Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Matsys (les) (suite)

Jan Matsys (Anvers v. 1505 - id. 1575), élève de son père, est reçu franc maître en 1531. Exilé en 1544 pour cause d’hérésie, il passe quatorze ans en Italie. Il a produit des scènes de genre et aussi des œuvres religieuses, montrant une préférence pour les sujets bibliques prétextes à nudités (Loth et ses filles, musées des Beaux-Arts de Bruxelles), qu’il traite avec une élégance froide et maniérée. C’est un romaniste qui a subi l’influence de l’école de Fontainebleau.

Cornelis Matsys (Anvers v. 1508 - id. v. 1560) fut, comme Jan, reçu franc maître en 1531. Surtout connu par son œuvre gravé, il a peint des sujets religieux (le Retour de l’enfant prodigue, Rijksmuseum d’Amsterdam) et s’est montré un observateur attentif des paysages et de la vie campagnarde. Dans un métier assez terne, son dessin a parfois une pointe de malice pour traduire les types populaires.

Les deux fils de Quinten Matsys semblent n’avoir pas su éviter l’écueil des peintres néerlandais auxquels le voyage — devenu traditionnel — « au-delà des monts » faisait perdre une partie de leur originalité.

R. A.

 A. J. J. Delen, Metsys (L. J. Kryn, Bruxelles, 1928). / K. G. Boon, Quinten Massys (Amsterdam, 1948). / A. de Bosque, Quentin Matsys (Arcade, Bruxelles, 1974).

Matta (Roberto)

Peintre chilien (Santiago du Chili 1911), de son vrai nom Roberto Sebastian Matta Echaurren.


Ses parents étaient d’origine basque. À dix-neuf ans, le jeune étudiant part pour l’Europe et, en 1934, il entre comme élève architecte dans l’atelier de Le Corbusier*. Mais il est davantage attiré par l’exploration de l’inconscient, et aussi par les nouvelles théories microphysiques qui commencent alors à se répandre. Il prend contact avec Dalí*, puis avec Picasso* et Breton*, et participe, avec un certain nombre de dessinateurs surréalistes, à l’illustration de l’édition des Œuvres complètes de Lautréamont (1938). Il a en effet commencé de peindre, utilisant de larges aplats presque informels qui transposent ses émotions en des cristaux à l’état naissant. « La surprise, dit-il, éclatera comme un rubis fluorite à la lumière ultraviolette. » C’est l’époque des Morphologies psychologiques.

En 1939, il part pour New York, où il contribue à toutes les activités du groupe surréaliste en exil. De cette période datent des toiles comme La Terre est un homme (1942, galerie Pierre Matisse, New York). De grandes coulées lyriques s’y figent avec une aisance souveraine, qui influencera notablement la jeune peinture américaine. Le Vertige d’Éros (1944, Museum of Modern Art, New York), au titre explicite, introduit, par le jeu de quelques taches miroitantes, le « scabreux » dans la peinture abstraite. De telles œuvres soulèvent l’enthousiasme de Breton, qui juge Matta « dans la meilleure voie pour atteindre au secret suprême : le gouvernement du feu ». Dans d’autres toiles, l’Espace et le Je (1944), Être avec (1945-46), se glissent des sortes de robots schématiques, d’un humour généralement sombre. C’est bientôt la période des « vitreurs » : héritiers des silhouettes embryonnaires des années précédentes, ils circulent et se greffent sur des structures plus graphiques, plus rageuses que les horizons de l’automatisme, instituant une sorte de figuration sardonique (l’Octr’hui, 1947, galerie du Dragon, Paris).

Un différend d’ordre moral provoque en 1948 l’exclusion de Matta du groupe surréaliste, « mesure » publiquement annulée en 1959. De 1950 à 1954, l’artiste s’installe à Rome, puis, à partir de 1955, il partage son temps entre la banlieue parisienne et le nord de l’Italie (Milan, Bologne). De plus en plus fréquemment, il donne à ses toiles — qui, vers 1952, deviennent souvent monochromes, dans un registre sourd ou pâle — des titres apportant un témoignage direct de sa sensibilisation aux événements de l’actualité politique : ainsi, Les roses sont belles (1953) après le procès Rosenberg, la Question Djamila pendant la guerre d’Algérie, tandis que Sur l’état de l’Union (triptyque, 1964-65) sera une évocation de la guerre du Viêt-nam et des émeutes raciales aux États-Unis. Tenant la peinture pour participation aux drames collectifs de notre temps, il évite pourtant les allusions anecdotiques dans ses œuvres, qui continuent à relever de l’esprit surréaliste par leur aspect visionnaire.

