Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Méditerranée (mer) (suite)

À ce type d’activité se rattachent au xvie s. les apports de blé de Sicile et de Pouille à l’Espagne des Habsbourg, dont les flottes ont la charge de maintenir, par le relais de Gênes, les indispensables liaisons stratégiques entre leurs possessions ibériques et germaniques avant d’entreprendre, aux dépens des Barbaresques d’abord (siège d’Alger en 1541), puis des Turcs eux-mêmes, la reconquête de la Méditerranée pour la chrétienté, finalement victorieuse à Lépante en 1571.

En fait, le maintien de la puissance turque en Orient après 1571, la longue survie de Venise jusqu’en 1797, la montée de la puissance navale de la France, présente dès le xvie s. dans les ports d’Afrique du Nord (La Calle, Cap Nègre) et surtout dans les Echelles du Levant, tous ces facteurs empêchent la réunification de la Méditerranée. La flotte des Bourbons, basée par Richelieu et par Colbert à Toulon*, affronte celles des Néerlandais et des Anglais dans la seconde moitié du xviie s. Occupant Gibraltar en 1704, Minorque en 1708, Malte en 1800, les îles Ioniennes en 1809, Chypre en 1878 et enfin Suez en 1882, ces derniers contrôlent toutes les voies d’accès à la Méditerranée, à l’exception d’une seule : celle des détroits turcs, que les Russes cherchent à maîtriser afin d’accéder enfin à la mer libre malgré les Britanniques.

Profitant de l’effacement de l’Empire turc, qui permet à la France de s’établir par ailleurs en Algérie* dès 1830 et d’exercer par contrecoup une influence essentielle dans l’Ouest méditerranéen, Russes et Anglais s’affrontent dans le Levant, les premiers imposant leur tutelle temporaire aux Ottomans en 1833, les seconds les contraignant à fermer les Détroits en 1841 et à neutraliser la mer Noire au terme de la guerre de Crimée en 1856 (congrès et traité de Paris).

Ces conflits sont aggravés en 1860 par l’apparition d’une nouvelle puissance — l’Italie — à la jonction des bassins occidental et oriental ; ils s’enveniment lorsque l’ouverture du canal de Suez* en 1869 replace la Méditerranée au cœur des échanges internationaux. L’établissement en 1881-1883 d’un protectorat français sur la Tunisie* dresse l’Italie contre la France, éliminée à son tour d’Égypte en 1882 par l’Angleterre, qui veut contrôler seule la route des Indes. Dangereux pour le maintien de la paix européenne, ces conflits coloniaux sont heureusement apaisés par les accords qui partagent la Méditerranée en zones d’influence bien déterminées en 1887 (Grande-Bretagne, Italie, Autriche et Espagne), en 1902 (France et Italie), enfin en 1904 (France et Grande-Bretagne). À l’issue de la Première Guerre mondiale, la prééminence de ces deux dernières puissances en Méditerranée se trouve renforcée par les traités de paix qui leur confient, en accord avec la Société des Nations, d’importants mandats au Proche-Orient à l’heure même où la mise en exploitation des gisements de pétrole de cette région du monde fait de la Méditerranée l’artère vitale de l’Europe en matière de ravitaillement énergétique. Contestée par l’Italie, qui, dès 1912, a pris pied dans le Dodécanèse, la Cyrénaïque et la Tripolitaine avant de s’emparer de l’Albanie en 1939 sur l’ordre de Mussolini, cette prépondérance franco-anglaise ne survit pas à la Seconde Guerre mondiale. Après l’élimination partielle à Mers el-Kébir en 1940, totale à Toulon en 1942 de la flotte de guerre française en Méditerranée, la Grande-Bretagne, militairement victorieuse, mais financièrement exsangue, doit renoncer à assurer la défense de la Grèce contre l’expansion soviétique ; elle est relayée par les États-Unis, dont la VIe flotte est dès lors chargée de patrouiller en Méditerranée, champ clos de la « guerre froide » que mène aux Américains la flotte de guerre soviétique abritée d’abord par les Albanais à Vlora, puis dans les ports égyptiens mis à sa disposition par Nasser au lendemain de la guerre des Six Jours en 1967.

Mais entre-temps, la nationalisation par Nasser en 1956 du canal de Suez et la fermeture de ce dernier qui en résulte ont de nouveau rejeté la Méditerranée en dehors des grands circuits commerciaux internationaux et favorisé un nouvel essor des routes atlantiques par où parvient désormais à l’Europe le pétrole du Proche-Orient sur des navires dont le tonnage considérable rend d’ailleurs caduc le canal de Suez.

Menacée dans son rôle économique, atteinte dans son unité par la balkanisation du Levant (Syrie, Liban) et du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie), la Méditerranée apparaît aujourd’hui comme l’un des principaux points de confrontation politique, militaire, économique et idéologique d’un monde occidental resté fidèle à la libre entreprise et au système capitaliste et d’un monde islamique agité par les ferments du nationalisme (guerre d’Algérie, 1954-1962 ; conflit israélo-arabe de 1967) et du socialisme (Syrie).

P. T.

➙ Algérie / Athènes / Byzantin (Empire) / Carthage / Chypre / Commerce international / Crète / Croisades / Égypte / Espagne / Gênes / Gibraltar / Grèce / Grèce d’Asie / Grèce d’Occident / Hellénistique (monde) / Israël / Italie / Latins du Levant (États) / Liban / Malte / Marine / Maroc / Marseille / Mycènes / Ottoman (Empire) / Phéniciens / Pise / Rome / Sicile / Suez (canal de) / Tunisie / Venise.

 M.-R. Sauter, Préhistoire de la Méditerranée (Payot, 1948). / F. Braudel, la Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II (A. Colin, 1950 ; 2e éd., 1966). / J. Beraud-Villards, les Normands en Méditerranée (A. Michel, 1951). / F. Giunta, Aragonesi e Catalani nel Mediterraneo (Palerme, 1953-1959 ; 2 vol.). / J. C. S. Runciman, The Sicilian Vespers, a History of the Mediterranean World in the Late 13th Century (Cambridge, 1958). / F. Ponteil, la Méditerranée et les puissances depuis l’ouverture jusqu’à la nationalisation du canal de Suez (Payot, 1964). / Colloque d’histoire maritime, Océan Indien et Méditerranée (S. E. V. P. E. N., 1965). / S. D. Goitein, A Mediterranean Society (Berkeley, 1967, et Cambridge, 1968 ; 2 vol. parus). / Colloque international de Nice, la Méditerranée de 1919 à 1939 (S. E. V. P. E. N., 1969). / Sociétés et compagnies de commerce en Orient et dans l’océan Indien (S. E. V. P. E. N., 1970). / Civilisations anciennes du Bassin méditerranéen (A. Michel, 1970-71 ; 2 vol. parus). / Histoire économique du monde méditerranéen, 1450-1650 (Privat, Toulouse, 1973). / P. Deffontaines, la Méditerranée catalane (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1975).