Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Antonin le Pieux (suite)

Antonin fut un grand bâtisseur. Les inscriptions rapportent tout ce qu’on peut lui attribuer en matière de travaux portuaires (Terracina, Gaète, Pouzzoles), de routes, de travaux hydrauliques (Athènes, Antium, Bougie), d’équipements urbains (pavage des rues d’Antioche, amphithéâtre de Porolissum, phare d’Alexandrie), de reconstruction de villes dévastées par les incendies ou les séismes (Narbonne, Carthage, Éphèse, Smyrne). Il restaure et reconstruit plus qu’il ne bâtit, et s’attache surtout aux travaux utilitaires. Ses principales constructions nouvelles sont : le temple de Faustine, dont on voit encore les colonnes de 16 m en bordure du forum romain (temple d’Antonin et de Faustine, depuis 161), le temple d’Hadrien divinisé (auj. le château Saint-Ange) au champ de Mars, et les vastes thermes d’Ostie.

Le mur d’Antonin

Le mur, ou vallum, d’Antonin fut construit au travers de l’île de Bretagne, sensiblement plus au nord que celui d’Hadrien, là où Agricola avait déjà esquissé des travaux de fortification, entre les estuaires du Forth et de la Clyde. Il est décrit par l’Histoire Auguste comme un « rempart de terre gazonnée », mais l’étude des ruines, connues depuis longtemps sous le nom de Graham’s Dyke, a permis de constater qu’il comprenait en maints endroits un mur de pierre, et qu’il était garni de tours et flanqué de postes fortifiés isolés. Ce mur était destiné à compléter le mur d’Hadrien, plutôt qu’à le remplacer. Dès le règne de Commode, il fut évacué, et la ligne de défense ramenée au niveau du mur d’Hadrien.


Le « Numa de l’Empire »

Conservateur à bien des égards, Antonin s’attache à remettre en honneur la vieille religion romaine, dont son époque avait singulièrement oublié sinon les pratiques, du moins leur signification. À l’occasion du 900e anniversaire de la fondation de Rome (148), les frappes monétaires évoquent les mythes et les souvenirs des origines romaines : Énée, la lutte d’Hercule et de Cacus, Romulus et Remus. On remet en honneur les cultes de Silvain, des Dioscures, de Diane Tifatina, des nymphes, de Neptune.

Antonin, autant que les sources permettent de l’affirmer, ne manifeste pas d’intérêt aux dieux alexandrins, Isis et Sérapis ; mais il s’intéresse aux autres cultes orientaux, aux religions à mystères. Il vénère Dionysos, fait figurer sur ses monnaies le Soleil (et le couple impérial avec les attributs du Soleil et de la Lune), le zodiaque, les planètes. Surtout, il développe le culte de la Grande Mère, Cybèle : la célébration des Vicennales, au bout de vingt années de règne, s’inscrit dans ce cadre et coïncide avec la régénération vigésimale du taurobole. Le premier taurobole de caractère officiel date précisément de ce temps. En 159, le culte de Mithra est réformé et l’archigallat constitué. Vis-à-vis des chrétiens, la correspondance impériale, citée par l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée, témoigne d’une tolérance manifeste, et les martyres de l’époque doivent être considérés comme l’expression d’une agitation localisée. C’est d’ailleurs à Antonin que saint Justin a dédié son Apologie.


L’apogée de la paix romaine

Le règne d’Antonin est, dans son ensemble, une période de paix. Il demeure, certes, des causes de conflits ou même d’agitation à l’intérieur des frontières. En Achaïe, on déplore des désordres à propos de la perception des impôts. Le préfet d’Égypte manque d’être tué dans une émeute alexandrine ; en 152-153, une révolte des fellahs égyptiens met en danger le ravitaillement de Rome en blé. Aux frontières, il y a plus que de simples accrochages avec les Brigantes de Bretagne, avec les Maures d’Afrique et les Germains. Une insurrection en Dacie amène Antonin à en réorganiser l’administration. L’Empire romain se maintient comme au temps d’Hadrien : politique conforme aux goûts personnels d’Antonin, qui « aime mieux conserver un citoyen que tuer mille ennemis ».

Antonin accroît le limes, en ajoutant une ligne de fortifications en Germanie et en bâtissant, en Bretagne, ce qu’on appelle le mur d’Antonin. Un autre moyen de défense relève de la diplomatie : des alliances appropriées maintiennent dans un état de protectorat les royaumes frontaliers ; l’empereur accorde parfois son investiture à des rois (chez les Quades, les Lazes, les Arméniens), ou met fin à la compétition entre deux prétendants, comme au royaume du Bosphore.

