Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Marc Aurèle (suite)

Un philosophe était sur le trône. À travers sa correspondance avec son maître Fronton et surtout dans ses Pensées pour moi-même, qu’il écrivit probablement, en grec, entre 170 et 178, véritable manuel de conduite, nous découvrons un parfait adepte du stoïcisme. De l’éthique de la Stoa, Marc Aurèle a adopté trois thèmes essentiels. Le premier est celui de l’unité de l’univers ; l’interdépendance de toutes les choses fait de l’univers un seul être vivant dont l’homme n’est qu’une partie et oblige à affirmer l’égalité de tous les hommes dans la société. Le deuxième thème touche à la nature de l’univers, dont l’unité doit se refléter dans l’unité de la société réalisée par les hommes. Le dernier découle des précédents et aboutit à l’affirmation du « cosmopolitisme ». Marc Aurèle se pensait lui-même en citoyen du monde, ou plutôt de l’univers. Pour lui, l’égalité et la fraternité des hommes, qui reposaient sur la possession commune de l’esprit, obligeaient à une attention constante aux actes sociaux, à ne pas blâmer les dieux ou les hommes, à accepter ce qui arrivait, simple expression de la loi de l’univers.

Marc Aurèle a-t-il pu appliquer dans sa politique les principes de sa philosophie ? La réponse est négative ; ces principes avaient des caractères de grande passivité et étaient plus adaptés à la vie d’un intellectuel qu’à celle d’un chef d’État. Il le put d’autant moins qu’il se trouva très vite confronté aux graves dangers menaçant les frontières.

Sous les deux règnes précédents, la paix avait été maintenue, et la prospérité générale avait atteint son point culminant. Marc Aurèle ne put laisser subsister un état si favorable ; des guerres continuelles lui furent imposées par les voisins du monde romain. Dès 161, les Parthes de Vologèse III s’emparèrent de l’Arménie, royaume protégé par Rome, et envahirent la province de Syrie ; l’armée d’Orient, la plus médiocre, ne put s’y opposer. Marc Aurèle envoya des renforts avec Lucius Verus à leur tête ; il sut désigner les meilleurs chefs, dont le nouveau légat de Syrie, Avidius Cassius Pudens († 175). Il fallut cependant deux ans aux Romains pour reconquérir l’Arménie (163) et envahir la Mésopotamie, bientôt occupée. En 166, les Parthes signèrent une paix qui donnait à Rome le contrôle d’un mince territoire à l’est de l’Euphrate et une garnison à Carres. Mais cette campagne victorieuse eut une conséquence néfaste ; les soldats en rapportèrent une peste meurtrière qui se prolongea plusieurs années dans l’ensemble de l’empire.

Marc Aurèle, sans participer directement aux combats, avait montré énergie et courage dans la conduite de la guerre. Les événements du Danube obligèrent le philosophe à s’engager personnellement. Depuis plusieurs années déjà, de profonds bouleversements avaient été produits par l’arrivée en Europe centrale de nouvelles populations, les Goths, venus de la Baltique. Plusieurs tribus germaniques, chassées de leur territoire, cherchèrent à s’installer à l’intérieur du monde romain, par la force s’il le fallait. En 167, Marcomans et Quades envahirent l’Italie du Nord et mirent le siège devant Aquilée. Marc Aurèle fit face avec détermination au milieu de la panique qui régnait à Rome ; il vendit sa vaisselle d’or et ses trésors artistiques pour fournir l’argent nécessaire à la formation de deux nouvelles légions. Les Barbares furent refoulés en 168. Dès le début de 169, l’empereur dut seul faire face aux Germains*, Lucius Verus ayant succombé à une attaque d’apoplexie. En 171, une offensive permit aux Romains de reprendre le contrôle du Norique et de la Rhétie ; les années suivantes, Quades, puis Marcomans virent leur territoire ravagé et ils durent céder une bande de terre sur la rive gauche du Danube ; mais Marc Aurèle ne put accomplir le dessein qu’il avait de former de nouvelles provinces protégeant le passage du fleuve. En effet, de retour à Rome, où il reçut le surnom de Germanicus et de Sarmaticus, il fut obligé d’intervenir en Orient.

Le gouverneur de Syrie, Avidius Cassius Pudens, venait de se faire proclamer empereur à la nouvelle, fausse, de la mort du princeps (avr. 175) ; la plupart des provinces orientales le reconnurent, même après le démenti officiel. Avidius Cassius Pudens fut mis hors la loi par le sénat et, avant que Marc Aurèle eût entamé contre lui la moindre campagne, il fut assassiné par un centurion. L’empereur parcourut alors l’Orient pendant quinze mois ; il fut partout accueilli par des démonstrations de loyalisme et il sut faire preuve de clémence dans sa mission de rétablissement de l’ordre et de la paix. Cette alerte, qui avait mis en danger sa dynastie, poussa le princeps à désigner son fils Commode*, alors âgé de seize ans, comme successeur et coempereur avec le titre d’augustus et la puissance tribunicienne (177). Ce choix était logique ; contrairement à tous les autres Antonins, Marc Aurèle avait un fils par le sang ; il ne pouvait être question pour lui d’adopter « le meilleur ». Malgré ses défauts, évidents dès le plus jeune âge, Commode était celui que les dieux avaient donné à l’empereur pour lui succéder. Dès 178, Marc Aurèle et Commode quittèrent Rome pour les rives du Danube, où Marcomans et Quades avaient repris leurs attaques. La guerre fut impitoyable, mais l’empereur, touché par la peste (ou le typhus), mourut à Vindobona avant d’avoir totalement pacifié et conquis le territoire barbare (17 mars 180).

Ces douze années de guerres et de longues absences de Rome ne firent pas négliger à Marc Aurèle la politique intérieure, où il continua à œuvrer dans l’optique de ses prédécesseurs. Tout en cherchant à conserver les meilleures relations avec le sénat, qu’il consulta toujours lors de ses plus importantes décisions et auquel il laissa la plénitude de sa juridiction, il n’en renforça pas moins la centralisation administrative. C’est ainsi que le rôle des chevaliers alla partout grandissant (en particulier celui des procurateurs provinciaux). L’empereur reprit une réforme d’Hadrien abolie par Antonin en désignant quatre anciens préteurs, les juridici, à la tête de la juridiction civile dans de nouvelles circonscriptions italiennes. Le prince s’intéressa aussi de très près à la prospérité de l’Empire, mais son action directe releva plus de l’évergétisme que de la politique économique réfléchie (les aliments en Italie, les dons aux cités provinciales détruites par des tremblements de terre...).