Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Mecque (La) (suite)

En liaison avec le pèlerinage s’est modelée une physionomie urbaine profondément différente de celle des cités musulmanes traditionnelles. Certes, l’espace urbain s’organise de façon classique autour de l’enclos sacré du ḥaram, dans le fond de la vallée, qu’entourent les bazars, tandis que les quartiers de résidence sont repoussés à la périphérie. La population est constituée d’éléments très divers, en provenance de tous les pays musulmans et restés dans la ville à l’issue du pèlerinage. Des groupements d’ethnies homogènes se sont ainsi réalisés dans ces quartiers périphériques : Syriens au nord, Yéménites au sud, Africains surtout à l’ouest, dans des agglomérats de huttes, autre trait normal de la structure des villes musulmanes. Mais la largeur des avenues, adaptées à la circulation de foules nombreuses, l’élévation des immeubles (trois à quatre étages en général), divisés en logements multiples pour l’accueil des pèlerins, sont autant de traits bien différents, qui ont, de tout temps, rapproché La Mecque des villes occidentales. L’expansion contemporaine de la ville s’oriente essentiellement vers l’ouest, le long de la route conduisant à Djedda.

X. P.


L’histoire

Les légendes musulmanes situent déjà à La Mecque Adam et plus tard Abraham (Ibrāhīm). La plus ancienne mention de la ville paraît être celle du géographe Ptolémée (iie s.), qui place dans cette région une localité nommée Macoraba.

Nos informations les plus anciennes remontent à l’époque de Mahomet* (v. 570/580-632), qui y est né. La ville était alors occupée par la tribu de Quraych. Celle-ci, selon ses traditions, y aurait supplanté, sous la direction d’un certain Quṣay ou Quṣayy, venu peut-être du nord vers la fin du ve s., la tribu de Khuzā’a. Située dans une vallée aride, la ville ne subsiste que grâce à une activité commerçante intense et au pèlerinage. Le sanctuaire local était centré sur la Ka‘ba, édifice d’apparence cubique abritant de multiples idoles ainsi que la Pierre noire, météorite censée être le réceptacle du divin. On y venait accomplir des rites religieux, de même qu’aux lieux saints des environs.

Les Quraychites étaient organisés en une sorte de république marchande, prospère, aux vie et viie s., sous l’effet de la conjoncture politique et économique en Arabie. Ils s’opposent aux idées de Mahomet, qui doit se réfugier à Médine en 622. Ce dernier rentrera par la force dans sa ville natale en 630. Les Quraychites se rallient à l’islām, qui maintient un rôle important à leurs lieux saints, épurés de leur environnement païen. Ils prennent même la tête de l’État musulman.

L’importance politique de La Mecque s’annule alors au bénéfice de Médine, puis de Damas et de Bagdad, mais son rôle religieux s’accroît considérablement comme centre sacré d’une religion aux dimensions mondiales. Les grandes familles quraychites, qui y résident encore au viie et au viiie s., et en font un centre de vie luxueuse, parfois même frivole, la désertent. Mais les Mekkois s’habituent à vivre uniquement ou presque des revenus immensément accrus du pèlerinage, où des sommes énormes sont dépensées. De grands travaux sont faits pour entourer la Ka‘ba d’un édifice digne d’elle, la mosquée sacrée (al-masdjid al-ḥarām), sans cesse enrichie et embellie. On essaie (en vain) de protéger le centre des inondations récurrentes, provoquées par les pluies sur les montagnes voisines.

Tous les pouvoirs musulmans s’efforcent de favoriser le pèlerinage, notamment en protégeant les pèlerins contre les exactions des Bédouins. Ils n’y réussissent pas toujours, et les luttes intestines sont une entrave sérieuse. Les révolutionnaires qarmaṭes, notamment, prennent la ville, égorgent les habitants et enlèvent la Pierre noire en 930. Issus d’une des branches des descendants du Prophète par Ḥasan, fils de ‘Alī, les chérifs (charīf) prennent le pouvoir dans la ville vers 960. Plusieurs lignées d’entre eux se succéderont jusqu’en 1924. Ils cherchent à préserver leur autonomie en louvoyant entre les diverses puissances musulmanes, le plus souvent en se reconnaissant vassaux de l’une d’entre elles, y réussissant plus ou moins suivant la conjoncture. Ils se préoccupent surtout de sauvegarder les routes du pèlerinage et le ravitaillement venant d’Égypte. Ils passent de la secte zaydite au sunnisme de l’école chāfi‘īte.

La chute du califat ‘abbāsside donne aux Mamelouks d’Égypte la prééminence à La Mecque à partir du xiiie s. ; les Ottomans les remplacent en 1517. De 1803 à 1813, la ville est occupée par les Wahhābites, qui imposent leurs règles puritaines. Elle est reconquise par Méhémet-Ali, mais, après 1840, elle passe sous l’autorité directe d’Istanbul. Grâce à la facilité accrue des communications, les chérifs sont aisément contrôlés et destitués par le pouvoir ottoman, représenté localement par un gouverneur, un vali (wālī) siégeant à Djedda.

En juin 1916, le chérif Ḥusayn ibn ‘Alī, après accord secret avec les Anglais, se révolte, contraint la garnison turque à capituler, puis se proclame roi du Hedjaz et même « roi des pays arabes ». Il est chassé en octobre 1924 par le souverain wahhābite du Nadjd, ‘Abd al-Azīz III ibn Sa‘ūd*, qui se proclame à son tour roi du Hedjaz (1926), entre autres possessions.

Toutes ces possessions forment le royaume d’Arabie Saoudite. Aujourd’hui, La Mecque est le centre administratif de la province Saoudite du Hedjaz en même temps que le siège de plusieurs organes centraux du royaume. Interdite aux non-musulmans, elle continue à vivre essentiellement du pèlerinage. Les édifices sacrés, déjà embellis par les souverains des siècles passés, ont été immensément agrandis et modernisés.

M. R.

➙ Arabie Saoudite / Islām / Mahomet.

 F. Wüstenfeld, Die Chroniken der Stadt Mekka (Leipzig, 1858-1861 ; 4 vol.). / M. Gaudefroy-Demombynes, le Pèlerinage à La Mekke, étude d’histoire religieuse (Geuthner, 1923). / H. Lammens, La Mecque à la veille de l’hégire (Libr. catholique, Beyrouth, 1924). / H. Lammens et A. J. Wensinck, « Mekka », dans Encyclopédie de l’Islām, t. III (Kincksieck, 1937). / J. Roman, le Pèlerinage aux lieux saints de l’islām (Baconnier, Alger, 1955). / E. Esin, Mecca the Blessed, Madinah the Radiant (Londres, 1963 ; trad. fr., La Mecque ville bénie, Médine ville radieuse, A. Michel, 1963).