Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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manichéisme (suite)

Les écritures manichéennes

Mani considérait l’échec des religions qui l’ont précédé, mazdéisme, bouddhisme, christianisme, comme venant du fait que leurs fondateurs n’avaient rien écrit par eux-mêmes. Aussi leur message était-il devenu la proie des hérésiarques. Pour garder son Église de tels risques et assurer son unité, Mani prit soin de consigner par écrit sa doctrine et même de l’illustrer de sa main.

Le canon manichéen comprend sept écrits : l’Évangile vivant (nommé aussi Évangile d’aleph à tau, en vingt-deux chapitres, dont, jusqu’ici, seul le prologue est retrouvé) ; le Trésor de vie, dont on a quelques passages ; le Livre des mystères, perdu, en dix-huit chapitres, dont les auteurs persans ont livré les titres ; le Traité (Pragmateia), sans doute une gnose pratique ; le Livre des géants, qui contient des données sur l’origine de l’humanité s’apparentant à celles d’une version araméenne du Livre d’Enoch et à celles de l’écrit gnostique intitulé Apocalypse d’Adam ; les Lettres, retrouvées au Fayoum vers 1930 (mais qui ont été presque entièrement détruites dans le bombardement de Berlin en 1945) ; le Livre des psaumes et des prières.

À cette liste canonique, le Compendium de la religion du Bouddha de lumière, Mani, trouvé en Chine, adjoint un album de peintures, sorte de catéchisme de la main de Mani lui-même, appelé Ertenk (c’est-à-dire Icône). L’Église manichéenne avait recueilli aussi l’ouvrage en pahlavi de Mani, écrit pour Châhpuhr Ier, le Châbuhrâgan, dont quelques rares fragments nous sont parvenus et qui portait sur des problèmes de cosmologie. Les Kephalaia du Fayoum, sorte de résumé doctrinal, sont l’œuvre d’un disciple. Quant à l’Épître du fondement, sur laquelle s’appuyait saint Augustin, elle n’a pas été retrouvée jusqu’à présent parmi les écrits du Maître.

Le manichéisme a emprunté maints éléments au bouddhisme et au zoroastrisme. Mais son inspiration lui vient avant tout du christianisme ; il est animé par la certitude du salut apporté par la « connaissance » de Dieu. Comme toute gnose, il vise la connaissance du « vrai moi », parcelle de lumière venue d’en haut et qui ne cesse pas, malgré sa déchéance présente, de rester unie au monde supérieur. Les âmes sont des fragments de la substance divine. La gnose doit faire connaître aux élus d’où ils viennent et où ils vont. L’homme est consubstantiel à Dieu, et Dieu sera sauvé par le retour de l’homme à son principe originel.

Si la créature est présentement mêlée de bien et de mal, s’il y a un mélange, c’est qu’une déchéance s’est produite.

La doctrine manichéenne est fondée sur cette distinction primordiale des deux principes et sur une conception du salut en trois temps : un temps antérieur caractérisé par la disjonction, un temps présent de mélange du bien et du mal, un temps final où la division sera surmontée. Le royaume du bien a pour principe le Père (des juifs et des chrétiens), celui du mal a pour tête le Prince des ténèbres (l’Ahraman iranien ou le Satan biblique). Du Père a été formée la « Mère de vie ». D’eux est né l’Homme primordial, premier être à avoir été vaincu par les démons et que le démiurge a entrepris de sauver. Mais c’est de la matière qu’est sorti, sous l’emprise des démons, le couple d’Adam et Ève, qui recueille en lui la lumière déchue et devient l’objet central du processus rédempteur. Un sauveur, un ami, un « fils de Dieu » leur a été envoyé (il s’agit tantôt de l’Homme primordial, tantôt de « Jésus le lumineux »), qui a réveillé Adam et Ève et leur a révélé la gnose.

Présentement, le mal continue de se propager, alors que le salut est déjà à l’œuvre. L’âme du monde, crucifiée sur la matière comme Jésus sur la croix, y expire, mais, en même temps, les parcelles de lumière sont dégagées de la nuit charnelle où elles étaient enfoncées et retournent à leur paradis originel. À la fin des temps, un immense incendie purifiera le monde, et les deux principes du bien et du mal reviendront à leur état premier de séparation.

L’homme est dans le monde l’instrument libérateur de la lumière. Il y a deux degrés parmi les manichéens : les « auditeurs » (catéchumènes) doivent fuir l’idolâtrie sous toutes ses formes, mais ils se livrent aux tâches profanes et peuvent se marier ; les « parfaits » doivent s’abstenir totalement du monde et garder la continence la plus sévère.


Les rites

Les manichéens déniaient toute efficacité au baptême d’eau, que Mani avait répudié dans sa controverse avec les elkasaïtes. Il semble bien qu’ils aient eu cependant un rite de chrismation d’huile signifiant l’entrée dans la communauté.

Une grande importance était attachée dans le manichéisme à la nourriture. Les repas individuels ou collectifs des élus commençaient par une formule non de bénédiction, mais de dépréciation, et ils permettaient à chacun, selon son état de pureté, soit de libérer, soit d’emprisonner les parcelles d’âmes vivantes contenues dans les aliments. L’élu pouvait être par là l’instrument d’une action sanctifiante et rédemptrice. Le repas autour de la table, dite « table de l’Ami lumineux », n’était pas une eucharistie, mais se rapprochait plutôt du qiddush des judéo-chrétiens.

Les hymnes, psaumes et cantiques manichéens, d’une grande élévation spirituelle, ont joué sans aucun doute un grand rôle dans la diffusion du manichéisme. Les chants unissent Jésus, la « lumière immortelle du Père », et Mani, le Paraclet annoncé, envoyé pour le salut des âmes. La pénitence était le souci fondamental des manichéens : les fidèles devaient confesser leurs fautes fréquemment, chaque lundi, jour de la lune, et annuellement, lors de la fête du bêma.

Celle-ci commémorait la « crucifixion » et la chair de Mani. Elle était célébrée au terme d’un jeûne de trente jours accompli en union avec les souffrances endurées par Mani lors de sa passion ; elle s’apparentait à la fête chrétienne de Pâques.