R. H.

➙ Hadrien / Marc Aurèle / Rome.

 G. Lacour-Gayet, Antonin le Pieux et son temps (Thorin, 1888). / W. Hüttl, Antonjus Pius (Prague, 1933-1936 ; 2 vol.). / J. Beaujeu, la Religion romaine à l’apogée de l’Empire, t. I : la Politique religieuse des Antonins (Les Belles Lettres, 1956). / J. Schmidt, les Antonins (Rencontre, Lausanne, 1968).

Antonioni (Michelangelo)

Metteur en scène de cinéma italien (Ferrare 1912).


C’est à Ferrare, mélancolique petite ville de province riche en souvenirs artistiques, l’une des « cités mortes » de D’Annunzio, qu’Antonioni passe ses vingt premières années ; il y poursuit les études universitaires conformes à l’idéal de la bourgeoisie dont il est issu : comptabilité, sciences économiques, commerce. Son caractère inquiet le conduit bientôt au journalisme et à la critique cinématographique. Il quitte Ferrare pour Rome au début de la guerre et aborde le milieu du cinéma comme scénariste. En 1942, il est envoyé à Paris comme assistant de Marcel Carné, qui tourne les Visiteurs du soir. Cette rencontre se révèle importante, même si la participation qu’on lui accorde dans la réalisation de ce film est insignifiante. De retour en Italie, il se heurte à ses premières difficultés : tous les projets qu’il s’était promis de réaliser après la guerre sont jugés « impossibles » par les producteurs, et repoussés. C’est ainsi qu’Antonioni assiste presque en spectateur à la naissance du néo-réalisme. Il ne se résigne pas pour autant et parvient à terminer, non sans peine, un court métrage commencé pendant la guerre, Gens du Pô (Gente del Po, 1943-1947), dont le thème sera repris et développé dans d’autres films, et en particulier dans le Cri (Il Grido). L’importance de ce court métrage est telle qu’Antonioni déclare : « Tout ce que j’ai fait depuis, de bon ou de mauvais, part de là. » Puis il réalise d’autres documentaires : Nettoyage urbain (N. U. Nettezza urbana), sujet difficile et ingrat, tout en grisaille : La Villa dei Mostri, court métrage sur les statues colossales de la villa Orsini, à Bomarzo ; L’Amorosa Menzogna, satire du monde des romans-photos, thème qu’il reprendra ensuite avec Fellini pour le scénario de Courrier du cœur (ou le Cheikh blanc) [Lo Sceicco bianco]. La possibilité de réaliser un long métrage se présente en 1950, au moment où le néo-réalisme décline, ce qui permet à Antonioni d’échapper aux influences directes de cette école. Chronique d’un amour (Cronaca di un amore, 1950), avec comme second plan la riche bourgeoisie milanaise, révèle Lucia Bosè. La Dame sans camélias (La Signora senza camelie, 1953), également avec Lucia Bosè, est une critique du monde du cinéma. Ces deux films mettent en évidence les contradictions morales de classes sociales et de milieux totalement ignorés du néo-réalisme. En 1952, Antonioni avait tourné les Vaincus (I Vinti), mais ce film ne put sortir qu’après la Dame sans camélias. Les épisodes de ce triptyque consacré à la jeunesse délinquante sont inégaux, mais tous chargés d’une grande intensité dramatique. Avec Tentative de suicide (Tentato suicidio), sketch du film-enquête de Zavattini l’Amour à la ville (L’Amore in città), et surtout Femmes entre elles (Le Amiche, 1955), tiré d’un récit de Cesare Pavese, Entre femmes seules (Tra donne sole), le metteur en scène précise ses objectifs et son style dans une analyse de la solitude dont il recherche les causes parmi les structures sociales contemporaines. Plus encore que la personnalité de Pavese, c’est celle d’Antonioni que l’on découvre dans ce film. Ses objectifs apparaissent clairement : tentative de se libérer des schémas narratifs conventionnels, récit libre de toute contrainte, sans préoccupation de spectacle. C’est pourtant le Cri (Il Grido, 1956) qui marque le tournant décisif de son style, avec l’accentuation de ses tendances anti-spectacle et l’apparition de certains personnages rongés par un perpétuel mal de vivre. Abandonnant un moment la bourgeoisie pour le milieu ouvrier, Antonioni révèle la souffrance lasse, désespérée et vaine, perdue dans la grisaille hivernale de la vallée du Pô.