Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Méditerranée (mer) (suite)

Assurée au IIIe millénaire par la marine de l’Ancien* Empire qui importe depuis Byblos le bois, la résine et les métaux indispensables à l’économie égyptienne, la sécurité des échanges facilite la diffusion du patrimoine culturel du Proche-Orient et notamment celle de l’écriture* au cours du IIe millénaire, alors que s’affirment deux puissantes thalassocraties nées au IIIe : la première, celle des cités phéniciennes d’Ougarit, de Byblos, de Sidon et de Tyr ; la seconde, celle des Minoens de Crète*, qui maintient la paix dans le monde égéen à l’intérieur duquel se rétracte le commerce méditerranéen lorsque l’établissement des Hyksos* dans la vallée du Nil entre 1770 et 1560 environ perturbe les relations maritimes le long des côtes syriennes.

En fait, pendant cette période, la Crète, coupée de l’Orient, nourrit à ses dépens la civilisation mycénienne qui naît au début du xviie s. et relaie celle de Minos au moment même où l’expulsion des Hyksos au xvie s. permet à la XVIIIe dynastie de rouvrir la mer au grand commerce grâce à sa puissante flotte de transport.

Jusqu’au xiie s., les Mycéniens fondent des comptoirs aux lisières de la Méditerranée occidentale : Sicile du Sud-Est, îles Lipari, Apulie. Mais après l’intermède destructeur des Peuples de la mer, auquel participent au xiiie et au xiie s. notamment les Lyciens, les Shardanes et peut-être les Mycéniens, ce sont les Phéniciens qui assurent la liaison du Proche-Orient avec le monde grec par l’intermédiaire de leur comptoir de Kition ; surtout, ce sont eux qui incorporent définitivement à l’écoumène le bassin occidental de la Méditerranée par le relais de leurs colonies de Sicile occidentale, de Malte, d’Utique et de Carthage entre le ixe et le viiie s. Du viiie au vie s., leur action est renforcée par celle des Grecs, alors redevenus marins ainsi qu’en témoigne l’Odyssée. Cette action, incorporant le Pont-Euxin à la Méditerranée, s’exerce principalement le long de la rive septentrionale de cette mer et secondairement sur sa rive méridionale dans les régions épargnées par la colonisation phénicienne (Naukratis en Égypte ; Cyrénaïque, notamment). Cette colonisation pénètre profondément l’Italie du Sud (qui devient la Grèce* d’Occident, ou Grande-Grèce) et la Sicile orientale ; elle est linéaire et discontinue dans le lointain Occident, où les Phocéens établis à Marseille* vers 600 étendent leur zone d’influence de Nice (Nikaia) à Emporion (Ampurias).

Jugulée à l’est par les Perses, qui occupent, à la fin du vie s., la Grèce d’Asie, et à l’ouest par les Etrusques et les Phéniciens, vaincus par les Phocéens au large d’Alalia vers 535, la dilatation méditerranéenne du monde grec reprend au ve s., tant aux dépens des Perses (révolte de Ionie en 499, victoire de Marathon en 490 et de Salamine en 480) qu’aux dépens des Puniques et des Etrusques, respectivement vaincus à Himère en 480 et à Cumes en 474, aux confins occidentaux du domaine maritime à l’intérieur duquel Athènes exerce au ve s., puis au ive s., son hégémonie maritime dans les cadres successifs de la ligue de Delos (476-404 av. J.-C.), puis de la seconde confédération athénienne (378/377-338 av. J.-C.).

Le bassin oriental de la Méditerranée est réunifié aussitôt par Alexandre* le Grand, qui en prolonge, entre 334 et 323, la zone d’influence jusqu’aux rives de l’Indus à l’est, de l’Iaxarte (Syr-Daria) et de la Caspienne au nord. Il devient dès lors le creuset privilégié où, par la fusion des apports grecs et barbares, naît la civilisation hellénistique qui s’épanouit entre le iiie et le ier s. av. J.-C. dans le cadre des quatre États fondés par les épigones : Macédoine antigonide, Pergame attalide, Syrie séleucide, Égypte lagide.

Au terme des trois guerres puniques* qui opposent Carthage à Rome à partir de 264 av. J.-C., le bassin occidental de la Méditerranée est à son tour unifié sous l’autorité de la seconde de ces puissances en 146 av. J.-C. Dans la zone privilégiée des détroits d’Otrante, de Messine et de Sicile, la confrontation entre le monde romain et le monde hellénistique tourne assez rapidement à l’avantage du premier sur le plan politique et plus lentement à celui du second sur le plan culturel. La Méditerranée est débarrassée en 67 av. J.-C. par Pompée des pirates basés en Cilicie et est unifiée au profit du jeune Octave à la suite de la victoire navale d’Actium en 31 et de l’annexion de l’Égypte en 30 av. J.-C. Elle devient un lac romain à l’intérieur duquel soldats, esclaves et marchands facilitent la diffusion d’est en ouest des mœurs et des modes de pensée de la Grèce, des religions orientales et du christianisme, des produits asiatiques enfin, dont la valeur élevée rend déficitaire la balance des paiements de l’Occident.

Pour empêcher toute renaissance de la piraterie susceptible de compromettre le ravitaillement en grains et en huile de Rome, ravitaillement assuré par les flottes de l’annone, Auguste met en place deux flottes de guerre basées à Misène et à Ravenne et dont dépendent les escadres secondaires de Carthage, d’Alexandrie et de Séleucie de Piérie. Complété par la flotte de la mer Noire établie à Trébizonde, le dispositif naval de l’Empire, qui a dû comprendre entre 400 et 800 bâtiments, assure la police de la mer au ier s. apr. J.-C., la libre circulation des navires de commerce et le transport des troupes destinées à rétablir l’ordre au iie s. en Mauritanie (base de Caesarea, auj. Cherchell), à combattre les Parthes en Orient, les Costoboci en Egée et dans l’Hellespont. Se mêlant aux combats qui opposent les candidats au trône impérial à la fin du iie s., réduite de 10 à 3 entre 230 et 285, après la suppression par les Sévères des escadres permanentes de Misène et de Ravenne, victime alors des Barbares, la flotte romaine n’est plus qu’un rassemblement hétéroclite de navires grecs, phéniciens, égyptiens, etc.

Grâce à Dioclétien et à Constantin, la navigation méditerranéenne reprend pourtant au ive s., toujours animée par des naviculaires qui arment à leurs frais des navires de commerce dont l’utilisation est alors tarifée par l’État. Cette navigation a pour grand axe la ligne Narbonne-Alexandrie, que parcourent en plus de trente jours marchands, fonctionnaires, pèlerins et étudiants ; elle contribue à l’essor de Carthage et à celui d’Ostie, par où transite tout le ravitaillement destiné à Rome, et enfin à celui de Constantinople, dont la fondation en 330 intègre plus étroitement la mer Noire au circuit commercial méditerranéen, grâce en particulier à la création à la fin du ive s. d’une flotte chargée d’assurer le ravitaillement de la Nouvelle Rome.