxtaposées, se modelant sur la forme prise par les rapports de parenté, par exemple. Ainsi, un système de parenté peut faire appel à trois modèles de temps différents : l’un est statique ; l’autre est ondulatoire, cyclique et réversible ; le troisième seulement est chronologique, progressif, signe d’une continuité généalogique. Le mythe, et non le roman ou les Mémoires, est alors la seule forme de narration d’événements, forme stable, permanente, visant à la fois un lointain passé, un présent qui le réactualise et un avenir de répétition. La mémoire grecque n’est pas davantage constructrice du temps ; en abolissant ce qui sépare le présent du passé, elle revit un temps originel perdu, toujours identique à lui-même et excluant toute possibilité d’un déroulement historique. Pour naître, la notion de « Mémoires », récits d’une vie ou témoignage de ce qui a été, nécessite l’idée d’un passé hiérarchisé et la perspective d’une expérience progressive, non cyclique et non répétitive afin de permettre le parcours d’un itinéraire, intérieur ou extérieur à l’individu qui le pense.


L’histoire fait les Mémoires

Dans un premier moment historique, les Mémoires sont faits par l’histoire, sous la forme de chroniques, de peintures de la société ou bien de témoignages. L’idée que chaque homme a une histoire n’est pas contemporaine de celle d’une histoire dans laquelle tous sont pris et que l’on ne peut que décrire. Cette première réalité, celle de l’histoire guerrière qui déjà animait les grandes « gestes » du Moyen Âge, appelle description et commentaires. Et les chroniques, celles de Joinville* (Histoire de Saint Louis), celles de Commynes* sont les premières manifestations d’une civilisation qui apprend à écrire en même temps qu’à se souvenir. Le visage de l’histoire qui se dessine dans ces premiers Mémoires n’est pas celui d’une époque, d’une société, mais le plus souvent celui d’un homme, celui du roi ou du prince. Ainsi les Mémoires de Commynes, ou Bréviaire d’un homme d’État, s’ouvrent-ils sur l’affirmation de la « sagesse et largesse de Louis XI ». Mais il ne s’agit pas seulement de décrire ; éduquer appartient aussi au projet de ces premiers mémorialistes, les chroniqueurs. L’histoire est pédagogie de princes, ce que sont déjà pour eux les histoires des Anciens, mais elle est aussi exemple aux yeux des sujets, exemple de ce que peuvent être les punitions divines puisque seuls les princes sont jugés par Dieu. Les Mémoires se modulent alors sur l’histoire, ils sont récits d’événements militaires, tels les Commentaires (publiés en 1592) de Blaise de Monluc (1502-1577) dans lesquels, à l’exemple de César, il conte ses campagnes. Ceux qui ne peignent pas ou ne se font pas apologistes sont eux-mêmes des hommes politiques, Sully* par exemple, dont les Économies royales, ou Mémoires (1638), cernent l’histoire politique et surtout économique du temps, tout en cherchant à soumettre les événements à des vues objectives.