Marot (Clément) (suite)
Marot est surtout connu par ses Épîtres, où s’expriment les sentiments les plus divers en des confidences spirituelles ou émues. Faut-il obtenir quelque faveur ou solliciter sa liberté, il est tour à tour familier, impertinent, grave ou sérieux. Il excelle à conter ses aventures (À son ami Lyon, Au roi pour avoir été desrobé). Il sait prendre le ton qui convient, sans lasser l’attention, et son style simple et « bas » est signe de modestie et sens de la mesure. Dans l’Épître au roi du temps de son exil à Ferrare (1535), il mêle aux nonchalances les réflexions les plus amères, les plaintes élégiaques, le plus haut lyrisme.
Ses Élégies sont essentiellement des poèmes d’amour. Sans atteindre les accents sublimes du pétrarquisme, Marot utilise des souvenirs réels pour chanter les lieux communs de la casuistique amoureuse, pour modeler l’image de sa dame idéale. Mais il serait vain de vouloir identifier Anne ou Ysabeau, de reconstituer, comme on a tenté de le faire, les étapes de son roman d’amour. À ce recueil impersonnel, les Chansons, par leur caractère populaire et leur lyrisme gracieux, ajoutent un rappel plus touchant des thèmes éternels de l’amour.
Le tempérament de Marot le porte vers la satire, et il donne des preuves de son génie satirique dans son premier grand poème, l’Enfer (1526). Mais il excelle dans les formes plus légères comme l’épigramme, ou les épîtres du Coq-à-l’âne, qui lui permettent d’exprimer une pensée hardie par des propos incohérents et par la parodie.
La poésie ne saurait être, pour Marot, un pur art d’agrément, celui d’un poète courtisan qui voudrait faire la chronique attentive des menus événements de la Cour. Il se détache progressivement de ses modèles, tout en faisant profit de leurs trouvailles, et il découvre son accent personnel. Précurseur de la Pléiade, il met la poésie lyrique à l’école des Anciens, il inaugure des genres, il promet l’immortalité à ceux qu’il chante.
Élégant badinage ? Il ne faut pas enfermer son art dans cette formule de Boileau et ne voir en Marot qu’un rimeur de circonstance spirituel et facile. Ce serait méconnaître le caractère du poète et limiter à tort son génie. De l’élégance, de l’esprit, de la gaieté, il y en a partout dans son œuvre, mais on y remarque aussi un aspect sérieux, souvent amer et pathétique. Il ne manque pas de hardiesse, à une époque où l’Église est hostile à de telles initiatives, quand il traduit les Psaumes de David, inaugurant ainsi une poésie purement biblique. La Complainte du pastoureau chrétien, où il déplore la décadence de la vraie religion, et la Déploration de Florimond Robertet contiennent des déclarations émouvantes sur la condition humaine, sur ce qu’elle comporte de grave et de douloureux. Il lance d’implacables attaques contre la justice et contre les abus de son temps, et il représente cet esprit de la Renaissance qui remet en question dogmes et institutions en les minant par la parodie. Il ne cesse de lutter avec audace pour la dignité humaine et de protester contre tout ce qui entrave la liberté de l’esprit.
Marot crée un style. La Pléiade, après les attaques de la Défense et illustration, saura imiter son naturel et son enjouement. Héritier de Villon, il est le maître de La Fontaine et de Voiture. La Bruyère loue sa facilité. Régnier et les burlesques lui demandent plus d’un trait. Il y a des reflets de sa fantaisie chez Voltaire, Musset, Hugo et nombre de modernes.
J. B.
P. Villey, Marot et Rabelais (Champion, 1923). / J. Vianey, les Épîtres de Marot (Malfère, 1937). / C. E. Kinch, la Poésie satirique de Clément Marot (Boivin, 1940). / P. Jourda, Marot, l’homme et l’œuvre (Boivin, 1950, nouv. éd. Hatier, 1967). / V. L. Saulnier, les Élégies de Clément Marot (S. E. D. E. S., 1952). / P. Leblanc, la Poésie religieuse de Clément Marot (Nizet, 1955). / M. A. Screech, Marot évangélique (Droz, Genève, 1967). / C. A. Mayer, Clément Marot (Nizet, 1973).