Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

Martin (Frank) (suite)

Martin n’est pas un avant-gardiste, mais, s’il demeure fidèle à une tonalité élargie, il a su développer un langage harmonique d’une originalité et d’un raffinement annonçant parfois Henri Dutilleux. C’est un poète en musique, à la fois épique et élégiaque, plus attiré par le récit dramatique, la spiritualité chrétienne ou la virtuosité instrumentale que par l’expression symphonique ou les formes abstraites de la musique pure. Mais l’auteur de la plus grande Passion depuis Bach, Golgotha, est aussi capable à l’occasion de la gaieté la plus truculente. Le thème épique du voyage, de l’itinéraire matériel ou spirituel, trouve sa plus parfaite incarnation dans le Cornette, où Martin se révèle un homo viator à l’égal de Schubert ou de Mahler. Le pôle complémentaire de son inspiration, c’est sa prédilection pour les recherches instrumentales, expression d’une sensibilité au timbre aussi aiguë et raffinée que sa sensualité harmonique, dont elle est le complément logique. Aussi a-t-il cultivé abondamment les formes concertantes (ballade ou concerto), domaine où se situent ses réussites les plus populaires et les plus directes d’accès. Tantôt il recherche les combinaisons instrumentales rares, et c’est le parfait chef-d’œuvre de la Petite Symphonie concertante ou celui du concerto pour sept instruments à vent, non moins accompli. Tantôt il aborde la forme classique du grand concerto de soliste, avec des exemples aussi accomplis que les œuvres pour violon (1951), pour violoncelle (1966) ou, tout récemment, pour piano (1969). On regrette de ne trouver dans son catalogue qu’un seul cycle pianistique (huit préludes) et qu’un seul quatuor, admirables tous deux. Et l’on déplore surtout de voir ce très grand musicien encore si méconnu en France.

Les œuvres principales de Frank Martin

• Opéras : Der Sturm (1954) ; Monsieur de Pourceaugnac (1963).

• Musique de scène : Athalie (1946).

• Musique sacrée : In terra pax (1944) ; Golgotha (1945-1948) ; Psaumes de Genève (1958) ; le Mystère de la Nativité (1959) ; Pilate (1964) ; Triptyque de Marie (1967) ; Requiem (1971-72).

• Cantates et oratorios profanes : les Dithyrambes (1918) ; le Vin herbé (1938-1941) ; Der Cornet (1943) ; Sechs Monologe aus Jedermann (1943).

• Orchestre : Rythmes (1925) ; symphonie (1937) ; Études pour cordes (1956) ; deux ouvertures (1956 et 1958) ; les Quatre Éléments (1964) ; Erasmi monumentum (1969).

• Concertos : pour piano (concertos, 1934, 1969 ; ballade, 1939) ; pour violon (concerto, 1951) ; pour alto (ballade, 1972) ; pour violoncelle (ballade, 1949 ; concerto, 1966) ; pour saxophone (ballade, 1938) ; pour flûte (ballade, 1939) ; pour trombone (ballade, 1940) ; pour clavecin (concerto, 1952) ; Petite Symphonie concertante pour harpe, piano, clavecin et cordes (1945) ; concerto pour sept instruments à vent, timbales et cordes (1949) ; trois danses pour hautbois, harpe et cordes (1970) ; polyptyque pour violon et deux orchestres (1973).

• Musique de chambre : deux sonates pour piano et violon (1913, 1931) ; quintette avec piano (1920) ; quatre Sonnets à Cassandre, pour mezzo, flûte, alto et violoncelle (1921) ; trio avec piano (1925) ; trio à cordes (1936) ; Sonata da chiesa pour viole d’amour (ou flûte) et orgue (1938) ; quatuor à cordes (1967) ; trois Poèmes de la mort de François Villon, pour trois voix d’hommes et trois guitares électriques (1973).

• Instruments solistes : guitare, quatre pièces (1933) ; orgue, passacaille (1944-1954) ; piano : huit préludes (1948).

H. H.

 R. Klein, Frank Martin, sein Leben und Werk (Vienne, 1960). / F. Martin et J. C. Piguet, Entretiens sur la musique (La Baconnière, Neuchâtel, 1968). / B. Billeter : Frank Martin, ein Aussenseiter der neuen Musik (Stuttgart, 1970).

Martin du Gard (Roger)

Écrivain français (Neuilly-sur-Seine 1881 - Bellême 1958).


Durant sa longue vie, Roger Martin du Gard fut témoin de nombreux affrontements idéologiques. Ces oppositions passionnées, celle de la science et de la foi par exemple, à l’horizon du problème de la laïcité qui se profila pendant toute la IIIe République, posaient souvent les problèmes en de tels termes qu’ils ne pouvaient être résolus. Aussi le personnage du premier grand roman de Martin du Gard ne meurt-il pas serein, assisté d’un prêtre, mais après avoir rédigé un testament athée. Jean Barois est un roman d’idées, dira plus tard son auteur. Jean Barois est honnête, loyal, mais surtout doué d’une caractéristique qui fut aussi celle de Martin du Gard, la systématicité ; il est incapable d’un quelconque compromis de conscience, en cette période difficile où retentissent les échos de l’affaire Dreyfus. La contradiction entre la foi et la science est rendue plus difficile puisque mise en scène entre deux époux. Un catholicisme fervent et un militantisme athée, scientiste et déterministe s’affrontent, exacerbés par l’étroitesse des liens affectifs. Mais si la position de Jean Barois ne peut encore donner des résultats efficaces, si elle ne peut lui assurer la sécurité qu’il va, une fois encore, chercher en Dieu, c’est qu’elle n’est pas encore sous-tendue par une analyse de la société, des mutations de l’époque. Là où le premier texte n’entrevoyait aucune solution, les Thibault, dans la partie « 1914-1915 », ouvrent la possibilité d’un engagement politique comme compensation de la mort de la religion. Se posent alors d’autres antinomies la guerre/la paix, la révolte/la révolution. Les personnages de Martin du Gard sont pacifistes, Jacques surtout dans les Thibault, mais sans avoir les moyens, comme l’auteur lui-même, d’analyser les causes du phénomène de la guerre. Et c’est par là que Martin du Gard a pu s’attirer les reproches de Lukács : « Devant les problèmes nouveaux, qui se posent intérieurement à Jacques après son adhésion au socialisme, l’auteur doit rendre les armes » (Signification du réalisme critique). L’auteur a d’ailleurs su reconnaître les limites qui lui ont été imposées par le milieu d’hommes de lois dans lequel il a vécu. Il reste que Martin du Gard a su donner vie à chacune de ces contradictions essentielles en les faisant partager par des personnages dotés par lui d’une réelle épaisseur humaine.