Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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mariage (suite)

Pour essayer de définir très approximativement ce qu’est devenu le mariage dans notre société, on pourrait dire qu’il est une tentative pour intégrer l’amour courtois à l’institution matrimoniale. Ainsi, le mariage garde sa fonction de reproduction et de coopération économique, mais dans une ferveur affective où chaque conjoint doit épanouir sa personnalité et réaliser son idéal de bonheur. Cette conception romantique du mariage, avec des variantes, suivant les pays et les milieux sociaux, a très largement marqué le modèle actuel de la nuptialité, non seulement en France, mais dans l’ensemble des populations de culture occidentale.

Comme tous les modèles de nuptialité, le nôtre se réalise suivant des caractéristiques qui permettent de l’appréhender de l’extérieur et de le saisir par certains traits mesurables : l’intensité, l’âge des conjoints, la durée de l’union, la fréquence des ruptures.


L’intensité et le calendrier de la nuptialité

L’intensité de la nuptialité dans une génération se mesure par la proportion d’hommes et de femmes demeurés célibataires à 50 ans. Dans les générations françaises nées au début du xixe s., le pourcentage des célibataires définitifs était d’environ 13 p. 100 dans l’un et l’autre des deux sexes. L’évolution s’est faite dans le sens d’une nette augmentation de l’intensité. On estime que, dans les générations nées vers 1940, la fréquence du célibat définitif en France ne dépassera pas 8,5 p. 100 chez les hommes et 7,5 p. 100 chez les femmes. Dans d’autres pays industriels, aux États-Unis en particulier, on observe déjà des intensités plus élevées : le pourcentage définitif des célibataires serait de 5 p. 100 environ. Enfin, dans les sociétés non industrialisées ou peu industrialisées, l’intensité de la nuptialité est généralement encore plus forte.

D’une manière générale (le Japon constitue sur ce point une exception), une forte intensité de la nuptialité s’accompagne d’une grande précocité. Suivant les sociétés, l’âge au mariage est très différent d’un sexe à l’autre. Il est parfois très précoce pour les femmes et tardif pour les hommes, si bien que l’écart d’âge moyen peut dépasser 5 ou 6 ans, sinon davantage.

En France, un écart de 3 années environ était, il y a un siècle, non pas la règle, mais la moyenne. Depuis lors, l’âge moyen des conjoints au mariage a baissé, mais davantage chez les hommes que chez les femmes, de sorte que l’écart entre les conjoints a lui-même diminué.

Ainsi, plus de 9 Français sur 10 se marient. Et ils le font, en moyenne, vers 24 ans pour les hommes et vers 22 ans pour les femmes.

Une autre caractéristique morphologique du mariage, et sans doute l’une des plus importantes, est sa durée moyenne. Elle résultait autrefois uniquement des âges moyens au mariage et des tables de nuptialité masculine et féminine. Elle atteignait, au xviiie s., un peu plus de 20 ans. Calculée sur la base des seules données d’âge au mariage et de mortalité, elle passait à 30 ans environ pour les mariages contractés dans les premières décennies du siècle ; elle atteindra plus de 40 ans pour les cohortes récentes. La durée moyenne du mariage aurait ainsi presque doublé en moins de deux siècles.

Il va de soi que tous ces indices varient assez sensiblement suivant le milieu de résidence et la profession. Sans entrer dans les détails, on indiquera qu’actuellement on se marie moins et plus tardivement à la campagne qu’en ville ; que, chez les hommes, plus la qualification professionnelle est élevée, plus est forte la probabilité de mariage, mais d’un mariage relativement tardif ; que, chez les femmes ayant un emploi, l’âge au mariage est relativement élevé, mais qu’à l’inverse des hommes une proportion importante demeure définitivement célibataire (27 p. 100 parmi les cadres supérieurs de 50 ans).


Le choix du conjoint

Point de domaine où l’individu se sente plus libre que dans l’élection d’un époux ou d’une épouse. En réalité, Alain Girard, dans le Choix du conjoint, a démonté quelques-uns des mécanismes qui limitent étroitement le champ des éligibles.

En dépit de la mobilité croissante de la population, la proximité géographique reste discriminante : près de 70 p. 100 des conjoints résidaient au moment de leur mariage dans le même canton. Deux sociologues américains spécialistes de la famille, Alvin M. Katz et Reuben Hill, ont pu énoncer une « loi » qui se rapproche des formules utilisées pour expliquer les migrations. « La probabilité du mariage varie en raison directe de la probabilité d’une interaction, laquelle est elle-même proportionnelle au rapport entre les occasions d’interaction à une distance donnée et les autres occasions qui peuvent se présenter. » La naissance et le développement d’un lien affectif stable n’est généralement possible qu’entre des individus qui ont l’occasion de se retrouver régulièrement.

À cette homogamie géographique, s’ajoute l’homogamie sociale : 47 p. 100 des filles de cadres supérieurs épousent des cadres supérieurs, et 12 p. 100 seulement d’entre elles des ouvriers ; 60 p. 100 des filles d’ouvriers épousent des ouvriers, et 6 p. 100 seulement d’entre elles des cadres supérieurs. Si l’on considère maintenant les femmes actives et que l’on compare leur catégorie socio-professionnelle à celle de leur mari, la règle d’homogamie est encore plus visible ; 90 p. 100 des agricultrices ont un époux de même catégorie ; il en va de même pour 60 p. 100 des femmes salariées agricoles ; pour 60 p. 100 des femmes cadres supérieurs ; de même enfin pour 70 p. 100 des femmes ouvrières. La proximité sociale vient donc restreindre le cercle des éligibles, déjà limité par le facteur géographique. D’autres facteurs resserrent encore le nombre des candidats ou des candidates possibles : l’appartenance religieuse, les idées politiques, le type préféré de loisirs et, pour les étudiants, le genre d’études poursuivies. Inconsciemment, chaque « mariable » exerce sur ses propres relations une sorte de censure spontanée ; on ne fait la cour qu’à son « prochain ». Le « coup de foudre » lui-même n’échappe pas à ces mécanismes : des mains invisibles ont d’avance désigné le coin du ciel d’où il devait partir. Dans un pays comme les États-Unis, où les fréquentations des adolescents sont très peu contrôlées par leurs parents, l’homogamie des mariages est restée, comme en France, aussi élevée sans doute qu’au temps où un grand nombre des mariages étaient « arrangés ». Dans la grande majorité des cas, le choix des enfants reste conforme aux vœux, secrets ou exprimés, des parents.

L’influence de ces mécanismes est aussi inconsciente qu’efficace. Elle ne suffit pourtant pas à expliquer pourquoi, dans le groupe restreint des éligibles, c’est telle personne qui a été finalement choisie. Cette élection est le plus souvent perçue comme un choix amoureux, et la psychologie a fourni plusieurs théories pour tenter de l’expliquer.