Les productions les plus récentes de Matta relèvent d’un « automatisme contrôlé » d’où l’austérité informelle disparaît complètement et qui, sans renouer avec la splendeur cosmique des années 40, s’enrichit d’un chromatisme très sûr dans son acidité. Les formats atteignent jusqu’à 4 m de long, et certaines œuvres s’organisent en polyptyques, voire en parallélépipèdes ou en polyèdres destinés à envelopper entièrement le spectateur (cycle l’Espace de l’espèce, 1959-1968, galerie Iolas). Matta, par ailleurs, s’adonne depuis 1960 à la sculpture, surtout métallique, au design, et a réalisé plusieurs illustrations et présentations de livres d’une grande originalité. Lors de l’inauguration de sa rétrospective au musée municipal de Saint-Denis, il déclarait : « Le rôle de l’artiste est de se perdre, de se noyer dans l’affectivité d’un peuple. » La sincérité indéniable d’un tel propos entre constamment, chez Matta, en composition avec un abandon au mystère intérieur, composition dont le produit n’a pas d’autre nom que la poésie.

G. L.

 M. Tapié et J. Le Forojulien, Matta (Éd. Maeght, 1949). / J. Schuster, Développements sur l’infraréalisme de Matta (Losfeld, 1970).
CATALOGUES D’EXPOSITION. Sebastian Matta, Mostra antologica in Bologna (Bologne, Museo Civico, 1963). / Avec Matta (musée de Saint-Denis, 1967).

Matute (Ana María)

Écrivain espagnol (Barcelone 1926).


La meilleure entre les romanciers espagnols contemporains s’est imposée par la singularité de son style et de sa vision du monde, sans montrer jamais la moindre complaisance envers le public. « Mes œuvres, écrit-elle, sont désagréables. » « Je ne suis pas venue vous apporter la paix. » Si ses romans d’emblée ont trouvé en Espagne un vaste écho, c’est qu’ils traitent sans hypocrisie et sans vulgarité sentimentale de la tragédie de tant de familles victimes des bouleversements politiques et sociaux survenus en Espagne depuis cinquante ans. À l’arrière-plan, on sent plutôt qu’on ne voit la fin du régime des notables et de la royauté ; l’accession au pouvoir et l’échec des classes libérales pendant la république ; la guerre civile portée au sein de chaque famille par les idéologies totalitaires et jacobines derrière lesquelles se rangent deux clans de la petite bourgeoisie : les cadres moyens militaires et cléricaux ; les cadres syndicaux, techniques et politiques, qui, chacun à sa manière, mobilisent et embrigadent les masses laborieuses, sources de la richesse du pays ; puis les grandes migrations de la campagne ruinée vers des villes de plus en plus inhumaines : la formation universitaire sans débouchés des fils de parvenus dans les universités ; l’impréparation des « élites » ; l’émigration ouvrière ; la disgrâce puis la relative prospérité réaffirmée des deux provinces pilotes de l’économie espagnole : Pays basque et Catalogne. Bref, A. M. Matute aide à la prise de conscience d’une nation déboussolée. Et elle choisit le moyen littéraire le plus efficace, le roman, dont les humbles héros vont d’échec en échec, et où les valeurs absolues sont constamment menacées de dégradation ; elle lui donne une tonalité lyrique qui dans la réalité révèle le fantastique ; et elle le traite sur le mode tragique, car la fatalité commande à sa fiction et jette le récit épique dans l’impasse. Personnages et intrigues prennent souvent, dans ces conditions, une signification symbolique. C’est ainsi que trois grands mythes empruntés à la Bible sous-tendent presque toute l’œuvre : l’histoire d’Abel et de Caïn, à laquelle se réfèrent implicitement et explicitement tous ses conflits fratricides ; l’histoire des marchands du Temple, c’est-à-dire la falsification et l’utilisation de la spiritualité dans la trilogie des Marchands ; enfin la déréliction de Jésus (Jeza) ou Emmanuel (Manuel) au temps de sa Passion.